Au moins, dans le train, je pouvais lire. Même si les gens me regardaient bizarrement, à cause de ma boîte à musique... Etait-ce ma faute, si c'était ma seule manière de pouvoir rester concentrée?
Enfin! Ma mission dans le village valait bien ces longues heures de trajet. Je m'étais déjà préparée pour elle: ce que j'avais lu dans le train... C'étaient des livres d'horreur! Avec des cadavres qui sortaient de leur tombe, et mangeaient les vivants, qui devenaient des monstres à leur tour! Brrrr... J'en avais encore des frissons. C'était peut-être ça aussi, qui faisait que les gens me fusillaient du regard: je poussais des cris de surprise à chaque page. Je devais bien être la seule à hurler en lisant un livre... Mais la boîte à musique faisait peur, aussi! Je la réutiliserai pendant ma mission.
Je devais m'introduire dans un cimetière, déterrer un corps sous une tombe précise, et vérifier qu'il aie six orteils au pied. Cette malformation prouverait qu'il s'agissait bien de Gilles Dulac.
Bien sûr, j'ignorais que c'était un brooker ayant trahi le Comte, et que celui-ci, ayant eu vent de sa mort accidentelle et de son enterrement, voulait vérifier que ce ne soit pas un stratagème pour éviter son châtiment. A mes yeux, c'était juste la énième tâche sur ma liste de missions, que je faisais par jeu, sans me soucier de l'apparente absurdité de ces quêtes. Apparente, car le Comte voyait à travers mes yeux, et utiliserait l'information, lui.
Mais cela, ça m'était bien égal! Je ne savais même pas qu'il existait, ce Comte -du moins, pas consciemment. Ce que je voulais, moi...
C'était devoir marcher dans un cimetière sombre, lors d'une nuit de pleine lune, mais si nuageuse que la rassurante lumière ne devenait que la source d'ombres inquiétantes, une flamme qui vacillait et s'éteignait aux pires moments... Et déterrer un cadavre, coup de pelle après coup de pelle, avec cette angoisse au fond du ventre: celle qu'un fantôme vienne se venger de cette violation de sépulture, ou que le mort, n'en étant plus vraiment un, me saisisse soudain et m'entraîne dans les entrailles de la Terre pour se repaître des miennes...
J'en frissonnais déjà!
J'étais arrivé au village, donc. Et le soleil, déjà, nous avait quitté, laissant sa place au pâle disque bleu. J'avais fait exprès de partir faire la mission à la bonne date, pour avoir la pleine lune et lors d'une journée nuageuse. Par chance, même aussi loin de mon village, il y avait encore des nuages!
Inutile d'attendre plus longtemps: direction le cimetière... Pas très dur à trouver: il devait être prêt de l'église, comme toujours.
Je sortis ma boîte à musique, et l'ouvrit.
Déjà, les ombres devenaient des monstres prêt à me happer, et les objets les plus mondains devenaient d'immondes démons immobiles, attendant tranquillement le moment idéal pour me saisir et me dévorer... Je détachai Coaxing, ma poupée, de mon dos, et la serrai fort. Je marchai, lentement, vers le dortoir des morts...
Deux grandes portes grillagées me faisaient face, à présent. Inspirer... Expirer... Prendre son courage à deux mains...
"Ccr... CrîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎÎîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîîî". La porte grinça. Comme si elle voulait attirer l'attention de tous les spectres du cimetière sur moi, comme si elle leur criait qu'une intruse arrivait...
Je serrais fort Coaxing contre moi, comme si elle pouvait me transmettre son courage. Un pas... Puis un autre...
J'aurais voulu fermer les yeux, pour ne plus voir ces statues grotesques d'anges, qui me fixaient d'un air accusateur, mais je devais trouver une pelle... "Je ne viens rien voler, je ne veux pas vous déranger", avais-je envie de crier; mais impossible d'ouvrir ma bouche. Enfin, je vis ce que je cherchais. A l'autre bout du cimetière...
Mes dents claquaient de plus en plus fort, et j'étais incapable de les arrêter. Chaque fois que je posais le pied au sol, je m'attendais à ce qu'une main sorte de terre et me saisisse la cheville, pour ne me lâcher que quand j'aurai péri à mon tour, de soif ou de peur.
