Tu entendais la voix d'Atem résonner à l'intérieur du chapiteau que vous aviez installé dans un immense parc le temps de votre représentation. Ici pas d'animaux, pas d'autres espèces à observer que vous et vos prouesses artistiques. Dans les coulisses, des jongleurs, des souffleurs de feu et d'autres hommes et femmes tous enjoués se préparaient pour leurs propres participations, se maquillant encore et encore, scrutant leurs vêtements pour déceler le moindre défaut. D'autres étaient déjà passés et aidaient le reste de la troupe. Toi, tu te tenais devant les rideaux, le masque de sanglier tenu sous le bras et tes yeux émeraudes étaient figés sur la foule installée en arc de cercle autour de la piste. Tu pouvais les voir à travers l'ouverture minuscule qui se dessinait entre les rideaux, et ton cœur battait plus vite au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient. Atem avait une tenue très élégante et captait sans mal tous les regards – il se mêlait bien plus aux autres que toi et il paraissait si grand, si éblouissant par rapport à tous ceux qui se trouvaient ici que tu ne parvenais pas longtemps à détourner les yeux de lui. Bientôt, tu rencontrerais son regard et tu filerais sur la scène, mais avant cela ton attention se détourna rapidement vers quelques uns des autres artistes qui t'interpellèrent, pour te souhaiter bonne chance. Le sourire aux lèvres, leurs regards pétillaient et une vague de chaleur pulsa dans tes veines.
Peu importe si tu leur jetais des regards noirs, peu importe si tu ne leur adressais que peu la parole, tu avais l'impression qu'ils ne se lasseraient jamais d'essayer de t'encourager et au fond tu sentais ton cœur bondir dans ta poitrine – d'un peu de reconnaissance, d'un sentiment qui te faisait du bien parmi tout ce qui te faisait du mal – mais tu ne voulais pas qu'ils le sachent et alors tu avais froncé les sourcils, serrant la mâchoire en détournant le regard. Cette chaleur qui pulsait en toi se répandait à partir de ton palpitant jusqu'aux extrémités de ton corps, et la voix forte d'Atem résonna plus fort encore.
« Veuillez applaudir, mesdames et messieurs, l'acrobate solitaire, j'ai nommé Adriel ! » Cette fois-ci, c'était à ton tour et tu plaças rapidement le masque de sanglier sur ta tête avant de plonger tes mains dans la coupe de farine et de foncer hors des coulisses, te précipitant vers le trampoline au centre de la scène pour bondir dessus et te propulser dans les airs, attrapant fermement l'un des trapèzes. Si tu étais toujours renfermé sur toi-même, rejetant les autres et leurs bonnes paroles, il n'y avait pas de représentations pour laquelle tu ne donnais pas
tout. Comme un remerciement muet, toute la gratitude que tu pouvais avoir envers la troupe Mercure – et plus particulièrement Atem qui t'avait tendu la main ce jour où il n'avait cessé de pleuvoir – s'exprimait à travers toute la grâce qui émanait de tes mouvements, toute la concentration que tu possédais à exécuter tes figures. Tu voltigeais entre les trapèzes comme si toutes les chaînes qui t'écrasaient au sol s'étaient distendues et t'offraient un peu de liberté. Tu voltigeais entre chaque trapèze comme si tu te sentais libre de tout, comme si aucun traumatisme ne s'était ancré dans ta chair et dans ton âme,
comme si tu possédais tout ici et rien ailleurs – et pourtant il y avait ta sœur que tu cherchais inlassablement et la reconstruction de toute une vie que tu tentais de rebâtir.
Ta peau suait, ton cœur cognait contre ta poitrine tandis que tes prouesses se multipliaient. Dès que tes pieds retouchaient le trampoline, tu effectuais à nouveau une figure puis tu ressautais et tu attrapais toutes les accroches suspendues au chapiteau. Parfois, ton regard se perdait sur la foule et tu voyais tous ces sourires, tous ces yeux émerveillés par chaque spectacle – et en l'occurrence par le tiens – et bientôt, tu sautas une dernière fois sur le trampoline avant d'atterrir au sol, prenant une pose qui t'allait bien (un peu bestiale mais un peu raffinée aussi) et ton poitrail se soulevait fortement. Tu retiras ton masque de sanglier, alors que Atem s'approcha de toi, te félicitant à voix basse avant de porter le mégaphone à ses lèvres pour parler au public. Tes mains te brûlaient un peu mais le regard et le sourire fier de ton mentor s'étaient inscrits dans ta mémoire. Tu t'inclinas légèrement, et tu repartis te cacher dans les coulisses, essoufflé. Tu avais fais de ton mieux, encore une fois, et il te fallait te débarrasser de ta sueur mais avant tu voulais déjà te rincer les mains et déposant ton masque de sanglier, tu te dirigeas en dehors du chapiteau pour aller en direction du robinet. Les rayons du soleil déversait leur chaleur sur ton épiderme, et tu t'empressas de te mettre à l'ombre d'un arbre où se situait la fontaine à eau pour profiter d'un air plus frais. Allumant le robinet, tu pestas contre celui-ci en constatant que le filet d'eau était faible et tu mis tes mains en dessous. La fraîcheur calmait les brûlures que tu t'étais faite – et si tu pensais pouvoir être loin de toute interaction humaine, une voix résonna jusqu'à toi. C'était celle d'une jeune fille, au teint halé et aux cheveux de neige. Elle avait un sourire aux lèvres, presque jusqu'aux oreilles et
tout vous opposait – toi et tes cheveux sombres, toi et ta mine renfrognée, toi et ta volonté de rester loin des autres parce que te rapprocher c'était exposer ton cœur et ce que tu étais, ce que tu avais fais et tu avais bien trop honte, tu te détestais bien trop pour rajouter le dégoût des autres à ton égard.
Tu es le sanglier. Était-elle une spectatrice ? Tu fermas le robinet, la mine froncée alors qu'elle se présenta – répondant au doux nom d'Anja – avant de s'enfoncer dans un monologue que tu ne voulais pas écouter plus longtemps. Tu allais couper court, lui dire de se taire et d'aller voir Atem si elle voulait quelque chose, mais elle avait rit et s'était ensuite repris. Toi, important ? De quoi parlait-elle ? Et pourquoi voulait-elle savoir ton nom ? Et pourquoi ne s'arrêtait-elle pas de sourire comme ça ?
« Qu'est-c'que ça peut t'faire ? Et c'est quoi, ce truc ? » dis-tu sur un ton toujours aussi désagréable que tu pouvais l'être, tes yeux émeraudes la scrutant alors que tu avais fais un signe de tête en direction de ce qu'elle transportait avec elle. Anja était lumineuse,
solaire et avenante. Elle s'entendrait bien avec Atem, mais avec toi... Avec toi, ce serait sans doute un peu plus compliqué.
Halloween