Ada et RisaBibliothèque d'Amsterdam
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Le Savoir et la Sherlock
Quelque chose chez elle me tracasse.
Quelque chose chez elle me perturbe.
Quelque chose chez elle m'inquiète.
Quelque chose... hm.
Je me sens si concernée par le sort de cette femme sans même en connaître la raison. Pourtant, ma nature de Noé voudrait que je la laisse seule, que je ne m'en approche pas -et je sais que c'est ce que veut Dominus- mais... non. Suis-je réellement obligée de laisser tomber mon humanité pour servir la cause? C'est une sorte de tiraillement interne qui se pose actuellement. Et pour une fois, je vais agir de façon non planifiée à l'avance : je vais suivre mon instinct -inexistant-. Ou bien est-ce mes émotions? Raaah, trop de questions là, je vais me mettre à bouillir intérieurement.
- Je suis flattée que vous souhaitiez proposer votre aide, miss van Eyck. Mais je ne désire aucunement vous déranger avec mes histoires personnelles. Je me sens honteuse de devoir embêter une aussi ravissante jeune femme.
Je souris rapidement, pour la rassurer. Pour lui montrer que cela ne me dérange aucunement. Sinon, pourquoi lui aurais-je proposé mon aide?
- Ca ne me dérange aucunement. Sinon, je ne vous aurais pas proposé mon aide. Et puis, quel genre de ravissante jeune femme serais-je si je n'aidais pas mes comparses en retour, hm?
C'est vrai ça. Je n'ai pas souvent besoin d'aide, mais imaginons si un jour, j'en ai besoin. Qui sera là pour m'aider, si je n'aide personne moi avant? Je déteste faire le premier pas, qu'importe la situation, j'ai toujours préféré observer puis agir. Enfin, c'est rare que je fasse le premier pas quoi.
- Votre gentillesse me va droit au cœur, mademoiselle van Eyck. Il est rare de croiser des gens agissant avec attention envers une inconnue. Je vais même me mettre à rougir de timidité si vous continuez à agir ainsi.
Je souris. Un peu tristement à vrai dire.
Je ne suis pas gentille. J'ai tué des gens, des gens que je ne connaissais pas, des gens qui ne l'avaient peut-être pas mérité? J'ai obéi aux ordres, j'ai suivi ce que Dominus me disait. Evidemment, j'ai directement remis mon action en cause. La première fois que l'on tue quelqu'un c'est... étrange. Ca fait mal. On se remet en question. Mais j'ai franchi la limite, celle que je ne verrai plus jamais. Une fois qu'on a commencé, on ne peut plus revenir en arrière. Ces personnes sont mortes, qu'importe si elles le méritaient ou pas. Je n'ai pas choisi de faire ça non plus.
Dans cette guerre, c'est chasser ou être chassé. Et il faut bien des monstres pour en détruire d'autres.
alors non, je ne suis pas gentille.
- Vous semblez connaître d'innombrables trésors dans votre esprit. Êtes-vous le savoir incarné ? Si c'est le cas, je ne m'attendais point à rencontrer la beauté à l'état pur. N'êtes-vous point embêté par des prétendants désirant voler votre cœur pour le dorloter jusqu'à la fin de leur vie ?
Elle me lance un clin d'oeil et malgré tout, je ne peux m'empêcher de rougir. Finalement, c'est moi qui rougit, oui. Puis je me mets à rire, passant ma main dans mes cheveux.
- Je n'oserais pas aller jusqu'à dire que je suis le savoir incarné. Ce serait trop en faire. Mais je... vous remercie pour tout ce que vous me dites là. Cela me touche beaucoup. Je fus embêtée, il y a un temps déjà, par des hommes en qui en voulaient surtout à mon argent et à mon statut social. Mais j'ai fait comprendre à mes parents qu'il était hors de question que l'on m'emprisonne dans un mariage sans queue ni tête. Et j'ai bien fait, je pense. Qui sait ce qu'il serait advenu de moi?
M'enchaîner dans un mariage arrangé, à devoir vivre aux dépends d'un homme que je n'aimerais même pas? Trop occupée à faire ce que les dames de ce temps sont censées faire, c'est-à-dire des enfants, aller à des salons et être belle.
Pouah, non jamais, très peu pour moi, vraiment.
- À mon plus jeune âge, nombre de garçon sont venus me voir afin de me demander ma main. Cependant mon cœur battait plus pour connaître du savoir et non de l'amour. Un jour je l'ai trouvé. Du moins je le pensais. Mais je me suis fourvoyée. Au lieu d'être heureuse, j'ai connu un désespoir sans fin et mortel.
Elle bat des paupières, semblant confuse. moi aussi, je l'accompagne dans son geste. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle me dise ça. Je n'ai pas l'habitude de cotôyer des gens s'ouvrant facilement sur leurs vies, et j'en fais d'ailleurs partie.
- Je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses. En fait, je pense n'être d'aucune agréable compagnie pour vous.
- Non non Risa, ne vous excusez pas. Si vous m'avez confié ces choses, c'est que vous en ressentiez le besoin.
J'incline la tête vers elle, pour appuyer encore plus mes paroles. Personne ne s'est encore jamais confié à moi. Personne. Peut-être parce que j'ai l'air trop méchante. Peut-être parce que justement, je suis trop fermée. Peut-être, peut-être, je ne sais pas, je ne saurai sûrement jamais pourquoi le commun des mortels me semble si éloigné et si proche en même temps.
