En temps normal, j'en profiterais pour effrayer les gens: en suivant un passant dans la rue, faux en main, jusqu'à ce qu'il se retourne, me voie et fuie en hurlant, ou en faisant bouger des peintures dans les maisons grâce à ma matière liquide, ou plein d'autres farces!
Mais, aujourd'hui -enfin, àlanuitd'hui-, j'avais plus important à faire. Une mission... Mais pas une de celles notées sur le papier dans le manoir, non! Une mission vraiment utile, pas juste pour jouer.
Grégoire... C'était le nom de celui que, ce soir, j'allais tuer. Cette brute avait osé frapper un enfant, simplement parce qu'il avait chapardé un fruit dans son étal. Le pauvre avait été projeté à terre comme un sac de sable, trop affamé pour se défendre, et, s'étant blessé au bras, avait commencé à saigner. Et le marchand, au lieu d'être pris de remords et d'essayer de le soigner, avait craché à côté de lui en le traitant de vermine.
Je n'avais pas été présente, bien sûr: sinon, ses stupides marchandises auraient vite été repeinte en rouge vif!
Du coup, c'était presque tant mieux, que je ne fus pas là. Gâcher les légumes aurait été bête, sans parler des parents qui interdiraient à leurs enfants de fréquenter une meurtrière... Têtus comme ils étaient, cela ne m'étonnerais même pas qu'ils me traitent comme une méchante, malgré ce que le marchand avait fait!
C'était un enfant qui m'avait rapporté la scène. Quand il me narra l'épisode, je ne mis pas longtemps à prendre ma décision: le soir même, je lui jouerais un tour à ma façon!
Il aurait du donner un fruit de lui-même à l'enfant, et il l'avait frappé, et insulté. Il sera puni!
Ho, pas par vengeance! Enfin, pas uniquement. C'était surtout, et simplement, parce qu'il n'avait pas respecté son rôle. Les adultes ont pour seule et unique fonction de protéger les enfants, de les aider à vivre -en tout cas, ils devraient ne penser qu'à cela.
S'il ne tenait pas ce rôle, il n'avait plus de raison de vivre.
Et en frappant cet enfant, il avait gagné une raison de mourir...
Alors, j'avais attendu la nuit. J'étais arrivé au magasin avec un sac, avais brisé la vitre, et m'étais mis à enfourner des flopée de fruits dans le sac. Quand Grégoire était descendu pour voir ce qu'il se passait, hagard, en robe de nuit, je m'étais mis à courir. Pauvre lui... J'espérais ne pas l'avoir sortit d'un beau rêve! Transiter si rapidement d'un songe agréable à un cauchemar horrible... Hi hi! Ce ne serait pas bien chouette!
Comme prévu, il s'était mit à me poursuivre. Avec un sac si lourd sur le dos, je m'arrêterais bien vite, avait-il du penser. Hé hé hé... Triste erreur. Malgré tout, je faisais bien attention à ne pas le semer.
Et maintenant, nous courrions encore, après une demi-heure. Enfin, lui, courrait. Moi, je sautillais.
Il m'avait poursuivit encore et encore, plus par rage et par orgueil que pour récupérer ses fruits, jusqu'au cœur de la forêt.
Tout en courant, j'observais les arbres alentours.
La lune transcendait les bois, les rendant plus mystérieux que jamais, et les ombres qu'elle projetait formaient d'étranges silhouettes, comme si la forêt était peuplée d'êtres invisibles...
Et, bien sûr, tout cela était aussi beau qu'angoissant! Ma petite proie ne devait pas être très à l'aise...
Du coup, je pourrais peut-être m'arrêter, à prés-
"Boum".
Toute à ma contemplation, je n'avais pas vu pas l'arbre face à moi, et m'y étais violemment cognée, avant de m'affaisser au sol dans un "pouf" sonore.
Je me frottai la tête tout en maugréant, convaincue que j'aurais pu m'arrêter de moins douloureuse façon...
