Les vents changent [Pv. Wisely]

Lettre

" Ecrire des lettres, c'est se mettre nu devant les fantômes ; ils attendent ce moment avidement. Les baisers écrits ne parviennent pas à destination, les fantômes les boivent en route."

Depuis sa rencontre avec Lëo, la bohème et ses deux compagnons d'infortune avaient reprit la route, sans même pouvoir regarder derrière eux. Ils ne devaient pas s'arrêter, pas en si bon chemin. Mais où allaient-ils exactement ? Nul ne le savait vraiment, mis à part Nora : une lettre l'attendait à Vilnius. Tout du moins, c'était ce qu'elle croyait. Après avoir trouvé un travail en tant que serveuse dans une auberge au cœur de la ville, elle avait dû affronter la déception de ne voir aucun mot doux l'attendre à la poste locale. De toute son âme, la Lockwood espérait qu'elle arriverait au courant de la semaine, sinon.. jamais elle ne pourrait l'intercepter.

Le cœur un peu lourd, la Vagabonde entamait son deuxième jour de travail, tandis que Jean s'était retrouvé dans un bar à seulement quelques minutes de marche d'ici. Charly, quant à lui, restait en compagnie de la bohème, assit sur une des tables tandis que la jeune femme nettoyait les sols avant l'arrivée des clients du midi. Aussi sage qu'une image, l'enfant dessinait en silence, le tout sous le regard attendri et mélancolique de sa protectrice. Peut-être pouvait-elle trouver un moyen de lui rendre le sourire.. En lui offrant quelque chose à manger, par exemple ? C'était un excès si cela ne venait pas de l'auberge, mais.. Elle ne supportait plus de voir son air chagriné.

" Charly ! Est-ce que tu veux bien aller chercher mon sac en haut ? "

Levant la tête de sa feuille, le petit homme finit par hocher la tête avant de se lever en un bond et de monter les escaliers pour retourner aux chambres. Dans le dos de la fuyarde, la porte s'ouvrait déjà tandis que les – le ? - premiers clients arrivaient.

Malchance

" Les chanceux sont ceux qui arrivent à tout ; les malchanceux, ceux à qui tout arrive."

Il fallait se dépêcher, car les premiers clients du midi semblaient déjà arriver à l'auberge ; et au contrario d'il y a quelques semaines, Nora ne souhaitait pas se faire réprimander dans une langue qu'elle ne comprenait de toute manière pas. Enfin, les tenanciers parlaient généralement anglais mais, lorsqu'on jurait, cela devait être trop fort pour qu'on ne le fasse pas dans sa langue natale. La bohème allait s'en rendre compte dans les secondes à venir. Même si elle était perdue dans ses pensées tandis qu'elle nettoyait la salle à manger, le bruit de la porte d'entrée ne put échapper à ses oreilles aguerries. Au cours de ses mois de cavale, l'Âme Errante avait apprit à cultiver ses sens, pour réagir au quart de tour.

D'une main, la parisienne attrapa les ustensiles de nettoyage avant de se diriger vers les cuisines. Sans jeter un regard vers l'entrée, elle lança d'une voix enjouée :

" Je m'occupe de vous dans une minute ! "

Ceci dit, la jeune femme s'en alla dans une des pièces annexes pour ranger tout ceci. Mais en passant la porte à son retour, elle dut s'arrêter pour ranger l'un de ses lacets dans sa botte, doigts ancrés à l'entrebâillement de la porte. C'est le moment précis que choisi un violent coup de vent pour claquer la porte sur sa pauvre main bandée. Tout en poussant un cri, la Vagabonde se mit à agiter sa main tout en jurant en français :

" Ah 'tain ! Bordel de m.. de porte.. "

Main crispée, elle eut l'impression que tous ses doigts avaient été brisés sous l'impact ; quand bien même ce n'était qu'une vive douleur. La jeune femme leva ensuite sa main à sa bouche, comme pour soulager la douleur, tout en s'approchant de l'entrée.

" Vous m'excuserez, je me suis coincé les doigts dans la p.. ... "

Et c'est à cet instant précis qu'elle croisa son regard. La bohème perdit alors tout son vocabulaire, laissant sa main retomber. Oubliée la douleur, Nora eut l'impression de se retrouver en plein rêve.

Spoiler:

Bonheur

" Le bonheur appartient à qui fait des heureux."

