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Tu grelotes pitoyablement, serrant autant que tu le peux ton manteau en laine autour de ta frêle silhouette. Tes dents s’entrechoquent, tes muscles se crispent alors que le froid mord et un soupir t’échappe, laissant quelques nuages passer tes lèvres gercées par les températures glaciales. Tu regrettes, en cet instant, profondément ton choix de passer par le Canada pour aller aux États-Unis. Tu as l’impression que tu vas geler sur place si tu t’arrêtes de marcher. Alors tu continues, maladroitement. Tes bottines s’enfoncent dans la neige, alourdissant ta démarche et te faisant trébucher de temps à autres. En Angleterre, tu n’avais pas ce soucis. Il faisait moche, certes, il ne faisait pas chaud, mais jamais suffisamment froid pour que la neige tienne bien longtemps. Ce n’est pas le cas au Canada, bien évidemment. C’est une chose que tu n’avais pas pris en considération en venant ici en cette saison. Tu regrettes d’avoir quitté le petit village, tu regrettes même d’être juste venue au Canada, plutot qu’aux États-Unis directement. Peut-être même n’aurais-tu pas du quitter l’Arche comme une vulgaire voleuse. À cette pensée, ton coeur se serre et ton regard s’emplit de larmes. Tu renifles bruyamment, mais ce n’est pas comme si quelqu’un te remarquera. Tu es à présent seule et perdue, longeant avec incertitude une forêt dans laquelle tu n’oses pénétrer. Encore un signe de ta faiblesse. Tu t’en veux. De t’inquiéter tant, de douter beaucoup trop. Tu aimerais être une de ces personnalités sûres et rayonnantes. Mais tu ne l’es pas. Non, tu es fade et triste, les pierres ont très certainement plus de charisme que toi. C’est triste à dire et à accepter, mais tu es ainsi faite.
Tu ne sens plus le bout de ton nez ou même tes joues. Tu sors tes mains recouvertes par des gants de tes poches, les posant sur le bas de ton visage pour tenter de protéger celui-ci, mais tes efforts sont vains. Le froid reste plus agressif, plus fort que tes petites mains emmitoufflées. Tu continues de trembler, bien malgré toi. Il te faut trouver un abris pour la nuit et vite. Sinon, même ton Noé ne pourra t’aider à faire face à l’hiver impitoyable. Tes dents claquent, tes membres semblent fébriles. Tu ne sais pas combien de temps encore tu vas pouvoir tenir de cette façon. En plus d’être dénuée de toute force d’esprit, la Nature t’a dotée d’un corps frêle et peu endurant. La présence de Deficien te permet d’encaisser beaucoup plus de choses qu’auparavant, certes, mais tu restes malgré tout un niveau – ou même plusieurs – en dessous des autres Noés. Tu n’as jamais fait le poids, comparée aux autres. Tu n’as jamais su te lier à eux, étant toi-même beaucoup trop timide et réservée, Deficien étant beacoup abrasif et peu désireux de se montrer sociable avec ses frères et sœurs. Faible et isolée. Ta décision de fuir la Guerre, de fuir le Comte et les autres membres de ta famille ne change donc pas tant de choses à ta situation précédente.
Tu soupires lourdement. Encore et toujours incroyablement lasse de tes mauvaises décisions et de ton manque apparent de qualités.
Là n’est cependant pas la question. Du coin de l’oeil, tu aperçois une cabane pas bien loin de là. Une vague de soulagement t’envahit et tu te précipites autant que tu le peux vers celle-ci. Tu trébuches et manques de tomber plusieurs fois, sans pour autant te décourager. Tu te jetes presque contre la petite porte en bois, toquant frénétiquement contre celle-ci. Quand aucune réponse ne te parvient, tu enfonces presque la porte pour entrer et claque celle-ci derrière toi. L’intérieur de l’abris est sommaire, mais tu y trouves ce qu’il te faut pour passer la nuit. Tu vois du bois sec, une boîte d’allumettes jetée sur un coin de la table. C’est tout ce dont tu as besoin pour passer la nuit. Tu jettes quelques bouts de bois dans l’antre d’une cheminée rudimentaire et t’empares sans réfléchir de la boîte d’allumettes. Tu en tires une, l’allumes et la jette sur les bouts de bois. Tu t’agenouilles devant le feu dès que les flammes jaillissent. Les mains encores gantées tendues vers les langues orangées, tu te détends alors que tu commences à te réchauffer. Ce moment de détente est toutefois de courte durée. Derrière toi, tu entends la porte qui s’ouvre, puis qui se referme. Lentement, un brin inquiète, tu te tournes vers le nouvel arrivant.