Bien sûr, le bourreau d'enfant vit là une occasion d'enfin m'attraper. Je le laissai approcher, moitié parce que c'était mon projet, moitié parce que j'étais trop sonnée pour faire quoi que ce soit. Enfin, il arriva à quelques mètres, et je pus entendre ses halètements.
Hi hi! Il faisait bien de respirer. Il n'en aurait plus guère l'occasion!
Écumant de rage, veines saillantes, il me saisit au col et me releva de force. Il hurlait, mais je ne comprenais rien. Il était fatiguant... On ne criait pas ainsi sur quelqu'un qui venait de se cogner, enfin! J'avais déjà assez mal au crâne sans qu'il ne me casse les oreilles!
Bon... Il était temps de passer à la seconde partie du jeu.
Je plongeai soudain mon regard dans le sien, et il devint comme muet. J'aurais aimé pouvoir affirmer que c'était grâce à mon autorité naturelle, mais la pointe de ma faux sur sa gorge devait y être pour beaucoup aussi.
Il blêmit. Ho, que c'était agréable... Cette odeur de peur qui se dégageais de lui... Ses yeux grands ouverts, figés, comme s'il se croyait dan un cauchemar, et qu'il voulait ouvrir ses "vrais" yeux... Sa bouche qui s'ouvrait et se fermait, comme s'il ne savait pas si parler exorciserais ce spectacle horrible ou, au contraire, lui donnerait plus de réalité...
Comme j'aimerais être dans son esprit! Mieux sentir sa terreur, mieux savourer son angoisse! Connaître chacune de ses pensées, observer chacun des scénarios d'horreur qu'il s'inventait!
Quoi que... Rustre comme il était, je me demandais s'il avait vraiment assez d'imagination pour cela.
Mais je parle, je parle, et on n'avance pas!
On sait ce que c'est, hein, quand on parle de ses passions... Impossible de s'arrêter. Mais bon, même la meilleure des descriptions ne permettrait pas de faire partager ce plaisir. C'est quelque chose qu'il faut voir, sentir, de ses propres sens!
Comme il ne semblait pas vouloir bouger, pétrifié, je murmurai:
En échange, je saisirai ton fruit. Tout rouge, tout rempli de sang, tout palpitant...
Rempli de sang... Palpitant... Dur...
J'éclatai de rire.
J'eus soudain peur, pendant un instant, que ma plaisanterie ait tué l'ambiance effrayante que j'avais mise en place -je n'avais pas pu m'en empêcher...
Heureusement, cela eut l'effet inverse: il crut que j'étais une démente. Cela fait très peur, les fous: on ne sait pas de quoi ils sont capables. Alors, on image le pire. Pourtant, je doutais qu'un fou puisse faire pire que certains sains d'esprits...
Il me lâcha enfin, lentement. Il recula... Pas après pas... Comme si j'étais un animal à ne pas brusquer! Hi hi! Il aurait eu plus de chance de tomber sur un sanglier, en vérité. Moi, je ne comptais pas le tuer rapidement.
C'était un méchant: je pouvais bien m'amuser un peu à l'effrayer. Même les chats font cela, après tout, avec d'innocentes souris.
Je le laissai reculer un moment puis, m'étant assez délectée de la scène, je fis un pas brusque en sa direction. Alors, il hurla et me poussa. Tentant de me réceptionner avec mes mains, je fis disparaître ma faux, pour laisser ces dernières libres, mais en vain: j'atterris sur mes fesses, pile sur un caillou pointu. Aïe!
C'était à se demander qui était l'animal à ne pas brusquer!
Alors, oui, c'est vrai...
Je donne l'impression de bien m'amuser, pour quelqu'un qui est en mission, et qui veut venger son ami. Mais pourquoi ne pas mêler l'utile à l'agréable, si cela ne mettait pas la mission en péril?
Il ne m'échapperait pas, c'était presque certain. Presque, parce qu'il n'y avait jamais de probabilité nulle... Mais elle était très faible, suffisamment pour que prenne le risque de m'amuser. Et puis... Si on le retrouvait mort de peur, les gens seraient plus facile à effrayer après, hantés par cette vision! C'était un investissement, en quelques sortes...
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