Il fallait que ce soit la gauche ! Ses deux mains étaient bandées, pourtant, c'était bien celle à peine cicatrisée qui s'était prit un choc ! Tout ça à cause d'une fichue.. porte. Il avait terminé ses paroles, alors que ses prunelles bleutées plongeaient dans l'or des siennes. La bohème n'y croyait pas, c'était comme un doux rêve. Son sourire ne put que l'émouvoir et réchauffer son cœur, tout en faisant tourner son esprit à toute allure. Comment ? Était-ce grâce à la lettre ? Nora n'en savait rien et, au fond, s'en fichait.

Qu'elle cruche elle faisait, tout de même. D'un geste tendre, son si cher londonien lui prit la main, avant de déposer un baiser sur celle-ci ; comme s'il était capable de guérir tous ses maux.

" Tu m'as manqué, tu sais ? "

Suite à ces simples paroles, la jeune femme laissa un large sourire traverser son visage, puis sans crier gare, passa ses bras autour de la taille de son compagnon, avant de plonger son visage dans le creux de son épaule. Une larme discrète aurait presque pu s'échapper de l'un de ses yeux.

" Tu n'imagines pas à quel point. " fit-elle, pour lui faire comprendre que le sentiment était réciproque.

Une fois cette étreinte pleinement savourée, la parisienne laissa sa main valide glisser dans les cheveux de son londonien, tandis qu'un énième sourire traversait son visage. Il n'y avait aucun mimique, aucun théâtre, seul le bonheur à l'état pur. Doucement, l'Âme Errante vint alors coller son front à celui de l'homme qu'elle aimait tant.

" Tu es venu suite à ma lettre ? Il ne fallait pas te donner autant de mal, tu sais, mais.. " souffla-t-elle d'une voix légère, " Je suis si heureuse de te revoir enfin, après tout ce temps. "

Inquiétude

" A une petite chose, l'inquiétude donne une grande ombre."

Qu'il était agréable de sentir à nouveau la chaleur de l'être aimé après de si longues semaines d'absences. Leurs retrouvailles semblaient si lointaines désormais et pourtant, Nora s'en souvenait comme si cela s'était passé la veille. Rien ne semblait plus importer désormais : ni son service, ni les clients et encore moins l'Ordre Noir ou leurs chiens. Il n'y avait plus que leur étreinte et leurs cœurs battant sans doute à l'unisson qui semblaient encore faire partie de ce monde.

Quelles tendres retrouvailles ! Pourtant, comme à son habitude, l'Âme Errante ne pouvait retenir sa langue bien longtemps ; et ses inquiétudes, également.

" Ne t'en fais pas pour ça. Désolé de ne pas être venu plus tôt. Je voulais te voir, mais.. difficile de trouver le temps de faire le voyage. "
" Tu n'as pas à t'excuser pour ça, maintenant.. tu es là. "

Ces mots ressemblaient à s'y méprendre à ceux que la Vagabonde lui avait soufflé, des semaines auparavant, l'excusant de ces longs mois d'absence. Comment pourrait-elle seulement lui en vouloir ? Impossible. C'est alors que doucement leurs fronts vinrent à se séparer, tandis qu'un franc sourire continuait quant à lui de faire briller le visage de la bohème. ... Tout du moins, pas très longtemps.

" Au fait.. qu'est-ce qui est arrivé à ta main ? "

Ah, ça, difficile de passer à côté des mains bandées de la jeune femme ; mais tout aussi compliqué de trouver une explication plausible, qui ne viendrait pas inquiéter son compagnon. Après seulement un instant de perplexité, Nora avait fait un pas en arrière, tout en arborant un de ses plus beaux sourires de façade.

" Je me suis blessée en faisant le ménage, il y a quelques villes de ça. " lui répondit-elle sans l'ombre d'un remord, avant de sourire une énième fois, " Depuis.. je garde mes mains bandées, pour éviter de me blesser, mais surtout.. pour cacher mon.. hm, innocence. "

Cette fois-ci, c'était la vérité et là, la parisienne savait qu'il comprendrait ses paroles. N'était-il pas si étranger que ça à cette guerre, après tout ? Nora n'eut pas le temps de songer longtemps à ça, car déjà une petite main tirait sur l'une de ses manches.

