Nascence
« Mais tu ne veux pas qu’on te voie ;
Tu viens et tu fuis tour à tour ;
Tu ne veux pas te nommer joie,
Ayant dit : Je m’appelle amour. »
Mercy observait le paysage pluvieux, entre les rideaux de la voiture. Elle sentait les pavés glisser sous les roues, malgré la qualité de l’engin mobile. Ses iris se perdaient dans la bruine qui recouvrait Londres et les nuages qui dominaient les toits. La température n’était pas des plus basses, mais assez pour l’obliger à porter un châle noir. D’ailleurs, le noir dominait les rues, et les tenues ne se paraient que de cette couleur. Il valait mieux se fondre dans la masse, rester impassible, ne rien laisser paraître. Ce qui était bien difficile pour Mercy. Car cette dernière était inquiète, inquiète à l’idée de ne pas retrouver l’objet de sa venue dans ces rues.
Mercy avait commis une erreur, Mercy avait perdu sa sœur. Elle se mordit l’intérieur de la joue, comme pour se punir de son absence d’attention, tandis que ses yeux parés de couleurs ne cillaient pas, espérant retrouver la demoiselle aux cheveux blancs et au couvre-chef des plus atypiques. La zélandaise devait récupérer l’enfant, la retrouver dans cette immense capitale. Oh, elle n’avait pas été seule sur ce coup, la Liberté l’avait accompagné, ce qui l’avait soulagé. Le jeune Noé était bien l’un des rares que Savage semblait apprécier, et donc laissait Mercy tranquille en sa présence. Quoiqu’il en soit, Mercy avait retrouvé avec Lloyd la demoiselle, dans un magasin qui semblait vendre des peluches. A la seconde où Mercy l’avait quitté des yeux pour avertir son confrère, Daret avait disparu. Et retrouver une enfant dans la foule n’était pas chose aisée, surtout quand on n’appréciait pas la foule de base…
Mercy se pinça l’arête du nez, sous l’effort de concentration intense qu’elle avait demandé à ses iris. La clarté du jour lui donnait de fortes migraines. A moins que ce ne soit Savage qui lui fasse payer son erreur par ce supplice. Mercy soupira, replaça son chapeau noir armé d’un pan en résille cachant le haut de son visage, et toqua contre le bois de la voiture de sa main gantée pour faire signe au cocher de s’arrêter. La zélandaise avait noté le magasin plutôt spécial dans lequel elle avait découvert sa sœur…Peut-être était-ce un signe ? Mercy sentit son cœur se serrer à la pensée qu’elle pourrait ne pas la retrouver. Elle avait bien compris que l’enfant n’était pas des plus sociables…De là à disparaître, à fuir ? Mercy aurait aimé fuir, elle aussi, cette pensée lui fit lâcher un soupir.
Et si la petite tombait sur des exorcistes ? Non. Elle ne devait pas penser ainsi, les chances étaient trop infimes, elle le croyait, elle l’espérait. Et cette ville était trop grande pour que ce genre d’évènement arriva. Mercy posa pied à terre, dans l’eau stagnante d’une flaque, tachant sa robe d’un bleu abîme d'une humidité opaque. Elle avait adopté le style londonien des bourgeoises, par coquetterie, et pour se fondre dans la masse…Mais là où elle se trouvait, dans un endroit moins fréquenté que le centre ville, elle se sentait dénoter, elle se sentait gêner.
Mercy paya le cocher puis resta face à la dite boutique. Honnêtement, le renseignement donné par une passante ne lui avait servi à rien : une vaste arnaque ou un mensonge, il n’y avait aucun réel magasin de peluches ou loisirs enfantins, seulement un bar tout proche, des ruelles, et des habitations plus vieilles que celles des gens mondains. Mercy serra les mâchoires, espérant que Lloyd aurait eu plus de chance qu’elle et ramènerait l’enfant saine et sauve au Comte…Sans croiser d’exorcistes. La dame ne savait que peu de choses sur la Liberté, simplement qu’ils avaient quelques points communs et qu’elle l’appréciait, qu’elle pouvait l’apprécier sans que Savage ne lui fasse de difficultés…Et elle ne savait trop pourquoi, Mercy était sûre qu’il trouverait la demoiselle plus facilement qu’elle. Une intuition. Un instinct. Qui se révéla plus faux que vrai. Elle ressentait sa présence toute proche, ils cherchaient au même endroit. Et l’enfant ? La petite fille aux cheveux blancs ?
Tu posas ton regard sur les alentours, n’espérant pas la trouver dans le coin ni dans les détours. Tes mains posées sur ta robe, tu t’étais abritée sous les abords d’un magasin, les sourcils froncés par le soucis, et le désir de la retrouver, en vain. Tu aurais pu mettre tes sens en éveil, tenter de devenir louve, mais dans une ville si bruyante et emplies d’odeurs, la traque aurait été trop difficile. Alors te voilà, chose inutile qui espérait être utile.
Tellement futile.
Codage par Bambi.