beauty may be dangerous but intelligence is lethal

Quelle plaie. J'ai mal calculé mes coups ce jour-là.

A peine avais-je franchi le portail de l'Arche en revenant de l'Ordre Noir que je m'étais effondrée, sans rien pouvoir faire d'autre. J'avais perdu tellement de sang... et à cause de ma rancune pour l'Innocence et de cette envie de tuer qui m'était irrépressible, sans oublier l'adrénaline, je n'ai pas pris ce facteur en compte. Heureusement que les combats ne se sont jamais arrêtés. Si seulement l'adrénaline serait redescendue, je serais devenue un poids mort et sûrement me serais-je effondrée en plein milieu, à la merci des ennemis.

Tous mes coups étaient mal calculés. J'étais tellement aveuglée par tout ce qu'il me passait par la tête que j'en oubliais à chaque fois des facteurs qui venaient échouer mes plans. Blasius... j'espère qu'il va bien malgré tout. C'est de ma faute s'il a été blessé gravement lui aussi. Je suis le Savoir, je suis censée dicter les choses sur le champ de bataille, je suis censée savoir et agir en conséquence mais... j'avais tellement peur. J'ai failli perdre tellement de choses cette nuit-là. Bonnie, Dominus, Risa... je déteste l'Ordre Noir. Je les déteste tellement.

Je ne me suis réveillée qu'il y a deux jours. J'ai dormi cinq jours, sans jamais me réveiller, le temps que ma régénération fasse complètement effet sur les blessures d'Innocence. Enfin, complètement... que mon état les stabilise en tout cas. Je peux assurer que la douleur est toujours présente et qu'il me faudra encore quelques jours avant de ne plus trop la sentir. Maintenant que je peux marcher et rebouger à nouveau, les soins devraient aller plus vite, je suppose. Dominus a été sévèrement touché et depuis mon réveil, je ne l'ai toujours pas entendu. Cela m'inquiète terriblement. Je sais qu'il s'en remettra mais... quand? Combien de temps vais-je devoir rester sans lui? Je ne suis plus habituée... je ne suis pas prête à retourner sur le champ de bataille s'il n'est pas à mes côtés.

Néanmoins, à mon réveil, il y avait Mase. Il était resté près de moi et avait veillé à tout. Je ne sais pas ce que je ferais sans lui. Evidemment, ce n'est pas avec un sourire qu'il m'a accueillie mais bien avec des remontrances. Cela lui ressemble bien. Trop bien même. J'avais presque l'impression d'être de retour chez moi. Mais s'il s'attendait à ce que je fasse mon mea culpa, il se mettait le doigt dans l'oeil. Oh, je sais qu'il savais très bien que je ne m'excuserais pas pour ce que j'avais pu faire. De toute façon, à quoi ça servirait, hein? Ce qui est fait est fait.

Mais... il n'a pas parlé de Risa. Pourtant, je sais qu'il a vu. Blasius a vu aussi. Ils m'ont vu la soigner avant que je ne sois blessée pour la première fois. Je ne sais pas s'il n'ose pas, si Adam lui a demandé, s'il l'a dit. Si quelqu'un en a parlé. Moi clairement, je m'en fous. Si l'un d'eux l'a dit, ainsi soit-il. J'accepterais le jugement du Prince. Mais je ne me contrôlais plus. Ce qu'il s'est passé là-bas c'était... c'était trop. Je n'en pouvais plus, mentalement c'était la goutte de trop.

C'est pour cela que je n'ai pas voulu rester à l'Arche. Dès que je fus suffisament remise pour pouvoir m'occuper de moi toute seule, j'ai pris la décision de retourner chez moi, à Amsterdam. Evidemment, Mase a insisté pour m'accompagner alors le voilà à mes côtés, dans les rues calmes. Il fait soir en même temps et personne ne reste jamais dehors bien longtemps par ces temps, encore plus dans mon quartier. C'est silencieux. Ni l'akuma, ni moi ne parle. On ne sait pas trop quoi se dire je pense. Je porte toujours les bandages au niveau de mes épaules, de mes jambes et de mon ventre. Quelle merde, vraiment... qu'est-ce que je vais bien trouver comme excuse à mes domestiques pour leur expliquer ça?

