[FLASHBACK] Watch out for thieves !

La pluie tombait, inlassablement, trempant jusqu'aux os une petite demoiselle assise à même le sol, les genoux remontés contre la poitrine. Pourtant, personne ne la remarquait, cette demoiselle. C'était, au final, une enfant des rues comme une autre, une mendiante comme on en ignore tant d'autres. Son jeune âge n'attirait pas plus de sympathie. Au contraire, elle avait le regard noir et la fierté des adolescents de son âge, qui ont un peu trop confiance en eux. Approchez-la, et vous allez craindre ses regards assassins, ses insultes mal prononcées avec un fort accent méditerranéen, et une férocité digne d'un animal sauvage abandonné. Mais craignez aussi si elle vous regarde avec candeur, si elle saisit la main que vous lui tendez, si elle parait innocente, parce que dans ce cas-là, cela signifie que son autre main est dans vos poches, en train de les vider sans même que vous ne le voyiez.

Personne ne la regarde, la petite espagnole, c'est la meilleure solution pour se protéger de cet animal-là.
Mais parfois, l'animal part à la chasse.
C'est dans ces moments-là, qu'il devient plus dangereux.

Une toute petite - trop petite - tête blonde, cachée sous une capuche noire, repérant une proie facile de son regard sanguin. Un visage enfantin qui ne suscite pas grande méfiance, tout juste de la sympathie, et un peu de pitié – quelle horreur.
Cristal avait ce monde entier en horreur.
Alors aujourd'hui, c'était à elle, de se moquer d'eux.
Et elle trouve rapidement ce qu'elle cherchait. Parmi les passants insouciants, un homme, paraissant d'une bonne classe sociale, ni trop haute, mais certainement pas à la rue comme elle l'était.
C'était largement suffisant - il valait mieux ne pas viser les gros poissons pour s'éviter de gros ennuis.

Gardant une posture neutre, accélérant légèrement son rythme de marche, Cristal finit par bousculer sa cible, prenant très rapidement et agilement ce qui se trouvait dans ses poches. La capuche ramenée devant la tête pour être plus crédible, elle marmonna une excuse en français, avant de se détourner rapidement.
Tous des pigeons.

Le portemonnaie en main, Cristal était satisfaite. La chasse commençait bien. Un premier larcin réussi, c'était la garantie d'une journée réussie. La plupart des gens - surtout les parisiens - ne prenaient pas garde au passage des enfants, qui bousculaient fréquemment les passants lorsqu'ils se lançaient dans des jeux de course poursuite. Et, avec sa petite taille, Cristal pouvait aisément se faire passer pour une enfant, en cachant son visage sous sa capuche - en cachant ses yeux qui reflétaient une haine qu'aucun enfant ne pouvait contenir.
Ah, vraiment. Des pigeons, ces parisiens.

Quoique. Ça ne s'était pas passé exactement comme ça l'aurait du. La plupart des plumés ne s'en rendent pas compte tout de suite.
Alors quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle vit le même homme qu'elle avait détroussé juste avant. Il l'avait visiblement suivie jusqu'ici. En voilà un qui était coriace.
Le larcin s'était transformé en chasse. Et elle comptait bien la gagner.

La tête toujours sous la capuche, Cristal toisa l'homme plus en détails. Grand, fin, trentaine d’années sans doute. Il avait l'air en forme, ça allait donc être plus délicat de le semer par la vitesse pure - bien que la fillette soit largement habituée à courir pour s'échapper.
Il allait falloir ruser.
Mais puisqu'elle se retrouvait devant le fait accompli, elle n'allait pas non plus se priver de provoquer.

-On a perdu quelque chose ?

Et, tout en disant ça, la blonde lança le portefeuille volé avant de le rattraper.
Moqueuse, la petite voleuse.
Et, immédiatement, Cristal se retourna vers le côté opposé de la ruelle, faisant tomber les poubelles qui longeaient la rue derrière elle pour ralentir la course de son poursuivant.
Que la chasse commence.

