- Leander s'enroula plus étroitement dans sa couverture. Il ne faisait pas froid, mais il grelottait. Assit dans son lit, collé contre le mur, les yeux mi-clos, il respirait lentement. Il avait éteint toutes les lumières, tiré les rideaux. Malgré cela, une mince bande de soleil crépusculaire s'était frayé son chemin jusqu'à lui et posait sur ses bras, serrés contre ses genoux, un trait de lumière crue. Il pouvait entendre, loin de lui, des voix d'enfants qui jouaient...
Quelques temps après sa crise, quelqu'un... était venu le voir. Il ne le connaissait pas. Il ne se souvenait pas très bien de leur entrevue non plus, comme si sa mémoire avait choisi ce moment exact pour s'occuper d'autre chose. Mais il savait que ça s'était fini par une porte claquée au nez de l'illustre inconnu, et d'un retour vers l'obscurité apaisante de sa chambre.
Il avait peur, un peu. La douleur semblait s'être totalement dissoute, mais la voix qui était venue avec elle... Non. Oh, il avait comprit. Ils partageaient trop de choses à présent pour qu'il ne sache pas qui il était et pourquoi il était là. Mais il avait du mal à l'admettre. Pourquoi lui ? Entre tous ces gens sur lesquels ça aurait pu tomber, pourquoi lui ? Ruminer cette pensée dans le noir ne l'amenait nul part. Ça faisait des jours qu'il était là.
Mais il avait peur. Il ne voulait pas sortir. Plus que jamais, il avait peur d'affronter le regard des autres. La peau grise et les marques noires sur son front étaient parties, mais il savait pertinemment qu'il ne faudrait pas grand chose pour qu'elles reviennent. Pour l'instant... Quelque chose retenait le Noé en lui. Combien de temps ça durerait ? Il ne tenait pas spécialement à le tester. Mais il commençait à avoir faim et son petit appartement triste était vidé. Il fallait qu'il sorte.
Il lui fallut encore quelques longues minutes pour se décider à quitter le confort chaleureux de ses couvertures. Permettre à un peu de lumière de rentrer. Tirer nerveusement sur quelques mèches de cheveux, se recoiffer fébrilement. Tu as l'air fatigué, grinçait le miroir avec désapprobation. Regarde un peu ces cernes ! Il les palpe, mais il ne peut rien à faire, aussi odieuses qu'elles lui paraissent.
Il se change. Les habitudes ont la vie dure, il ne se serait pas senti à l'aise dans des vêtements froissés. Et enfin, lorsque le jeune homme qui se tient face à son miroir ressemble à Leander Klein, il se hasarde à quitter sa tanière.
La lumière l'aveugla un instant. Il cilla stupidement, et referma lentement la porte derrière lui, jetant des regards anxieux autour de lui. Personne ne semblait prêter la moindre attention à lui. Il hésita un instant, mais il dut se rendre à l'évidence : tout le monde s'en fichait royalement, ce n'était pas une feinte. Il avait encore l'air normal. Serrant les pans de sa veste sombre contre lui, baissant la tête, il s'avança dans la rue, ne regardant personne. Finalement, il se décida à aborder un jeune garçon qui avait le bon goût d'être visiblement seul. L'air gêné, évitant son regard, il demanda, en allemand :
- Excusez moi... Vous sauriez où se trouve le marché... Le marché le plus proche?
Tu es stupide, parfois, Leander. Il y en avait un tout prêt. Il détestait cet endroit. Mais c'était le plus pratique, le plus anonyme. Il ne se souvenait pas du nom, il n'y était jamais allé seul. Normalement, il se fournissait auprès d'un épicier qu'il connaissait depuis longtemps. Mais que voulez-vous ? Il n'avait pas envie de se faire remarquer de qui que ce soit, ces derniers temps. Voilà où il en était mené : à harceler des gosses pour quelques directions dans la ville où il habitait depuis toujours. Splendide !
Il ose enfin regarder son interlocuteur. Il ne l'a jamais vu dans le coin, mais il ne pouvait pas se targuer de connaître chaque gosse du quartier. Il essayait de garder contenance en attendant une réponse, maugréant mentalement d'être intimidé par un gamin qui faisait la moitié de sa taille et probablement le quart de son poids.