Nous arrivons alors devant la grille de mon manoir que je pousse avec difficulté. Mon épaule me tire. C'est le brésilien qui vient m'aider dans ma tâche et je ne peux lui répondre que par un regard. Pas de merci, un rien suffit avec lui. Néanmoins... il y a quelque chose. Plus je m'avance dans mon allée, plus l'atmosphère me semble étrange. Je lève les yeux vers ma bâtisse et mes paupières se plissent. Nouvel échange de regard avec Mase. C'est définitivement louche.

- Il n'y a aucune lumière allumée. Pourtant, tes domestiques sont là, non?

- Normalement oui. Et puis même... tu ne sens pas cette atmosphère? C'est comme..

- C'est tendu.

- Non, c'est autre chose. C'est très étrange. Tu devrais me laisser y aller en première.

L'akuma fronce alors les sourcils vers moi. Il ne semble pas d'accord avec ma décision.

- Ada, si c'est quelqu'un qui t'en veut, tu n'es pas en état de combattre et tu le sais.

- Si c'est quelqu'un qui m'en veut, il n'attendra pas que je me rétablisse pour attaquer.

Je me mets à réfléchir sur les possibles suspects qui m'attendraient là-bas alors que je continue d'avancer, méfiante, dans mon allée. Et soudain, c'est comme une illumination. Il fallait bien que cela arrive un jour et je le savais. Je le savais que je payerais pour les bêtises de Dominus, mais je ne m'attendais pas à ce que cela soit maintenant... surtout pas maintenant.

Arrivée près du porche, je me tourne vers Mase à nouveau.

- Tu rentres à l'Arche, immédiatement. Qu'importe la personne qui est là, elle ne te voudra pas du bien.

- Attends, tu te rends compte qu-

- C'est un ordre, et ne le conteste pas. Si cette personne chercher à m'atteindre, tu seras sa première cible. Retourne à l'Arche, maintenant.

Et vu que c'est un ordre, il ne peut le contredire. Il râle beaucoup, mais il rebrousse chemin et disparaît rapidement dans la nature. Bien... maintenant, je suis seule. Je sors la dague de Dominus de ma botte droite. C'est actuellement ma seule arme de défense. Dans mon état, il me serait impossible de manier l'arc d'une de mes invocations -déjà, je ne sais pas manier l'arc tout court- et la dague sera donc ma seule arme. Mon coeur bat rapidement. C'était vraiment le pire moment pour me prendre une embuscade dans la face... je n'ai absolument rien.

Ma main enclenche la poignée de la porte d'entrée et je referme derrière moi. Je ne cherche pas à être discrète. La personne qui m'attend sait que je suis là. Mes talons résonnent pour quelques pas avant que je ne m'arrête. Il fait noir. Il n'y a aucun bruit. C'est si glauque. Je ne sais vraiment pas à quoi m'attendre mais pour assurer au maximum ma sécurité, je murmure.

- Åkallan. Skydda.

Dans ma main gauche surgit alors un bouclier. Je reconnais immédiatement le bouclier de Chiron grâce aux détails présents. Il est lourd mais ça devrait le faire. Celui de Lagertha aurait été pire...
Je m'avance de quelques pas à nouveau avant de me stopper net. Une Innocence. Ce n'était clairement pas la personne à laquelle je pensais dans ce cas... mais.. cette Innocence... je la connais.

Je la connais.
Et un frisson parcourt mon échine. Qu'est-ce qu'elle fait ici?
Je continue de m'avancer, tournant alors à ma droite pour me rendre dans mon salon.

Et ce que je vois me terrifie encore plus.

Tous mes domestiques, allongés au sol, ligotés. Je parcours rapidement le sol des yeux avant que mon regard ne rencontre ceux de deux chiens faits entièrement d'eau. Et alors que je remonte un peu plus, je l'aperçois à nouveau.

Risa.

