Here's my hand
there's the itch
but I'm not supposed to scratch
But when I'm done singing this song
I will have to find something else
To do to keep me here
Something else to keep me here
Il est six heures du matin et tu cours entre les ombres des rues parisiennes. Tu serres ton vieux sac contre toi en priant pour que les abats négociés à l'ouverture des boucheries ne coulent pas de leur boîte fermée à la va-vite. C'est ta dernière course avant le grand départ et tu es en retard. La vieille Madame Géraldine, qui ne rêve que de vider ton appartement après trop d'impayés, se lève à sept heures tapantes et tu dois t'en aller avant qu'elle n'appelle la maréchaussée. Plus d'excuses pour toi, Amo, il faut partir ce matin.
La porte de ton immeuble est toujours aussi lourde, et crisse toujours autant sur les vieilles dalles de l'entrée. Tu penses honnêtement que Madame G la garde comme ça pour être avertie des allées et venues de ses locataires, depuis son appartement cossu du rez-de-chaussée. Tu sais maintenant que tu peux tout juste te glisser dans la fente et lâcher la porte avant qu'elle ne fasse trop de bruit. L'escalier est une autre paire de manches, mais tu as appris à repérer les planches les moins bruyantes et à t'appuyer sur la vieille rambarde pour sauter les marches les plus traîtresses. L'heure tourne, cependant, et une fois arrivé à ton palier ton souffle est court. Ta porte grince moins depuis que tu as trouvé l'huile à gonds dans le placard de ton père, et tu la refermes derrière toi avant que Potiron n'alerte l'immeuble de ton arrivée.
Tu lui sers son repas avant le tien, comme tous les matins, et comme tous les matins il se jette dessus tel un affamé au bagne. Tu portes le reste de tes courses jusqu'à la table de la salle à manger-salon-cuisine, où t'attend le gros sac-à-dos rapiécé qui contiendra la plupart de vos affaires. C'est déjà la troisième fois que tu le fais et le défais ces derniers jours, trop angoissé par ton départ imminent. Tu refermes correctement ta boîte hermétique, l'enroule de chiffons, puis te ravises et l'emballe plutôt avec des vieux journaux et de la ficelle. Tu prends le temps de dire au revoir à chacune de tes innombrables plantes, les déplace encore un peu autour des fenêtres, essaie de ne pas penser à ce qu'en fera la propriétaire. Tu ne peux t'empêcher de penser à ce que ton père pensera quand il retrouvera votre maison vidée, ou pire, occupée par des nouveaux locataires. Tu espères qu'il ne sera pas trop déçu.
Tu fais le tour une énième fois de ta minuscule chambre, vérifiant inlassablement que tu n'as rien oublié, que tu ne peux vraiment pas prendre ces babioles, cette couverture si douce, cette jolie plume et son pot d'encre presque vide. Que c'est dur d'abandonner une vie, des murs dans lesquels tu as grandi, un lit dans lequel tu es mort. Tu n'as plus le temps, Amaury, de tergiverser. Tu pars pour l'aventure de ta vie ! Tu devrais être heureux de sortir enfin du cocon doré de ton enfance. Mais tu peines à laisser cette petite fenêtre qui donne sur une cour délabrée, cette gazinière tachée de tes essais infructueux d'apprenti cuisinier, cette vieille odeur de moisi imprégnée dans les murs de la salle d'eau. Tu te forces à te lever, à lâcher le livre sur les champignons vénéneux, à rejoindre Potiron dans la cuisine-salle-à-manger-vestibule.
Une grande inspiration, un regain d'enthousiasme, une pensée pour la collection de unes de journaux insolites dans le tiroir du bureau de ton père. Et tu es prêt.
On toque soudain à ta porte et tu te figes.