" Dis ! C'est bien ton sac ? " siffla une petite voix, avant que l'enfant ne tourne son regard vers l'inconnu, " Ah.. Bonjour ! "

Charly tombait à point nommé ; ainsi, le sujet fâcheux serait évité.. le temps d'un court instant tout du moins.

" Bonjour "

" Sois toujours le premier à dire bonjour."

Avec tout ce qui s'était passé ces derniers temps, la jeune femme ne pouvait s'empêcher de se serrer encore plus la ceinture ; tout ça pour apporter un peu de réconfort à Charly. Il avait quitté sa maison et perdu sa mère ; Nora savait mieux que quiconque ce que ça faisait de se voir arracher tout ça. Heureusement, il n'avait pas été emporté par ces chiens de Central. Et, tant que la Vagabonde vivrait, jamais elle ne les laisserait toucher ne serait-ce qu'à un seul cheveu de son protégé. Était-ce qu'avait ressenti Ellie à leur égard en les protégeant ? Il paraissait évident que oui..

" Salut bonhomme ! " lui lança-t-il tout en se mettant à sa hauteur, puis de passer sa main dans ses cheveux, " Comment tu t'appelles ? "
" Charly, M'sieur ! "

Perdue dans ses pensées, la brunette ne put qu'afficher un tendre sourire face à cette scène qui se jouait sous ses yeux fatigués. D'une certaine manière, elle ne put qu'imaginer la même scène, mais des années plus tard ; quand la guerre serrait terminée, qu'il n'y aurait plus qu'à se soucier de la vie, et non de la mort. Un avenir serait-il seulement possible entre eux ? Qu'un jour, cette scène vienne à se rejouer ? La bohème ne pouvait que l'espérer de tout son cœur. Après tout : tant qu'il y avait de la vie, il y a de l'espoir.

Tandis que l'enfant n'avait toujours pas perdu son sourire, l'Âme Errante finit par se saisir de quelques pièces qui trainaient dans son sac, avant de poser sa main sur l'épaule du petit.

" Tu en aurais déjà oublié ton goûter ? "
" Eh, non non ! "

Presque offusqué, Charly en gonfla ses joues, non sans laisser un sourire traverser sa bouille boudeuse. Amusée, la Lockwood ne put s'empêcher de laisser un léger rire s'échapper de ses lèvres, tandis qu'elle glissait les pièces de monnaie entre les mains du blondinet. Toutefois, elle agrippa ces dernières tout en glissant son regard dans les mirettes brunes du bambin ; ne les lâchant qu'une fois les consignes établies.

" Aller, file. Ne t'éloigne pas et reviens tout de suite. Je t'observerai depuis la fenêtre. C'est compris ? "

Tout en hochant la tête, le petit homme s'en alla vers la porte. S'il y avait bien une chose qui pouvait offrir un tel sourire à Charly, c'était bien un bon repas. Nora se souvenait de tant de repas prit en compagnie des bohèmes - de leur famille - dans le vieux théâtre. Tant de bons moments qui semblaient pourtant si loin. Des rêves, des chimères peut-être même.

Tandis que le bruit de la porte d'entrée se faisait entendre, Nora ne put s'empêcher d'offrir un énième sourire à son aimé. Réel, cette fois-ci. Mais avec les explications qui ne tarderaient pas à tomber, resterait-il le même ?

Cauchemar

" L'histoire est un cauchemar dont je cherche à m'éveiller."

Tandis que la porte se refermait derrière le petit garçon, l'Âme Errante n'eut le temps d'échanger qu'un regard avec son aimé, avant que le monde entier ne vienne à se retourner. Des cris résonnèrent, avant qu'une puissante détonation ne retentisse dans l'auberge, si violente que Nora avait manqué de tomber en arrière ; chose qui se serait passée, si son londonien ne lui avait pas agrippé la main. Mais ça, Ô grand dieu, cela ne fut rien à côté de ce qu'il se passait réellement. Sans comprendre quoi que ce soit à la situation, incapable de songer à ce qu'il se passait, les yeux écarquillés de la Vagabonde s'étaient tous deux posés sur cette étrange silhouette. Celle qui se tenait désormais dans l’entrebâillement où se tenait la porte, il y a encore quelques secondes de ça.

" Qu'est-ce qu.. " souffla-t-elle entre ces dents.