La petite ruelle donnait sur une autre rue, bien plus grande. L'idéal pour se fondre dans un groupe de passants. Mais pas n'importe quel groupe. Cristal en chercha un en particulier, qui lui fournirait une cachette parfaite.
Trouvé. Non loin de là, un petit groupe d'adolescents jouait à faire des figures avec un ballon.
Cristal enleva sa capuche, pour paraitre moins suspecte, et rattrapa le ballon au moment où il tombait par terre.

-Hé ! Qu'est-ce que tu fais ? Rends-le-nous !
-Je vous montre comment on fait, amateurs.

La demoiselle avait grogné dans un français très bancal, même pas correct, puis se mit à essayer de les imiter.
Évidemment, elle n'y arrivait pas - elle n'avait jamais fait ça.
Mais au moins, en se fondant dans le groupe, elle espérait passer inaperçue auprès de celui qui la poursuivait.

Sa ruse allait elle fonctionner ?
La demoiselle s'était précipitée, n'avait pas eu le temps de mieux se fondre dans un groupe. Celui qu'elle avait choisi, un groupe d'adolescents joueurs de football, n'allait pas tarder à la faire repérer, n'ayant visiblement pas apprécié de se faire prendre leur ballon par une complète inconnue.

-Mais qu'est-ce que tu fais ? Tu sais même pas y faire !

De fait : à peine avait-elle pris le ballon, que celui-ci lui échappa. La jeune fille partit le rechercher en pestant. Quel jeu débile. En quoi est ce que ça amusait les gens, d’aller courir après une balle ? Seuls les chiens faisaient ça. Elle était supérieure à de simples animaux !
Pourtant, à ce moment-là, juste pendant ce cours instant, elle devait faire avec.
Mais son piètre niveau de footballeuse allait la faire découvrir.
Vraiment, elle avait choisi le pire groupe.
Déjà, elle entendait la bande lui parler avec des mots français qu’elle ne comprenait pas bien, mais l’intonation ne trompait pas : ils n’étaient pas contents de son intervention, et avaient bien l’intention de lui faire savoir.

Mais ce fut autre chose qui la poussa à partir d’ici au plus vite.

-Bonjour, n'auriez-vous pas vu une fille encapuchonnée, par hasard ? Elle est petite à peu près comme ça. Il s'agit de ma précieuse sœur et je l'ai perdue de vue.

Cristal se retourna vers la voix, pour voir une grande silhouette qu’elle avait déjà aperçue plutôt.
C’était le pigeon au portefeuille.
Il était sacrément coriace, celui-là. Rares étaient ceux qui la poursuivaient jusqu’au bout, n’ayant ni la force ni le courage de s’élancer dans une course poursuite.
Celui-là semblait avoir les deux, en plus d’avoir une motivation sacrément bornée.
Il n’allait pas être facile à berner.
Et surtout. Comment osait-il la désigner comme si petite !? Elle n’était pas une naine non plus ! Lui avait beau être grand, elle ne pouvait pas lui apparaitre si petite !
Oh il allait regretter de ne pas s’être simplement laissé voler comme tout le monde.

Sa couverture ne dura pas longtemps. Déjà, les adolescents lancèrent un regard méfiant vers l’espagnole, la désignant du doigt.

-C’est pas elle ? On sait même pas c’est qui, elle s’est incrustée.

Pas besoin de comprendre tous les mots pour savoir comment tournait la situation : en sa défaveur. Inutile de garder le masque plus longtemps.
Adressant un franc bras d’honneur à tous ceux qui composaient ce petit groupe, Cristal les insulta grassement en espagnol.

-Ladrones !

Avant de tourner les talons, et, cette fois, sans avoir eu le temps de préparer une ruse, elle fila à travers les passants dans la rue, espérant que sa petite taille lui donnerait un léger avantage.
Attrape-moi si tu peux.