Qu'est-ce qu'elle fait ici? A quoi elle joue? C'est un sketch? Je ne peux me montrer que plus méfiante et mon emprise sur ma dague se resserre. Elle a vraiment pris en otage tous mes domestiques. Elle se tient vraiment dans mon salon, Innocence activée, comme si j'étais une menace. Oh, mais suis-je bête. Le coma m'aurait presque fait oublier ce que l'Ordre Noir lui a fait. Pour elle, je suis une menace maintenant. Une menace à éliminer, je suis la méchante de l'histoire et elle, elle fait partie du camp des gentils. J'avais presque oublié.

Mon coeur se déchire en deux mais je ne dois rien montrer. Je ne la quitte pas des yeux, gardant également mon bouclier bien en main. Ce n'est qu'après que quelques instants que les premiers mots franchissent la barrière de mes lèvres.

- Risa... qu'est-ce que tu fais ici?

Je plisse des yeux, rapportant une nouvelle fois mon regard vers les domestiques au sol.

- Et qu'est-ce que c'est que ça? dis-je en pointant les assommés d'un mouvement de menton, reportant mes iris bleues sur le visage de la Rose Noire.

Clairement, je suis terrifiée. Est-ce que Central l'a à nouveau changée? Que lui ont-ils fait encore? Pourquoi est-elle là? Pour me tuer? Ils auraient bien calculé leur coup dans ce cas. Et moi, à nouveau, j'aurais été stupide.

Stupide d'aimer et d'espérer que tout change.

Et je ne comprends pas, à nouveau. Ce qu'elle fait ici. Pourquoi mes domestiques se trouvent à terre. L'Ordre l'a-t-il envoyée pour me tuer? Non.. ce n'est pas possible. Ils n'auraient pas pris ce risque après si peu de temps. Elle n'aurait pas accepté. Je suis sûre qu'au fond d'elle, elle sait. Mais qu'est-ce que je connais de Risa au final? Maintenant que Central l'a complètement changée, maintenant qu'elle n'est plus que leur petit soldat, maintenant qu'elle semble avoir perdu tout souvenir de moi. Maintenant que je l'ai perdue. Qu'est-ce que je connais d'elle maintenant? Elle n'est plus celle que j'ai connu. Et s'ils ont brisé son mental, ils ont brisé mon coeur par la même occasion.

Elle me regarde, sans me répondre. Je sais exactement ce qu'elle fait : elle m'inspecte. Ca, ça n'a pas changé au moins, ça en serait presque rassurant si elle n'avait pas son Innocence d'activée ainsi que des représentations aquatiques du gardien des Enfers à ses côtés. Elle tente de m'analyser mais étant donné qu'elle ne se souvient pas de moi -de nous-, elle ne se souvient pas qu'elle n'arrive pas à m'analyser. Parce que je ne suis pas comme les autres. Ce sont des années d'entraînement qui m'ont poussée à cacher tout ce que je ressentais, pour qu'aucune faiblesse ne soit exploitable. Personne ne les connaissait, à part peut-être Mase. Jusqu'à ce qu'elle arrive. Elle a chamboulé toutes les idées que je me faisais de l'amour, de tout. Elle m'a changée, en si peu de temps. Elle était tout ce à quoi je pouvais me raccrocher. Elle était ce qui me maintenait à l'humanité. Et lorsqu'elle m'a lâchée, j'ai sombré. J'ai sombré et je suis devenu le monstre que l'on connaît aujourd'hui, le monstre qui a presque tué, le monstre qui a presque été tué.
Et pour tout ça, je me déteste.

Parce qu'au final, si Risa est devenue ainsi, c'est ma faute. Peut-être que si je n'avais pas été égoïste, si je n'avais pas entretenu cette relation avec elle... peut-être qu'elle ne serait pas ainsi aujourd'hui. Ce n'est pas peut-être : elle ne serait pas, tout simplement.

Et alors, elle décide enfin de se lever, sans même prendre la peine de répondre à mes questions. Elle reste terrée dans un silence et cela m'effraie un peu -en plus de m'énerver, je déteste que l'on m'ignore de la sorte-. Elle s'approche de moi et pose ses doigts sur le bouclier que je tiens.

