Il y avait du monde, trop de monde. Des gens qui parlaient, des gens qui riaient, des gens qui avaient peur. Il y avait là aussi des gens qu’il appréciait, et des gens qu’il ignorait. Des gens, trop de gens, et d’information.
Le sang, sur ces tempes, battaient fort. Tous ce petit monde haïssait, parlait, et vivait en groupe, et ça, c’était terriblement effrayant et insupportable. Car je le répétais, il y avait des gens, trop de gens, beaucoup trop pour l’apôtre du Regret. Il y avait trop d’informations à prendre, trop de visage à voir, trop de lumières et d’obscurités réunies en même temps. Alors, pour se calmer, il décida de prendre son temps. Sa main,
sa nouvelle main glissa doucement dans son homologue, et doucement, se mit à taper la mesure. Ce geste le rassurait et le calmait. C’était un peu idiot, mais ça lui permettait de reprendre le pas sur les évènements, afin qu’il ne soit pas simple victime de ces derniers, mais bien acteur actif et volontaire.
Entre la Peste et le Choléra…Désolation.
Derrière lui, un enfant. Il était petit, il était pauvre et il lui ressemblait un peu. Il était triste et timide, et il lui ressemblait décidément beaucoup. Il aspirait à la Destruction, et il n’avait plus rien à voir avec lui. En retard, naturellement, lui aussi, Arechi se tenait derrière le porteur du Regret. Feilen n’avait jamais aimé ce dernier. Un peu comme Amorem, mais d’une autre façon, il ne s’occupait de rien sinon de lui. Il pleurait et il détruisait, et ne pensait pas à ce qu’il laissait derrière lui. Il ne pensait pas aux poupées de petites filles aux visages laminées, et il ne pensait pas aux puzzles aux pièces manquantes. Il ne pensait jamais aux espoirs brisés.
Il était la Désolation, et ne vivait que pour ça. Cyclamën lui jeta un regard, curieux. C’était cependant un gamin : malgré le dégout évident que Feilen lui soufflait d’éprouver, il ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine empathie pour l’enfant.
Comme l’Animae, ce dernier semblait tellement… Perdu. La main, inexorable entité dans la paume de sa jumelle, battait la mesure. Elle accéléra.
Déchéance.
Il lui semblait que tout tournait au ralenti autour de lui. C’était peut-être simplement dans sa tête. C’était peut-être aussi la cause de ce Soleil, tellement fort, tellement chaud, et tellement puissant, boule de gaz qui trônait au-dessus de leurs têtes. Tout allait moins vite, et l’atmosphère, étouffante, l’écrasait. C’était du coin de l’œil, maintenant, qu’il voyait l’autre, celui qui alla parler à l’enfant de la Désolation. Decay. Par nature, la Déchéance semblait lier au Regret. Pourtant, encore une fois, Cyclamën, plissant les yeux, ne put s’empêcher de dévier aux principes de base : au premier regard, il se mit à ne pas aimer ce grand personnage fin et long. Il avait quelque chose de reptilien, et il lui semblait pouvoir entendre d’ici, les claquements d’une langue tout aussi surnaturelle alors qu’il s’adressait au petit garçon. Le Libraire détourna le regard, et s’effondra, genoux au sol, par terre, dans la poussière. Le vent, dans ses oreilles, hurlait et faisait terriblement écho au tam-tam régulier de son cœur, et de sa main dans sa main. Le rythme s’accélérait, et tout allait plus lentement. Les gens, les voix, le Soleil. Il semblait au Norvégien que tout s’enfonçait dans de la terre glaise, dans une sorte de mélasse. Plus le bruit augmentait, bruit de guerre presque, plus les silhouettes devenaient floues. Bientôt, elles disparaitraient.
Oiseau.
Et la bulle dans laquelle il s’emprisonnait de plus en plus éclata. «
Attra-hé ! Hé.. ... » Ses yeux, doucement, terriblement lentement même, se dirigèrent vers le sol. Il n’était plus par terre, Cyclamën était debout. Peut-être que rien ne s’était jamais passé. Peut-être même que toutes ces pensées qui avaient traversé son cerveau n’avait été que les fractions d’une seconde, et que son « absence » n’avait jamais été remarqué. Il s’en moquait.
