We all have a backstory, huh ? Indéniablement. Mais c’était de ces histoires. Que s’écrivait le futur.
En face d’elle, Maisie ne perdit pas de temps. Ni en futilités. Ni en questions dérisoires. Ni en exagérations. Elle alla à l’essentiel, sans détour. Et si sa question aurait pu la déstabiliser, la faire hésiter ou même la faire réfléchir -à ce qu’elle pouvait révéler ou non, à ce qu’elle souhaitait réellement, à sa présence ici-, ce ne fût pas le cas. Sans perdre de temps, sans se perdre en explications compliquées, sans omettre de détails toutefois, sans aucun faux-semblant, l’Écossaise répondit à sa question, lui fournissant les informations nécessaires.
We all have a backstory.
C’était vrai, elle le savait bien. Et elle savait parfaitement que ceux qui connaissaient l'existence de la Guerre Sainte possédaient souvent les pires. Alors elle s’y attendait. Elle s’attendait à quelque chose de semblable à ce qu’elle avait déjà pu entendre, à ce qu’elle avait déjà pu voir, à ce qu’elle avait déjà pu vivre. Quelque chose de semblable, avec des larmes et du sang, comme toujours.
Il était grand temps de stopper tout ça.
À peine une gorgée de thé. Ce fût le temps nécessaire à la rousse pour trouver ses mots, pour lui livrer tous les secrets de son passé, pour lui révéler tout ce qu’elle savait de la guerre. Sans surprise, elle lui confirmait la connaître, lui confirmait ne pas avoir été surprise par ce qu’elles avaient pu voir et vivre à Édimbourg, lui confirmait que tout ceci lui était familier. Maisie continuait son récit, évoquant quelques noms qui éveillèrent des sentiments chez elle -ils étaient toujours si fort, bien trop-.
De l’étonnement, d’abord. Pour Lily. Car elle ne s’était pas attendu à la croiser sur ce champ de bataille et, dans son ancien état secondaire, elle n’avait pas été en mesure d’agir correctement -ce que, au fond, elle regrettait-. Elle n’avait pas été capable de comprendre les mystères qui entouraient la blonde et, aujourd’hui, elle voulait les percer. Car elle se demandait si Lily avait toujours été un apôtre, si elle l’avait été dès leur première rencontre. Et si c’était le cas, pourquoi ne pas l’avoir tué, ce jour-là ? À cette époque, ça aurait été si simple…
De la curiosité, ensuite. Pour Adélaïde. Car elle aimerait la revoir et surtout, comprendre. Comprendre pourquoi l’exorciste n’avait posé aucune question, pourquoi elle avait agit de cette façon et surtout, surtout, pourquoi elle l’avait aidé alors même qu’elle avait déserté, qu’elle les avait abandonné. Faisait-elle partie de ces exorcistes semblables à Destiny, qui agissaient avant tout pour eux ?
Tant de questions. Et si peu de réponses.
Et Maisie continuait de la happer dans un flot de paroles sans fin, et ça semblait être ce qu’elle faisait de mieux. Et elle, elle écoutait et enregistrait toutes les informations qui lui semblaient utiles, car c’était ce qu’elle faisait de mieux.
« À tous les coups, t'as dû te battre hm ? »
Buvant toujours son thé -qui petit à petit estompait son terrible mal de mer-, elle hocha simplement la tête. Sans surprise, pour la rousse comme pour elle, elle s’était battu. Car c’était ce que les exorcistes faisaient de mieux. Se battre et créer des troubles là où ils se rendaient. Deux Noés, un Akuma, c’était ce qu’elle avait affronté, ce jour-là, et elle n’oubliait pas leurs visages. Mais surtout. Elle n’avait pas été seule dans ce combat. Maxence avait été ses côtés. Et elle aussi, elle voulait la revoir. Pour s’expliquer, pour s’excuser. Elle lui devait au moins ça, après l’avoir abandonné, elle aussi.
À son habitude, Maisie ne lui laissait pas le temps de réellement répondre à sa question. Elle continuait ses paroles, sûre d’elle, de ce qu’elle avançait car une fois encore, elle avait raison. Et elle non plus ne s’était pas trompé sur elle. L’Écossaise savait se montrer sérieuse lorsqu’il le fallait. Raisonnable.
Parfois. Mais c’était bien assez.
« Ma sœur a travaillé pour la section investigation de la Congrégation, mes parents voulaient aussi que j'bosse pour la section médicale mais j'voulais pas, j'veux pas. »
Enfin, les informations qu’elle attendait. Enfin, elle comprenait pourquoi Maisie en savait tant sur la guerre. Elle avait été formé pour ça, pour rejoindre les rangs et participer. Elle avait été formé pour agir et soigner, ce qui expliquait ses facultés à opérer même dans les pires situations. Mais une question demeurait. Pourquoi refuser ? Rencontrer une -ancienne- exorciste, gérer des situations difficiles, avoir des responsabilités, aller sur les champs de bataille… Tout semblait lui tenir à cœur, semblait important pour elle. Alors pourquoi refuser ?
Devant son regard interrogateur -ou peut-être continuait-elle simplement ses explications-, Maisie répondit d’elle-même à sa question, sans qu’elle n’ait besoin de la poser, se livrant toujours sans aucun secret ni détour. Et au fond, c'était sans doute pour cela qu'elle lui faisait confiance. Car au fond, elle appréciait sa franchise.
