" L'amour comme la guerre,
On le fait avec des chansons. "
Voilà quelques temps déjà que j'avais quitté l'Ordre Noir, je ne saurai dire si c'était une affaire de semaines ou de mois, le temps passait particulièrement vite.. En partant, je me suis imposée quelques règles : ne pas rester plus d'une semaine dans la même ville, ne jamais donner mon véritable prénom ni mon nom, changer d'identité à chaque nouvelle ville, envoyer une lettre anonyme à Henri et Louise à chacun de mes nouveaux départs. Ainsi, ils pouvaient continuer d'avoir de mes nouvelles et n'avaient pas à s'inquiéter pour moi. A force de voyager, j'avais finis par me retrouver en Allemagne, enfin, j'espérais.. Peu de gens parlaient anglais ici-bas, encore moins français. Ce n'était pas toujours simple de se faire comprendre, mais j'avais néanmoins réussi à me faire embaucher pour me produire en spectacle pendant une semaine dans une troupe de théâtre renommée dans le coin. Ce soir, c'était mon dernier soir au sein de la compagnie. Demain matin, je reprendrai la route.
Lorsqu'elle était arrivée ici bas, il y a six jours, dans cette ville au nom imprononçable si bien que Nora avait par l'oublier, le moral n'avait pas forcément été au beau fixe. La jeune fille était fatiguée de marcher et se devait de trouver rapidement un logement car la pluie était battante, ainsi qu'un travail par la même occasion. Certes, la Lockwood avait quelques pièces de côté, assez pour se nourrir cette semaine, sans doute même pour se payer une petite auberge, mais si elle ne trouvait pas de travail, elle devrait dire adieu à ce confort.
C'est trempée qu'elle fut invitée par un homme de petite taille à venir s'abriter sous une espèce de grand chapiteau au cœur du grande place désertée par toute âme qui vive dans cette ville. Après tout, c'était compréhensible ; qui se promenait sous la pluie ? La parisienne retint un soupir, le cœur serré tout à coup.
Au vu de l'endroit, de la répartition des tables, des chaises, et de la présence d'une grande scène, cet endroit avait tout d'un théâtre ambulant qui avait finit par décider de ne plus bouger. Certaines des fondations du chapiteau semblaient même avoir été bloquées dans les pavés. Tandis que l'exorciste en fuite observait le décor de cette jolie salle des fêtes, observant par la même occasion les artistes qui s'entraînaient pour la représentation du soir, c'est la voix du petit homme bien habillé qui la sortit d'un coup de ses pensées.
" Bist du verloren ? Oder.. Suchst du eine Arbeit ? Sonst wäre es dumm für du einen Spaziergang im regen zu machen. "
Interloquée, la jeune fille se tourna vers lui, abaissant ses petites mirettes bleues arrondies et fatiguées sans comprendre quoi que ce soit de son charabia. Le seul mot qu'elle comprit fut " Arbeit ", si bien que la jeune fille hocha instinctivement la tête lorsqu'il le dit, bien qu'elle n'ait pas comprit le reste de ses phrases.
" Was kannst du tun ? Kuchen ? Tanzen ? Singen ? Theater spielen ? " enchaina-t-il subitement.
Les yeux bien ronds, la parisienne resta à nouveau silencieuse. Là, elle n'avait absolument rien comprit. Certes, elle n'était pas en Allemagne depuis très longtemps, mais Nora avait toujours réussi à trouver quelqu'un qui parlait sa langue, ou tout du moins un petit peu, suffisamment pour se faire comprendre. Là.. C'était l'incompréhension totale ; et en plus, ça ne semblait pas faire rire le petit allemand du tout.
" Heh, du kleine Spatz kopf ! Bist du stumm ? Ich habe eine Frage gestellt. "
Décidément, l'allemand était une langue fort grossière. Qu'importe ce qu'il voulut dire, ce n'était sans doute pas très flatteur, vu comme il parlait. Enfin.. Les allemands étaient toujours en colère de toute manière. Et en plus, avec tout ça, les membres de la troupe semblaient s'intéresser à elle, tant et si bien qu'une jeune femme marquée par l'âge finit par s'approcher.
" Herr Hirsch ! Ich denke, dass sie spricht nicht deutsch. " avait-elle dit avant de se tourner vers Nora, " Pas vrai la tête de moineau ? L'anglais, tu le saisis ? "
Affichant tout à coup un large sourire, rayonnant malgré les gouttelettes d'eau qui continuaient à lui couler sur le visage, la bohème opina à nouveau du chef avant de se décider à enfin parler.
