Un geste malheureux, et c’étaient les trois derniers œufs qu’il lui restait qui avaient glissé du meuble pour venir s’écraser au sol, irrécupérables. Il avait nettoyé tout ce bazar, avait remis la machine à écrire à son emplacement d’origine, plus sûr, et contemplait maintenant avec une certaine résignation ce qu’il restait de son projet culinaire.
C’était pour ça qu’il ne faisait jamais les macarons lui-même, qu’il allait toujours les acheter à la boulangerie. Pour éviter ce genre de catastrophe (et aussi parce qu’il fallait bien le reconnaître, les macarons de la boulangerie étaient souvent bien meilleurs que ce qu’il aurait pu faire dans sa petite cuisine). Ce n’était pas vraiment qu’il soit mauvais cuisinier, quoi que puisse en dire sa maman, à vrai dire il ne se débrouillait pas si mal pourvu qu’il y mette un peu de bonne volonté, mais il manquait cruellement de patience, de temps et d’équipement pour faire quelque chose de vraiment bien, et il n’aimait pas non plus faire les choses à moitié.
S’il s’était lancé dans cette aventure aujourd’hui, c’était pour un motif tout à fait particulier. Pour commencer, il était tombé un peu par hasard (dans un article de journal) sur une recette de macarons au chocolat, faciles à faire, et pour lesquels il disposait de pratiquement tous les ingrédients nécessaires. Lucie, la boulangère, avait bien voulu lui prêter une poche à douilles pour la journée afin que ses macarons aient une jolie forme, et il s’était lancé dans cette aventure.
Et voilà où il en était. Il avait sorti des saladiers, avait mis un tablier, il avait même déjà commencé à mélanger la farine, le sucre et les amandes, mais voilà. Il n’avait plus d’œufs.
Misère.
Heureusement, tout n’était pas encore perdu. Même si on était dimanche et que les commerces devaient être fermés, il devait bien avoir des amis ou des connaissances qui pourraient le dépanner de quelques œufs, non ? Maintenant qu’il y pensait… il pourrait peut-être demander à Madame Eugénie ? Elle n’était pas sa voisine directe, mais elle habitait tout près et elle était encore la personne qu’il connaissait le mieux dans le voisinage. En plus, tel qu’il la connaissait, Madame Eugénie était le genre de grand-mère qui aimait cuisiner, elle aurait forcément quelques œufs pour le dépanner ! Il pourrait les lui rendre plus tard, à l’occasion.
Sans prendre la peine d’enlever son tablier (Eugénie habitait vraiment à deux pas), Basile enfila des chaussures et se mit en route vers la maison de sa voisine. Il attira quelques regards curieux sur le chemin, mais en quelques minutes, il se retrouvait devant sa porte. Il hésita un instant, réalisant qu’Eugénie ne serait peut-être pas chez elle (il ne l’avait pas vue ces derniers jours) ou qu’elle pouvait être occupée, et que ce n’était pas vraiment très correct de se présenter ainsi à l’improviste ; mais il frappa quand même.
Mais lorsque la porte s’ouvrit, il fut on ne peut plus surpris de trouver de l’autre côté non pas la petite grand-mère au sourire radieux, mais une jeune femme qu’il n’avait jamais vue depuis qu’il était arrivé à Paris (il se serait souvenue d’elle, avec une telle chevelure!). Il ne lui semblait pas non plus qu’elle fasse partie de la famille de sa voisine… il n’en connaissait pas tous les membres, mais de ceux qu’il avait pu rencontrer ou voir en photo, aucun n’avait une telle couleur enflammée.
Il la fixa quelques instants en silence, un peu surpris, avant de se reprendre :
« Oh hm, je suis désolé, je pensais.... Madame Eugénie ne vit plus ici ? » ça le surprenait, quand même. D’accord, ça faisait un moment qu’il ne l’avait pas croisée, mais…. Oh Seigneur. A son âge. Tout ça n’était pas bon signe, pas du tout. « Est-ce qu’il lui est arrivé quelque chose ? Dites moi juste qu’elle va bien, s’il vous plaît. »
Cette histoire commençait sérieusement à l’inquiéter.