« Il y a cinq ans, Carson, ma sœur, a été tuée par un akuma. Et cet akuma, c'était mon grand frère, Archie. Il avait perdu sa femme, et j'suppose qu'il a voulu la ramener. Anyway, mon frère a été détruit. Well, now, you know. Je suis désolée… »
C’était stupide. C’était dérisoire. Ça n'apporterait rien. Mais elle l’était réellement.
Elle l’était toujours lorsqu’on lui racontait toutes ces histoires sordidement banales qui découlaient de la guerre. Et elle comprenait le choix de l’Écossaise. Difficile d’offrir ses services à l’Ordre Noir après une telle tragédie. Après avoir perdu sa sœur et son frère. Après avoir vu ce dernier être abattu par un exorciste.
Mais en face d’elle. Elle souriait. Toujours.
Malgré tout, malgré ce qu’elle venait de lui confier, Maisie ne se séparait pas de son sourire et semblait toujours aussi enjouée et rayonnante. Et au fond, c’était peut-être pour ça qu’elle était venue la trouver, elle. Parce que malgré tout ce qu’elle pouvait vivre, malgré tout ce qu’elle pouvait endurer, malgré tout ce qu'elle pouvait affronter, elle ne perdait pas espoir, elle ne se perdait pas elle-même et elle continuait d’afficher son sourire. Et ce caractère, ce tempérament, ferait peut-être du bien au moral -souvent trop bas-, des autres exilés.
« Tu es une exorciste, n'est ce pas, Célania ? » finit par lui demander Maisie dans un murmure, changeant de sujet.
Il n’y avait rien de plus à dire du passé de la rousse, rien qui ne ferait pas remonter inutilement les souffrances d’une perte. Et si Maisie s’était montrée franche et honnête, c’était à son tour de l’être. Après tout, elle était là pour ça. Aujourd'hui, elle ne pouvait pas se cacher.
« J’étais, » corrigea-t-elle. « Enfin, mon Innocence est toujours là, » malgré tout ce qu’elles avaient affronté ensemble, « et je continue de me battre mais… Pas pour la Congrégation. »
Elle fit une pause, buvant une nouvelle fois son thé. Il lui faudrait tout dire, tout raconter, afin que Maisie puisse prendre ses propres décisions. Même si c’était dur, même si elle n’en avait pas envie, même si tout ça lui semblait si lointain.
We all have a backstory.
« J’ai été exorciste, pendant quelque temps, » raconta-t-elle enfin. « J’ai été envoyé sur toutes sortes de missions, j’ai affronté beaucoup de situations catastrophiques… » Beaucoup trop. « Mais surtout, j’ai perdu énormément. Des amis, des camarades, des équipiers… J’ai vu trop de personnes mourir. » Beaucoup trop. « On nous envoyait n’importe où, sans réfléchir, sans prendre le temps de se renseigner… Et on se retrouvait à affronter le pire sans y être préparé. Édimbourg n’a pas été la seule mission suicide que nous avons vécu. Et au final, » ajouta-t-elle tristement, « c’était toujours la même chose à la fin. Quand on rentrait, » si on rentrait, « c’était uniquement pour pleurer nos morts et se demander si la prochaine fois, nous serions à leur place... »
Et au final, c’était ce qui lui était arrivé.
Mais c’était normal, non ? Les guerres, n’importe quelles guerres, fonctionnaient de cette façon. Ne pas prendre en compte les unités, les combattants, les envoyer dans des missions mal préparées et hasardeuses, en pleine mer ou sur un volcan en éruption.
Non. Plus. Jamais.
« Je suis partie, » dit-elle avec un sourire désolé. Car au fond, elle se sentait toujours coupable. Coupable d'avoir abandonné ses amis, coupable d'avoir tout quitté. « et j'ai retrouvé d'autres personnes qui ont également préféré s'éloigner de la Congrégation… D'autres exorcistes, qui n'en pouvaient plus de subir tout ça. L'Ordre pense que nous avons abandonné la guerre pour de bon, que nous sommes simplement des déserteurs, mais c'est faux. » C'était tellement faux mais en même temps, si légitime de le penser. Au fond, elle les comprenait et elle acceptait qu'on puisse la détester pour ça. « On continue de lutter pour arrêter la guerre, une bonne fois pour toutes, mais à notre façon ; en sauvant le maximum de personnes, en n'abandonnant personne et surtout, en prenant nos propres décisions, réfléchies et qui nous semblent justes. Aux yeux des autres, nous ne sommes que des cibles à abattre mais on veut simplement arrêter toutes ces souffrances... »
Elle ignorait si elle l'avait convaincue, si ses convictions et ses explications trouveraient échos en Maisie. Mais avec son passé, ce qu'elle avait vécu elle aussi, elle l'espérait. Alors elle redressa la tête vers la rousse, résolue. Car si Maisie ne croyait pas en ses mots, elle y croyait plus que tout. Elle n'avait aucun doute.
Ce n'était que le commencement. Que le début.
Leur groupe, leur but, pouvaient paraître ridicules, dérisoires pour le moment. Mais ils allaient réussir, et surtout, ils s'en donneraient les moyens. Ils réuniraient ce qui leur était nécessaire et ils prendraient part à la bataille.
« Et on a besoin d'un médecin, » déclara-t-elle enfin.
Alors, intéressée ?
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