impénétrables.
Pourtant, si j'avais su ce qui m'attendait, j'aurais prié pour avoir une chasse aux monstres classique à la place. Ce qui n'aurait pas allégé mon humeur...
Les disparitions avaient eu lieu en Italie, dans un petit patelin ne brillant guère par sa célébrité. Apparemment, tous avaient disparus dans l'église du village, sans laisser de traces... A l'exception d'un tas de cendres et quelques vêtements, peut-être? Les informateurs n'avaient rien dit à ce sujet. Il pouvait aussi s'agir d'un Noé, ou d'une innocence... Ou peut-être de tout autre chose. D'où mon envoi là-bas: je devais récolter de plus amples informations, et régler le problème.
Je n'aurai même pas le plaisir d'être seul. Un de ces fichus "élus" était déjà sur place, apparemment. Une diacre, qui plus était. La Congrégation, supposais-je, avait jugé que si ces disparitions avaient lieu dans une église, c'était que la cause était liée à la religion. Sans doute quelqu'un qui détestait particulièrement les cul-bénis et autres pieux humains; en conséquence, une des leurs devrait le faire sortir facilement de sa cachette. Tant mieux: je n'aimais pas jouer à cache-cache. Bien entendu, mes ordres étaient aussi de ne pas perdre l'appât, mais je n'avais aucune crainte à ce sujet: dès que l'ennemi montrera son nez, je le lui écraserai d'un bon coup de poing.
Grâce à l'arche, je n'eus pas à prendre le train. Enfin... "Grâce"... Je ne détestais pas les longs voyages, que du contraire. A mes yeux, ce n'étaient rien de moins que des rares moments de calmes, au milieu de gens qui ne me considéraient pas comme un monstre -un géant effrayant, certes, mais pas un monstre. Et puis, quand je n'étais pas en mission, j'étais forcé de rester cloîtré à Central. Ce n'était pas comme cela que j'allais retrouver Caroll. Le trajet était le moment où j'avais le plus de chances de la voir, même si celles-ci restaient infimes... Pour ne pas dire nulles. Malgré tout, il y avait malgré tout un bout de voyage à faire: le point de passage le plus proche était à quelques heures de train et de marche de ma destination. Forcément: le village était au milieu de nul part.
L'arche... Bon sang, que je détestais ce truc. Il était la représentation parfaite de l'incohérence humaine: tous les crétins qui l'empruntaient ne cessaient de s'en réjouir, heureux de gagner tant de temps. Pourtant, n'était-ce pas une construction du Comte lui-même, l'arme de l'ennemi que l'on utilisait contre eux? Forcément, difficile de haïr un objet sans vie, de l'insulter et de le mépriser pour pouvoir se sentir supérieur...
Ce genre de moutons noirs, c'était bien mieux avec un visage et des émotions.
Je me demandais quelle tête tirerait ma partenaire, en voyant ce que j'étais. Peur? Haine? Mépris? Que pensaient donc les adorateurs de croix de ces expériences? J'allais bientôt le savoir, même si je me doutais déjà que la réponse m'agacerait.
Quand je passai la porte, la chaleur m'assaillit brusquement. Automne ou pas, l'Italie était trop près de l'Equateur à mon goût... Je me dépêchai de rejoindre la gare, fuyant les ruelles exposées et donc torrides.
J'arrivai au village sans, bien entendu, avoir vu ma sœur. Espérais-je vraiment à chaque fois? Oui. Et c'était bien cela qui était horrible. Mais j'avais presque l'habitude de cette cruelle déception, et elle ne freina pas mon pas vers l'église. Je me souvins des messes auxquelles mes parents me forçaient à assister... Il y faisait toujours glaciale. Espérons qu'il en soit de même ici: ce serait moins désagréable que cette canicule.
Sauf que, bien entendu, il n'en fut rien: je crus que j'allais mourir asphyxier en entrant dans le lieu sacré, tant il y faisait lourd et étouffant. Il n'y avait pas de messes, ni même l'habituelle poignée de vieilles personnes docilement assises, serrant un chapelet ou une croix et remuant les lèvres pour dicter de muettes prières, les yeux baissés: les disparitions les avaient dissuadées de venir.
La peur l'avait emportée sur la foi...
Il n'y avait qu'une personne: la fameuse Jeanne-Louise, au rendez-vous à l'heure prévue. Enfin un point positif! Satisfait de cette ponctualité, je m'approchai, et tendis la main en me présentant:
Cette poignée de main était un test: il s'agissait de mon bras "corrompu". Oserait-elle me la serrer? Ou le dégoût, la crainte, la haine l'en empêcherait?
C'était assez rare, que je donne une telle chance à autrui. En général, tout ce qui portait une innocence n'avait droit, par défaut, qu'à mon mépris -mépriser avant d'être méprisé. Mais elle avait l'air... Bienveillante. Peut-être l'association ne serait-elle pas aussi pénible que prévu...
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