" Oui ! Je dois dire que je ne comprends pas grand chose à cette langue, j'ai.. Seulement tilté sur le mot Arrbayte. " lui répondit-elle, un peu gênée, " Je ne suis qu'une voyageuse en provenance de l'Est de la France, vous pouvez m'appeler Anna. "
Un fin sourire toujours ses lèvres, la petite menteuse toisait ses interlocuteurs d'un air toujours aussi gêné, avant que la vieille femme ne se décide - visiblement - à traduire ses quelques paroles. S'en tira un court dialogue entre les deux allemand - si rapide que la Lockwood n'en comprit pas un seul mot, pas même certaine d'avoir entendu parler de travail, jusqu'à ce que la femme se tourna à nouveau en sa direction, un sourire amical sur les lèvres.
" Alors Anna, qu'est-ce que tu sais faire ? "
Et nous revoilà, six jours plus tard, en début de soirée. Si vivre en compagnie d'Henri et Louise et d'autres bohèmes avait apprit tout un tas de chose à la petite orpheline, cette semaine, c'était leur art du chant et de la danse qui l'avait sauvé. D'ailleurs, ce n'était pas la première fois qu'elle pouvait gagner de l'argent grâce à ses talents, même si, en général, Nora avait plutôt tendance à être une artiste de rue. La première fois qu'ils l'avaient fait monter sur scène, il y a une semaine de ça, entre deux spectacles - une courte farce en anglais ainsi qu'un numéro de jonglage - la demoiselle crut bien en perdre sa voix. Il y a avait bien trop de regards portés sur elle et pourtant.. La bohème s'était lancée.
De sa plus belle voix, l'exorciste aux faux sourires s'était lancée sur scène, faisant claquer ses pieds sur son piédestal en bois au rythme des notes qui s’échappaient de sa gorge. Bien que ce fut en anglais qu'elle chanta ce soir-là, la demoiselle parvint à retranscrire toute la beauté de son Paris natal, d'une chanson quel seul Montmartre connaissait en ce bas monde. Et une terrible nostalgie habiter le cœur de la jeune fille..
Depuis ce soir-là, Nora s'était produit deux fois par jour, à savoir l'après-midi où les entrées étaient libres - à condition toutefois de prendre au moins quelque chose à boire ou à manger - et également le soir, lors des représentations payantes où seule la petite bourgeoisie se trainait, voire certains plus aisés encore. Non pas que l'entrée soit chère, non, mais c'était devenu leur petit repaire et, il semblait très mal venu de s'incruster si l'on était pas un habitué ou.. Une personne de la haute société.
Ainsi, voilà que la jeune fille arrivait à sa toute dernière représentation, assise derrière le rideau en compagnie des autres membres de la troupe, réajustant ses cheveux tandis qu'elle jetait un dernier coup d’œil à la robe rouge un peu trop longue que lui avait prêté la vieille Lynda - cette femme qui parlait anglais comme une vraie vache londonienne - la jeune fille se disait que pour une semaine passée sous les feux des projecteurs avec un prénom d’emprunt, cela ne se soldait pas trop mal. Pas un exorciste, pas une explosion d'Akuma, pas même une seule veste de Central ! En même temps.. Qui pouvait venir la chercher ici ? Personne n'était sans doute au courant de ses talents de chanteuse, si ce n'étaient ses plus proches amis.
Levant les yeux vers la pendule cassée par endroit qui trainait dans leurs loges de fortune, la demoiselle put rapidement comprendre que le dernier spectacle auquel elle participerait allait bien commencer. Plus que cinq minutes.. Était-ce les jongleurs aux noms bizarres qui commenceraient ce soir ? Ou bien cet homme capable de sortir des lapins de sous ses semelles de chaussure ? Allez savoir. Ah, tiens ! Voilà le petit homme en colère et Lynda qui s'approchaient d'elle. Était-ce pour un dernier au revoir ?
" Bist du bereit Spatz kopf ? Jetzt bis du dran. " lança-t-il d'une voix plus calme que le tout premier soir.
" Il dit que c'est à toi d'y aller. Comme c'est ton dernier soir, c'est à toi de commencer Anna. "
A ces mots, la jeune fille retint un hoquet nerveux, mais ne put s'empêcher de sourire tandis qu'elle se décidait enfin à terminer de s'attacher dans les cheveux quelques fleurs qu'elle avait emprunté dans l'allée d'une jolie maison le matin même. Se redressant tout en leur faisant face avant de jeter un coup d’œil vers le rideau, tout le stress qui l'avait habité il y a un instant encore semblant disparu.
" En piste. " souffla-t-elle alors en français.
Quelques pas en avant et les rideau ondulèrent sous le passage de la jeune chanteuse que l'on annonçait pour commencer la représentation sous le nom d'Anna. Adieu trac, le spectacle commençait. Le stress, la peur, tous ces sentiments néfastes se devaient de rester derrière le rideau.
Les notes commencèrent à s'échapper.
Une mélodie à l'anglaise.