Le regard (noir) fatigué, tu avances le long de l’allée aux peupliers — à moins que ça se soient des hêtres ou des chênes, tu ne saurais dire (chez toi les arbres se ressemblent tous (et ils ne ressemblent pas à ça (chez toi, les arbres ne font aucun bruit, n’hébergent aucune vie (chez toi, les arbres sont artificiels, depuis bien longtemps, souillés par ce qui les entoure (chez toi)))))) tu aimes simplement cet ensemble de mots, l’allée aux peupliers — en traînant des souliers (allée (peupliers (souliers (beauté)))), lasse de l’entrevue qui t’attend, et de cette mission que tu entreprends. Une nouvelle mission, oui, encore. Il y a toujours une mission, toujours un ordre à répondre, une information à donner ou à fausser, un Noé à héberger et un Exorciste à égarer — à moins que ça ne soit l’inverse (petit soldat errant entre les deux camps, tu ne sais plus où donner de la tête à force) — et ce n’est pas ta venue en France qui allait t’épargner. Tu es une bien trop bonne recrue pour qu’ils te laissent de côté — La Grise est fidèle, efficace et discrète — même lorsque tu n’es plus en train de pourrir dans ton atelier, prenant racine au milieu de tous ces instruments. Oh, tu le savais, bien sûr, tu le sais, qu’où que tu ailles, tu ne sauras jamais tranquille — et alors, envolé les rêves de vie parisienne (envolées les promesses (car Ombeline aussi, ils sauraient la retrouver)) — après tout, tu étais allée te perdre sur une île au peuple monstrueux, en compagnie de l’un des tiens. Mais, tout de même, tu aurais aimé rentrer chez toi, avoir du temps pour renouer avec la vie que tu as laissée derrière toi et ces histoires inachevées qu’il faut reprendre. Enfin. Tu n’as d’autres choix que d’être ici, aujourd’hui, pour remplacer au pieds levé celui qui, normalement, se fait porteur des nouvelles et des informations cruciales pour ce camp que tu trahis — à moins que ça ne soit l’inverse ( ). Il a accepté de te loger, le temps que tu réalises une commande impromptue, mais bienvenue (les francs valent tant chez toi), et maintenant c’est à toi lui rendre la pareille. Voilà pourquoi l’allée aux peupliers les souliers la beauté Et cette grande porte qui te fait face maintenant, allant de paire avec la grande maison devant laquelle tu te tiens, à moitié avachie — la Grise est si grande qu’elle en oublie de se tenir droite (certains disent qu’elle aurait peur de toucher le ciel (qui sait ce qu’Il lui réserve)) — habillée de vêtements qui, tu t’en rends compte maintenant, jurent parfaitement. Peut être aurais tu dû mettre une robe, pour une fois ? Plutôt que l’un de ces pantalons de toile que tu aimes tant — que cette chemise volée à ton (amant) hôte — laissant dépasser tes frêles chevilles. Et ces souliers abîmés par la route, aux lacets cassés, qui n’ont eux aussi rien de bien féminin. Il n’y a bien que le maquillage sur ton visage pour sauver ce triste tableau, et rajouter un minimum de féminité à ta stature — et faire oublier ces cicatrices qui te défigurent (et cet œil mort, présage malheureux) — que tu rectifies, en entendant les pas derrière la porte. D’un geste rapide de la main, tu défais le chignon maladroit qui retenait tes mèches aquarelles et te recoiffes, juste à temps pour offrir un portrait séduisant au serviteur qui te fait face. « Je suis venue voir Madame Berthelot, c’est monsieur Semir qui m’envoie. Il est malade et ne peut se déplacer, il m’a demandé de le remplacer. J’ai des informations pour votre maîtresse. »Et un sourire, ravageur, pour faire oublier toute cette fatigue qui se traîne encore au fond de ta pupille valide. |
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Histoires (a guide to the dark places) || Faustine
Rang F
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