Si la jeune femme n'avait pas su, sans doute aurait-elle prit cet homme pour un monstre ; mais non, il était bien pire que ça. Avec cet immense sourire, ce haut-de-forme et cette aura à vous retourner l'estomac.. Le faiseur d'Akuma. Le Comte Millénaire. C'était comme si la fuyarde était en plein cauchemar, tout éveillée. Il n'y avait rien de pire, oh non. Tout ce qu'elle avait vécu jusqu'à présent n'était rien, non rien à côté de se retrouver nez-à-nez avec cet ennemi. C'était comme rencontrer le diable en personne ; on peine à y croire, on le sait omniprésent tout comme Dieu puis, un jour, il vient à notre rencontre.

" Bonjour, Wisely. "

Qui ? Aucune idée. Pourquoi ? Elle n'en savait pas plus. Comment ? Trop de questions. Non, Nora ne comprenait décidément plus rien à rien. Tout tournait beaucoup trop vite dans son esprit, tout comme dans son corps. Attaquer ? Fuir ? Prier ? Implorer la pitié peut-être ? Il fallait bouger, bouger, se rendre compte de cette affreuse réalité. Impossible.

" Adam.. "

Ce ne fut qu'après cette unique nom lancé de la part de son aimé au nouvel arrivant que la Lockwood revint sur Terre. Leurs doigts se séparèrent et la jeune française resta là, ni vivante, ni morte, les bras ballants. Ces noms inconnus aux oreilles de la Vagabonde - Wisely et Adam - étaient-ce les leurs ? Mais alors, pourquoi ? Pourquoi son londonien connaissait-il celui du Faiseur ? Et pourquoi ne lui avait-il jamais avoué son véritable nom ? La jeune femme ne comprenait pas, ne voulait pas comprendre et pourtant.. certaines choses devenaient plus claires petit à petit. Ces disparitions, cette proximité de la guerre sainte, toutes ces connaissances. Elle espérait tant se tromper.

Pourtant, l'heure n'était pas aux hypothèses, aux questions et à tout ce qui allait avec ; oh non. Ce ne fut qu'à cet instant précis que la jeune fille se rendit compte d'une chose. Une chose à laquelle la bohème aurait dû songer dés que les premiers cris avaient résonné dans la rue. Ce corps que tenait le Comte Millénaire dans les bras, c'était celui de..

" CHARLY ! "

Si le temps avait cessé de s'écouler jusqu'à maintenant, il reprit son cours en seulement une fraction de seconde. Sans réfléchir à quoi que ce soit, si ce n'était à la sécurité de l'enfant, l'exorciste sortit en trombe de l'auberge, manquant presque de pousser son compagnon au passage. Il n'y eut qu'un léger éclair vert, et les bras de l'affolée se changèrent en griffes, puis en poings, puis en lame, avant de revenir à leur formation initiale ; ce fut comme des interférences, tant l'émotion habitait désormais le corps de la brunette. Son innocence peinait à suivre le rythme de ses pensées, de ce sang qui bouillonnait dans ses veines et de son cœur qui battait à tout rompre.

Pourtant, malgré la colère, la peur, l'incompréhension et tout ce qui allait avec, l'Âme Errante n'attaqua pas ; consciente de la puissance de l'ennemi qui lui faisait face. A seulement un mètre de ce dernier, il fallut un effort surhumain à la parisienne pour dire une simple phrase. Une seule.

" Qu'est-ce que vous.. lui avez fait.. HEIN ! "

Comme il était difficile de croire que la douce et souriante Nora Lockwood se cachait derrière ce visage crispé de haine. L'ennemi divin ou pas, s'il avait osé lever la main sur son protégé, elle frapperait. Quelles qu'en soient les conséquences.

Vérité

" La vérité est une illusion et l'illusion est une vérité."

Au bout de longues secondes passées dans le silence, l'Âme Errante parvint à faire retrouver une forme régulière à son innocence, gardant alors sa paire de griffes sans bouger, tandis qu'un arc électrique commençait petit à petit à les entourer. S'il fallait se battre afin de sauver Charly et de l'emmener en lieu sûr, Nora le ferait ; si elle devait mourir pour lui assurer la vie sauve, alors.. jamais elle n'hésiterait. Mais tout à coup, les pensées de la bohème furent tournées vers une toute autre personne.