Elle me donne ensuite les seules informations qu'elle a sur sa famille, leur nom de famille. Holmes. Je pince mes lèvres un instant, réfléchissant un temps avant de répondre.
- Ce nom ne me dit rien. J'essayerai de me renseigner malgré tout, j'ai quelques contacts aux Pays-Bas mais aussi en dehors. Peut-être que j'arriverai à dénicher quelque chose. D'ailleurs, que j'y pense.
Je saisis un petit bout de feuille, et y note mon adresse. C'est plus facile pour se retrouver. Je le lui tends, la regardant avec cet air sérieux qui ne se décroche pas de mon visage.
- Si vous avez besoin d'informations ou que sais-je, envoyez une lettre à cette adresse. Ou si même vous êtes dans le besoin, vous pouvez venir sonner chez moi. Je m'en voudrais de laisser une belle femme telle que vous dehors.
Bon, c'est vrai, certains mots s'échappent tout seul. Ca arrive.
- Peut-être me trouverez-vous idiote ou bizarre en vous avouant que l'amour, l'attachement sont des sentiments inconnus par l'organe battant dans ma poitrine qui me maintient en vie.
Je secoue la tête, tentant -je dis bien, tentant- de prendre un air rassurant, ce qui n'est pas forcément mon fort. On dirait à chaque fois que je donne des ordres, ou que je suis sèche, alors que je ne le suis pas du tout. C'est vraiment une sale habitude qu'il faut que je perde.
- Ce n'est pas idiot du tout. Risa, vous êtes une bonne personne à qui il est arrivé de mauvaises choses. Vous devez à tout prix aller de l'avant et ne pas vous attarder sur ce qu'il s'est passé derrière. Observez plutôt le futur et toutes les choses qu'il vous offre. Vous êtes une femme intelligente, vous y arriverez.
Et alors là, elle me surprend. Elle prend délicatement mes mains dans les siennes. Je les observe, avant de relever les regards vers cette jeune femme devant moi, l'air interloquée. On ne m'a jamais fait ça.
Si. Ma mère me faisait ça quand elle voulait me parler.
mais personne n'a jamais osé attraper mes mains de la sorte.
Et cette femme n'a pas fini de m'étonner. Jamais. J'écoute attentivement ce qu'elle a à me dire et je suis très impressionnée par ses déductions. Elle est forte. Très forte. Non, vraiment. Je n'avais jamais, ô grand jamais, rencontré quelqu'un de la sorte. Elle est... plus qu'intelligente à vrai dire. Si seulement elle savait qu'elle venait de donner une claque au Savoir en personne, c'est dingue.
Mais néanmoins, je souris tristement.
Car il y a quelque chose dans ses paroles qui me touchent.
- Je ne peux pas vous faire croire que je suis quelqu'un de gentil. Je ne le suis pas. J'agis simplement d'une manière juste. Mais gentille... je ne peux pas me qualifier ainsi. Vu que vous avez parlé de rose, je... tiens à vous dire que je suis relativement impressionnée par vos déductions. Vous avez vu juste. La rose est aussi une fleur qui me tient à coeur. C'est peut-être un peu cliché mais je trouve qu'elle me ressemble bien : difficile à appréhender, avec ses trop nombreuses épines mais une fois qu'on arrive à la saisir correctement, elle se révèle d'une autre manière. Ce sont également mes fleurs favorites.
Je souris, encore, pour la millième fois au moins aujourd'hui. Parce que j'ai l'impression d'être avec quelqu'un qui me comprend.
Enfin.
Quelqu'un qui me comprend. Je l'ai tant attendue.
Risa lâche ma main, et en un frisson, mes mains sont redevenues froides. Je remets mes manches correctement, appuyant un de mes coudes sur la table.
- Vous m'avez l'air fatigué. J'espère que ce n'est point de ma faute. Dure journée ?
Et là, je me lève, je prends ma veste et mon écharpe avant de remettre ma chaise en-dessous de la table.
- Nous devrions continuer cette discussion dehors. Evitons de déranger les gens qui essaient de lire, hm?
Et là, c'est à moi de lui lancer un clin d'oeil, attendant qu'elle se lève à son tour avant de me diriger vers la sortie.
Le mélange du froid et du chaud du printemps me fouette le visage mais j'apprécie cette sensation. Même si je ne ressens plus le froid et que je ne peux plus tomber malade depuis que je suis une Noé, je m'habille toujours dans l'air du temps. Déjà de un parce que ça ferait vraiment étrange une femme en manches courtes en plein mois de décembre par exemple, mais aussi et surtout car j'aime rester connectée à l'air du temps. ça me permet de rester accrochée, un tant soit peu à ce monde encore.
- Pour répondre à votre question, ce n'est pas vous qui me fatiguer, que du contraire. J'ai l'impression de prendre un grand coup de frais avec vous. Les journées sont dures, et longues, parfois interminables. Je n'ai pas beaucoup de temps pour moi à vrai dire !
Déjà avant, je n'avais pas beaucoup de temps pour moi.
Mais maintenant que je suis une Noé, que me reste-t-il?
pas grand-chose à vrai dire.