Ainsi, le porteur du Regret contemplait la machine-enfant, qui, semblait-il, l’avait heurté. Pour dire toute la vérité, l’Animae ne l’avait même pas remarqué. En revanche, il était reconnaissant, paradoxe, envers l’enfant de l’avoir tiré de ses pensées. Comme il était parti, il aurait pu rester comme ça des semaines entières, à réfléchir sur le sens des autres, et à se ralentir le temps sans vraiment s’en rendre compte. Ou bien à l’étirer. C’était compliqué de regretter autant à ce point-là.
Pour de vrai cette fois, il s’accroupit, jetant un regard malicieux à Daret. Ombre menaçante qui enveloppa le petit explorateur, mais qui pourtant, ne lui voulait pas de mal. Depuis Lucja, son rapport avec les machines s’était considérablement amélioré, et il devait même avouer qu’instinctivement, il aimait bien la bouille de l’enfant-machine, à mi-chemin entre la peur, la simple gêne et la curiosité malsaine. «
D-Désolé Maître Cyclamën je.. je ne vous avais pas vu.. Infiniment désolé ! » Maintenant à sa hauteur donc, il fixa un instant l’unique œil de l’enfant : le Regret y brillait, assurément. «
Cht. Ce n’est rien. » Il resta un moment silencieux, avant d’ajouter. «
Et puis ne m’appelle pas maître. » Et un instant dans ses yeux, brilla une petite étincelle de tristesse. «
Le Regret n’est le maître de personne… » Cyclamën soupira doucement, et se releva. Dans sa main cependant, résonnait toujours le bruit qui comptait les secondes. Le Soleil était là, lui aussi, terrible et qui lui résonnait sur la nuque.
Traumatisme.
Le crok-mitaine était là, lui aussi. Traumö, puisque c’était son nom, avait toujours été un sujet de curiosité pour Feilen. Il le fascinait autant qu’il le détestait.
Si il existait bien un souvenir qui jamais ne regrettait, c’était bien lui. La Folie pouvait regrettait après tout, et devenir folle pour oublier. L’Amour pouvait regretter de pas être aimer, et aimer regretter en retour finalement. La Désolation, si on prêtait attention à ses larmes, pouvait regrette de détruire ainsi sur son passage. La Déchéance c’était pareil. Tous, pouvait éprouver, ou simplement s’approcher de l’idée de regret. Et surtout, tous, ils étaient encore un peu humains. Le Mythe, l’Envie… Tous vivaient encore avec dans l’esprit, leur humanité. C’était ça qui leur permettait d’avancer.
Des erreurs du passé, on avançait vers l’avenir. Goro Zumu, lui. N’avait rien d’humain. Feilen s’était toujours demandé s’il n’y avait jamais eu un homme à l’intérieur de cette coquille. Si le réceptacle en lui-même n’avait jamais été pur.
C’était la Question, et lui, il était la Réponse Traumö ne pouvait éprouver le Regret, il n’avait jamais été humain.
Pour cette raison…
Feilen n’avait jamais bien compris le lien, - si il existait -, qui le rattachait au chasseur. Et puis, il s’en moquait. Cyclamën, sans mot, écouta tristement le petit monologue de Goro.
Cyclamën Animae n’était pas un chevalier. Cyclamën Animae n’avait aucun courage. Il se contenta de fixer ce qui restait d’homme à l’intérieur de la figure qui parlait, et il ne vit pas grand-chose. Il aurait bien voulu le toucher même, pour entendre la voix de ses souvenirs. Mais Goro Zumu ne valait pas la peine qu’on s’intéresse à lui. Il était humain par nécessité, et adorait son souvenir. Il était le Traumatisme. Quelque part, peut-être était-il jaloux d’Amorem. Feilen lui non plus ne se réjouissait pas de voir ainsi Amorem, contrairement à ce qu’on aurait pu penser. Etrangement, il en était venu à une sorte de possession de la haine pour l’Amour : comme si lui seul pouvait se permettre avoir le droit de la détester. C’était là son maigre empire, et l’idée qu’un autre puisse y mettre les pieds l’insupportait.
Une unique larme quitta discrètement le coin de l’œil du Libraire. Une larme qui symbolisait l’impuissance et la lâcheté, une larme pour la jalousie et pour la haine. Une larme d’empathie, et une larme de pardon. Pardon de ne pas être là, pardon de ne pas avoir de courage. Dans sa main, plus que jamais, résonnait le bruit du tap-tap stressé. Le Soleil le brûlait surtout. Il était partout. Le Soleil au-dessus de leurs têtes qui les fixait, et qui, subtilement et inexorablement, semblait attiser le feu de leurs haines intestines. Le Soleil brûlant, mais pourtant froid. Le Soleil dans lequel se reflétait les larmes.