" Bravo Wisely... Je savais que je pouvais compter sur toi ! Nous avons obtenu de précieuses informations grâce à elle... Ta mission fut un succès. "
" Non.. non, ce n'est pas… "

Sur l'instant, la Vagabonde ne fut pas certainement d'avoir bien compris les paroles du faiseur. De précieuses informations ? Offertes au Comte Millénaire par son si cher londonien ? Une mission ? Non non non.. Ce n'était pas possible. Cherchant des réponses dans le regard de son aimé, Nora sentit son coeur se serrer plus encore lorsqu'elle remarqua qu'il l'a fuyait.

" C-Comment.. ... non.. " s'étrangla-t-elle alors.

Elle ne voulait pas y croire ; ne pouvait faire confiance aux paroles de l'ennemi de l'humanité et pourtant.. elles n'eurent de cesse de résonner dans sa tête, encore et encore, comme une tragique vérité. La disparition soudaine, les mois d'absences sans aucune nouvelle, ses connaissances avec la guerre sainte, ses mots dans leurs lettres, ainsi que ces retrouvailles trop belles pour être vraies. Lui avait-il menti depuis le premier jour ? Est-ce que tout avait disparu depuis leur séparation à Londres ? A moins qu'il n'y ait jamais rien eu ? N'avait-elle été qu'une source de profit pour lui à cette époque, un moyen de survivre ? Non.. Pourquoi ? Nora ne voulait pas y croire et pourtant, elle se devait de se rendre à l'évidence ; elle avait été trop stupide.

Il n'y aurait eu qu'une vérité à énoncer de la part du londonien et, malheureusement, le Comte l'avait dite avant lui.

" Quant à toi, chère exorciste... Je te croyais plus futée que ceux que tu as trahi... Aurais-je eu tort ? " fit-il, sortant l'autre de ses pensées.

Perdue, en colère, la Lockwood serra ses griffes dans le vide ; il en savait beaucoup trop et cela ne faisait que renforcer les sombres et tristes pensées de la jeune femme.

" Ce n'était pas.. une trahison. " peina-t-elle à articuler, cherchant à retrouver son sang-froid, " Mais visiblement.. vous en savez bien plus à ce sujet que ce que je ne le croyais. "

Et pendant ce temps, le londonien avait bougé, venant se positionner aux côtés du faiseur d'Akumas. Une nouvelle fois, l'Âme Errante chercha à capter son regard ; en vain. Avait-il honte ? Peur ? Elle n'en savait rien, bordel qu'est-ce qu'elle pouvait bien souffrir de ce manque d'informations. L'avait-il seulement jamais aimé ? Ce n'est sans doute pas maintenant que Nora saurait la vérité ; pas tant que celle exposée par le Comte trainerait dans sa tête, comme un poignard planté là.

" Laisse le garçon, s'il te plaît. Tu n'as pas besoin de lui. "
" Toi aussi, laisse-le. Je t'en prie.. "

Elle ne voulait plus, que plus personne ne touche à son protégé, qu'il rouvre les yeux, qu'il revienne auprès d'elle et qu'ensembles ils partent, loin, très loin d'ici. Voilà tout ce que la Vagabonde désirait désormais ; quand bien même.. elle savait que ce ne serait sans doute pas possible. La mort l'attendait, là ; ils l'attendaient.

" Qu'est-ce que vous avez en tête ? " siffla-t-elle alors.

La peur et la colère avaient finalement commencé à laisser la place au chagrin et à l'inquiétude ; pourquoi le Comte Millénaire avait-il fait le déplacement ? Afin de la briser ? Peut-être.

Mensonge

" La vie et le mensonge sont synonymes."

Comment la bohème pouvait-elle seulement croire les paroles du Comte Millénaire, lui, le destructeur de l'humanité qui n'existait que pour mener le monde à sa perte ? Lui, sauver un enfant juste par principe de le faire ? Non.. Nora n'arrivait pas à se faire à cette idée, c'était absurde, il devait y avoir quelque chose. Cherchait-il à avoir bonne grâce auprès de la Vagabonde, en sauvant Charly d'une mort certaine ? Enfin ça.. c'était lui qui l'avait dis. Rien ne prouvait que le bambin aurait réellement été piétiné par les gens qui avaient fuit, mais au fond, la jeune femme n'était pas sotte pour autant. Dans un mouvement de panique tel que celui que le Faiseur avait créé, n'importe quelle âme en peine tombée par terre aurait pu être écrasée ; Charly le premier. Son évanouissement relatait peut-être même d'une chute causée par la foule. Bon sang.. et si le Comte Millénaire avait raison ?

