Les Civils

Sól est née il y a 51 ans, à Husavík, petite bourgade portuaire seulement habitée par quelques pêcheurs, fermiers et moines. Elle est la fille d'Ísak Ingólfsson et Æsa Eldjárnsdóttir, un couple de fermiers descendant d'islandais résidant en Islande depuis les premières générations.

À 7 ans, sa mère meurt en couche, son petit frère ( Siríus ) vient au monde. Ne pouvant s'occuper de l'enfant, et meurtri par la mort de sa femme, Ísak le laisse aux mains du Destin. Sól est chargée de le déposer près d'une petite ferme habitée par des moines, à côté d'un ruisseau, enroulée dans un grand voile sale. Alors qu'elle s'éloignera, elle assistera à un « étrange phénomène » : un cristal divin sortira du ruisseau et viendra se loger dans le voile – qui deviendra d'ailleurs éclatant de blancheur. Avant de s'en aller, Sól verra un vieil homme ( Þjóðbjörn ) s'approcher du nouveau-né et repartir avec ; maigre soulagement pour la fillette.

Ísak et sa jeune fille quittent dès lors le village ; et traversent toute l'Islande à cheval durant un hostile voyage de plusieurs jours jusqu'à Reykjavík. Pendant neuf ans après la mort d'Æsa, elle accompagne son père partant pêcher dans la Faxaflói pour subvenir à leurs besoins. Elle l'aidera à la tâche avec ses petites mains, souvent sans parvenir à détacher son regard des baleines fréquentant les eaux de la baie. Ils vivent très simplement ; et c'est une vie qui convient à Sól, quand bien même les images de sa mère et de son petit frère abandonné viennent entacher le tableau. Ísak, rongé par la culpabilité, ne s'en est jamais vraiment remis, et alors que sa fille est âgée de 16 ans, il décède des suites d'une pneumonie foudroyante. S'en suit une période d'égarement pour l'orpheline, obligée de voler pour survivre quand elle ne trouve pas de petit boulot dans les tavernes et autres auberges de la ville ; refusant de sombrer dans la prostitution. Quelques années plus tard, elle finira par quitter clandestinement l'Islande pour rejoindre le Vieux Continent, regagnant la Norvège.

Neuf longues et pénibles années après la mort de son père, alors qu'elle est âgée de 25 ans, Sól devient l'hôte du Mythe.

Elle ne parvient à se familiariser au Clan Noé, à s'adapter à cette nouvelle vie. Un homme viendra alors vers elle malgré sa marginalisation : Otto von Larsen, l'hôte de la Rédemption. Âgé d'une trentaine d'année – et bel homme –, Otto est un philanthrope issu de l'aristocratie norvégienne ; c'est en partie pourquoi ses premiers contacts avec Sól se voueront à l'échec : la jeune roturière méprisant particulièrement ce milieu. L'Islandaise n'est pas des plus avenantes, elle le repousse ; mais le Norvégien, patient et sincère, ne désespère pas – et ses efforts finiront par être concluants. Au fil du temps, ils se rapprocheront : Otto brisera la barrière du milieu qui les sépare, quand Sól cessera de le stigmatiser pour son rang. L'amitié perdure, mais d'autres sentiments, doux et intense, s'ajoutent. Les années passent sans que le temps n'influe sur eux : amis et confidents deviennent amants, époux et enfin parents. Sól donne naissance au fruit de leur amour, huit ans après être devenue une apôtre de Noé : un fils, qu'ils nommeront Lúkas. Le couple et leur enfant emménagent dans une grande demeure située dans les orées de Paris. Sól et Otto, malgré leurs devoirs d'Apôtre, ne négligent en rien leur vie de famille, qu'ils privilégient. Durant toutes ces années, la jeune mère doit apprendre à s'adapter au milieu aristocratique de son conjoint, finissant même par s'y faire un certain nom ; mais jamais elle n'oublie ses origines. Jamais elle n'a oublié ses parents. Pas un seul instant elle n'a oublié son petit frère qu'elle n'a pas vu grandir. Quinze années après s'être ouverte à la Mémoire de Noé , il lui arrive encore de se demander s'il est seulement vivant : ce qu'elle ignore à ce moment là, c'est qu'elle trouvera les réponses dans les jours qui suivront.