- Le bouclier de Chiron, il est magnifique. Dommage que les livres ternissent sa beauté. Vos sous-fifres me cassaient les pieds. Trop bavards, trop de questions, j'ai donc du coup dû y remédier. Votre sécurité laisse à désirer, Adalie Van Eyck.

Je plisse des yeux, ne baissant pas ma garde pour autant, que du contraire. C'est peut-être parce que mes domestiques ne sont pas là pour assurer ma sécurité? Ils sont là pour les tâches quotidiennes. La seule personne responsable de ma sécurité n'est autre que Mase qui, je suis sûre, n'est pas rentré à l'Arche comme je le lui ai demandé. Il doit être dans les parages à observer ce qu'il se passe. Il n'a jamais été de nature docile.

Mais, je dois rapidement sortir de mes pensées. Ses cerbères disparaissent tout à coup pour venir former une arme dans sa main. Alors... elle veut vraiment m'attaquer? Est-elle ici pour me tuer? Je crois apercevoir Excalibur mais tout va trop rapidement pour que je puisse établir une analyse formelle. Car à peine l'arme d'eau formée qu'elle vient frapper avec force sur ma protection. Je résiste mais les blessures me lancent. Si un combat commence maintenant et que je reste seule, je n'y survivrais pas. L'air siffle entre mes dents alors qu'elle recule. Je ne plie pas, et je la fixe dans les yeux.

-  Nous sommes ennemis, pourtant je ne comprends pas pourquoi mon cœur continue à battre sans arrêt pour toi, Noah. Ma sœur me répète sans arrêt que tu es responsable de mon amnésie, de mes migraines incessantes. Qu'est-ce que tu m'as fait ?

Je fronce mes sourcils. Elle a dit quoi là?

- Quoi?.. mais de quoi tu parles?

Je n'ai pas le temps d'aller plus en profondeur qu'elle se remet à parler. Et petit à petit je comprends. Ses paroles, tout s'agence dans mon esprit. Simple marionnette.
Je la fixe quelques instants, sans rien dire, le temps que tout s'emboîte. Mes poings se crispent. Je suis en colère. C'est donc ça hein? Evidemment... j'aurais dû m'en douter. Mais je ne dois pas perdre pied alors je reste aussi froide et je la fixe dans les yeux.

Regarde-moi Risa. Regarde-moi te dire la vérité sur les gentils de l'histoire.

- Réfléchis un peu. Depuis quand ne réfléchis-tu pas Risa, hein? Depuis quand gobes-tu des histoires ainsi, sans fondements, sans arguments, de plus données par Central, hm?

Putain, ils m'ont mis la responsabilité de sa perte de mémoire. Parce qu'en plus de laver le cerveau des gens pour en faire de parfaits petits soldats, ils n'assument pas leurs conneries? Décidément. Décidément, c'était bien fait pour eux ce qu'il s'est passé au Vatican. Ils n'ont eu que ce qu'ils méritaient. Et encore, ce n'est pas assez. Je suis en colère, si en colère... je les déteste bordel.

- Alors, dis-moi Risa, qu'est-ce que je t'ai fait à ton avis? Etant donné que je suis la méchante dans l'histoire qu'ils t'ont inventé, tu penses que j'ai supprimé tous tes sentiments envers moi, bien d'accord. Mais dans quel but? Quel était mon intérêt à ton avis? Connecte tes neurones. Ca rend service à qui le fait que tu perdes la mémoire? A moi ou bien à Central?

Le raisonnement est si bête que cela m'énerve encore plus. Il ne faut pas réfléchir tant que ça pourtant. Mais je ne sais pas comment le lavage de cerveau se passe là-bas... à vrai dire, je ne sais même pas s'ils n'ont enlevé que les parties me concernant ou s'ils sont allés plus loin.

- On va faire simple. Qui es-tu, Risa?

Réponds-moi.
Qui est le soldat qui se trouve devant moi?