Les poings - griffes - légèrement fermés, l'Âme Errante peina à garder son calme lorsqu'elle vit son petit protégé transporté dans une sorte de sphère violacée ; mais vu l'air paisible qui continuait de s'afficher sur son visage endormi - évanoui - elle sut qu'il allait réellement bien. Toutefois, la haine continuait de se lire dans les yeux de la bohémienne, tant cette situation ne lui convenait vraiment pas.

" Je n'ai aucune raison de lui faire du mal. Il ne risque rien. ♥ Toi en revanche... Peux-tu en dire autant ? Puisque ce n'était pas une trahison, explique moi... "
" Ce n'était p-... " chercha-t-elle à souffler, très vite interrompue.
" Explique-moi donc... Où sont tes camarades ? Devrais-je leur signaler notre présence pour qu'ils volent à ton secours ? Hi hi hi... "

Où voulait-il en venir ? La Lockwood comprit trop tard, lorsqu'il leva la main en direction d'un bâtiment non loin d'eux. Tout sembla alors se passer très lentement et trop vite à la fois : le début de la déflagration, les murs qui se fissuraient, puis..

" NON ! Ne faites pas ç-... ! " hurla-t-elle alors, la voix malheureusement coupée par l'explosion et les cris, " ... ça.. "

Crac, boum. Plus rien, seulement des hurlements qui continuaient d'émaner dans la rue, ou bien dans le bâtiment ; des voix qui petit à petit s'éteignaient. Déroutée comme jamais, dévastée également, la Vagabonde se rendait enfin compte de la puissance de son ennemi, et peina cette fois-ci à soutenir son regard.

" Comme ça ? Hi hi hi... ♥ A moins qu'ils ne soient trop occupés à te rechercher... pour t'ôter la vie ? ♥ "

Cette fois-ci, elle n'eut rien à dire : le Comte Millénaire avait raison sur toute la ligne. Alors, dans un vain espoir d'une quelconque intervention de son petit londonien, Nora tourna le regard en sa direction ; et qu'elle ne fut pas sa surprise de lire une drôle de lueur dans ses yeux. Comme celle qui l'avait habité lors de leur court mois passé à Londres ; et enfin, petit à petit, la brunette commençait à comprendre. Au fond, voir son aimé ainsi souffrant peinait la jeune femme ; mais elle ne pouvait se permettre de le prendre dans ses bras, de le rassurer.. non, plus maintenant.

" Arrête ça… s'il te plaît.. fais qu'ils arrêtent... j'ai… beaucoup trop mal…. "
" Qu'est-ce que tu.. ... "

D'elle-même, l'Âme Errante avait cessé de parler, détournant le regard vers le reste de la grande rue ; pourquoi continuait-elle de s'inquiéter à son sujet ? Ne l'avait-il pas trahie pour offrir des informations au Comte Millénaire ?

" C'était pas un mensonge… tout n'était pas un mensonge. Si tu dois croire une seule chose, crois au moins cela, Nora, je t'en prie... " souffla-t-il tout en captant à nouveau son regard.

Oh, elle aurait tant aimé y croire, se dire que tout ceci n'était qu'une triste méprise et que tout finirait par revenir dans l'ordre. Impossible, pas après tout ça, tous ces mensonges, toutes ces choses cachées et.. cette. L'avait-il seulement aimé un jour ? La Vagabonde oui, et sans doute l'aimerait-elle même à jamais et pour toujours. Doucement alors, son poing se serra tandis que ses yeux humidifiés se plantaient dans les siens.

Elle ne pleura pas.

" Je.. j'aimerai croire que tout n'a pas été que des théâtres.. " souffla-t-elle d'une petite voix, avant de serrer le poing, " Mais.. tu as.. enfin.. tu aurais eu tout le temps de m'avouer.. ça. Et.. tu ne l'as pas fais.. "

Sur ces mots, la jeune femme reporta son regard vers sa main meurtrie dissimulée sous ses bandages, tandis que son innocence se désactivait finalement. Les descendants de Noés ne pouvaient s'entendre avec les êtres humains, ça, Nora en avait eu la preuve plus d'une fois : son frère, sa sœur, puis celui qui regrettait.

Ravalant ses larmes et son chagrin, elle finit par reporter son regard vers le Faiseur.

" Que voulez-vous de moi ? "

Ils n'étaient pas venus ici pour rien, l'un.. comme l'autre.