Après quarante longues années d'existence – alors qu'elle n'a encore que 25 ans physiquement grâce à sa nature de descendante de Noé –, Sól est envoyée en Islande, pays qu'elle connait si bien ; car un exorciste déserteur s'y trouverait. Elle retrouve sa trace à Reykjavík, quant un soir, dans une taverne, son regard croise par hasard celui d'un homme nommé Siríus, un Illusionniste faisant une représentation. La supercherie aurait pu être parfaite, si seulement elle n'avait pas reconnu ce grand voile étincelant qui accompagnait l'artiste dans ses tours de « magie » : l'évidence la frappe, quand lui reviennent les images de son enfance, celles de cet « étrange phénomène » qui s'était produit alors qu'elle abandonnait le nouveau-né. Son petit frère était vivant, il se nommait Siríus et était devenu un exorciste. Remise de sa stupeur, elle décide de l'observer quelques temps en secret, afin d'en savoir plus sur lui avant d'agir : c'est ainsi qu'elle découvre que, tout comme elle, son frère a fondé sa propre famille. Il a une fille – prénommée Nína, d'après les murmures qu'elle a pu entendre – qui semble âgée d'une quinzaine d'années, et est marié à une charmante femme qui lui donnera bientôt un second enfant. Ils semblent heureux ; Sól s'en réjouit et ne veut pas entacher ce bonheur : elle prend alors la décision de ne pas lui révéler la nature de leur lien. Elle fait part de cette bouleversante découverte à Otto, lui expliquant qu'elle ne veut pas – ne peut pas – attenter à son bonheur : quoiqu'il advienne, il doit vivre en paix auprès des siens. L'hôte de la Rédemption-même ne peut que comprendre sa femme souhaitant se racheter. Mais elle ne peut oublier sa mission ; si ce n'est pas elle qui s'en charge, quelqu'un d'autre le fera à sa place et les conséquences risqueraient d'être terribles pour Siríus et les siens – jamais elle ne se le pardonnerait. Comptant sur l'aide de son conjoint, Sól décide alors de retourner à Reykjavík, allant à la rencontre de son frère pour lui révéler les motivations du Clan Noé : peu importe l'issu du combat inévitable pour elle ; Siríus doit lui en sortir vivant, et se faire oublier. Sól fait face à un adversaire redoutable, qui n'a pourtant pas l'intention de la tuer ; les motivations de Sól à vouloir le protéger du Clan ayant intrigué l'exorciste malgré sa méfiance – et il y avait dans le regard de l'Apôtre cette troublante lueur, si familière et empreinte de mystère. Sól s'avoue finalement vaincue, et pensant que Siríus souhaite l'achever, elle lui révèle alors une infime partie du lourd secret qui les unit : le prénom de ses parents qu'elle prétend avoir simplement connu – sans lui dire qu'ils étaient aussi ses propres parents : Æsa et Ísak. Plus que jamais, Siríus est décidé à ne pas tuer cette intrigante femme : son innocence répond alors à son souhait le plus profond, exorcisant l'Apôtre sans lui ôter la vie. Avant de s'évanouir, Sól demande à Siríus de la ramener sur le port, où Otto l'attend. Ce dernier, découvrant le corps inanimé de l'ex-hôte du Mythe, ne peut s'empêcher d'enrager ; mais il respecte la volonté de sa femme et quitte l'Islande sans laisser de trace, après avoir promis – à contre-cœur – à Siríus qu'il sera déclaré comme mort, et pourra ainsi vivre tranquillement – du moins pour quelques années...

Le temps retrouve son influence sur Sól. Quatre ans après sa rencontre avec Siríus, elle vit toujours auprès de l'Homme de sa vie et de leur fils ; elle vit désormais loin de toute guerre sainte, en tant que simple humaine, quand bien même il lui arrive de s'informer sur la situation du Clan auprès de son époux. Mais alors qu'elle vient de fêter ses 29 ans, la Tragédie s'en prend à son bonheur.

Un soir, Otto décide d'emmener Lúkas à une réception tenue dans une ville voisine. Leur fiacre croise la route d'un convoi de trouveurs et d'exorcistes : Otto est immédiatement reconnu par les exorcistes, et quand bien même il aurait souhaité éviter un combat, celui-ci devient inéluctable quand surgit une horde d'akuma venus soutenir leur maître Noé. La bataille fait rage, et dans le feu de l'action, le Destin frappe une première fois : Lúkas, qui était alors resté caché dans le fiacre, est pris à parti et tué par un akuma qui ignorait qu'il était le fils de la Rédemption. Témoin de sa mort, Otto en perd la raison, laissant son souvenir se déchaîner – autant sur les exorcistes que sur les akumas. Le Destin frappe alors une seconde fois : les élus de l'Innocence stoppent la folie meurtrière du Norvégien en mettant fin à sa vie.

Sól ne tarde à apprendre la terrible nouvelle... Abattue et sombrant dans la dépression, elle tente de noyer sa peine dans l'alcool – en vain. Les jours passent et se ressemblent ; la demeure familiale qui respirait tant la joie de vivre, désertée par tous les employés sur l'ordre de Sól, devient tel un manoir hanté par le spectre qu'est devenue la veuve Larsen. Elle se laisse aller, n'est plus que l'ombre d'elle même. Une nuit, alors qu'elle est ivre-morte, elle erre dans les rues de Paris et atteint la Seine. Elle avance jusqu'au bord du canal, et s'y laisse tomber puis couler...

Mais le lendemain, elle se réveille dans une belle demeure habitée par une certaine Eugénie Taffard. À bout de force, anéantie et misérable, Sól craque et fond en larme. Sans réfléchir, et sous les effets de l'alcool, elle dévoile toute son histoire – au risque de paraître démente lorsqu'elle aborde sans détour son passé d'Apôtre de Noé – à sa « sauveuse ». La femme d'âge mûr lui conseillera de refaire sa vie ailleurs, de prendre un nouveau départ. Quelques jours plus tard, Sól décide alors de partir aux États-Unis, laissant son passé derrière elle.

Les années passent, Sól s'est endurcie, devenue aigrie, et solitaire. Elle est à la tête de l'entreprise de son défunt époux (une compagnie maritime de transport de passager), ayant hérité de sa charge – en tant que femme, il lui aura fallu du temps et beaucoup de courage pour gagner non sans difficulté le respect de ses pairs, de ses employés, mais aussi de la famille d'Otto. Elle est désormais une femme respectable bien que sinistre, vivant seule et recluse dans un manoir en campagne non loin de Boston, ayant pour seule compagnie celle de ses domestiques.

Aujourd'hui, Sól est âgée de 36 ans. Elle ne veut plus avoir affaire à quoique ce soit concernant cette Guerre Sainte qui l'a privée des deux hommes de sa vie ; et veille régulièrement à ce que ses employés et domestiques ne soient pas enrôlés par le Comte Millénaire ou l'Ordre Noir.