Et chaque fois que je le soulevais, il me semblait presque sentir des bras me saisir les épaules, et profiter de mon déséquilibre pour m'emmener là où on ne me retrouverait plus jamais...
Je tremblais si violemment que ma vue se troublait, et mes pas étaient si incertains que je manquais de tomber à chacun d'eux. Mètre par mètre, je m'enfonçais au cœur de ce lieu, ce passage entre le monde réel et le paradis...
Enfin, je saisis la pelle. Elle me paraissait... Lourde. Comment ce peu de bois et de fer pouvait sembler si encombrant? Je ne pouvais plus tenir Coaxing, à présent. Elle se mit à voler autour de moi, mue par mon pouvoir. Je ne la quittais pas des yeux, de peur qu'elle disparaisse soudain, happée par un monstre, et me laisse désespérément seule. Mais seule... L'étais-je réellement? J'avais l'impression d'entendre des bruits... Des craquements, des halètements...
Ce devait être mon imagination, ou des animaux proches... Non? Si les morts-vivants existaient, quelqu'un les aurait vu et l'aurait dit. Mais peut-être... Peut-être n'en a-t-il jamais eu l'occasion, trop vite attrapé par les monstres. Peut-être a-t-il emporté le secret dans la tombe... Mais pas la sienne.
Je regardais les tombes, remerciant la lueur de la Lune, sans laquelle je serais bien incapable de lire les noms. "Sébastien Beauvais", "Thomas Courtois", "Sylvain Longuet"... Quelque part, j'espérais ne jamais trouver la tombe. Je pourrais repartir, sans avoir à creuser... Sans avoir à réveiller le mort, à inspecter sa dépouille. Mais...
"Gilles Dulac". Je l'avais trouvée.
La croix était neuve, et d'étranges motifs étaient gravés dessus. Des serpents, des anges, des démons aux faciès hideux, monstrueux... Mieux valait cesser de regarder, et creuser.
"Tchac... Tchac...". j'enfonçai la pelle, et jetai la terre sur le côté. Il fallait faire un beau tas, pour reboucher après... "Tchac... Tchac..."
Je creusais, encore et encore, animée par la peur et l'envie de vite en finir. J'avais envie de lâcher la pelle et de courir loin, mais... C'était peut-être ce qu' "ils" attendaient. Que je panique... Que je perde toute vigilance...
Mais, dans ce cas, ouvrir la tombe serait bien, non?
"Tchac... Tchac... Toc". J'avais touché le cercueil. Je creusai autour, puis saisit la pièce de bois, et la sortit de la tombe.
Je matérialisai ma faux, et, après avoir reculé de deux bons pas, essayai de l'ouvrir avec mon arme. Le couvercle se souleva... lentement...
Une horrible odeur m'agressa alors, et je vis des dizaines de vers ramper sur l'arrête du bois pour sortir.
Un haut-le-cœur me prit, et je fus terrifiée à l'idée de voir le cadavre, à moitié décomposé, se relever et me poursuivre... Ha, mais je pourrais fuir: j'avais laissé la grille ouver-
Non. Un coup d'œil dans sa direction m'informa... Qu'elle était close. Quelqu'un... Ou quelque chose, l'avait fermée. Ho, bon sang... C'était un piège! Le mort allait me saisir... Ces ignobles vers ramperont sur ma peau, alors que les dents pourries de Gilles s'enfonceront dans ma chaire, pour me dévorer encore vivante. Et tous les autres sortiront de leur tombe aussi, et feront un festin de mes tripes, ignorant mes hurlements de douleur, mes vaines supplications. Et, maudite à mon tour, j'errerai pendant des siècles, des millénaires, dans un corps hideux, parcouru de vers, dévorant les inconscients venus jouer les braves dans le cimetière.
J'étais pétrifiée, blanche comme un linge, incapable d'agir. Et même quand j'entendis des bruits de pas derrière moi, je ne pus bouger tout de suite. Ils se rapprochaient... Lentement... Tranquillement... Ils étaient si près, que je pouvais entendre la respiration régulière de celui qui arrivait.
Il fallait... Il fallait que je bouge. Que je fuie, que j'escalade un mur, ou que je fasse face à l'assaillant. Mais je restai figée, attendant stupidement que la Mort vienne, que je subisse le châtiment réservé à ceux qui dérangeaient les morts.
Une main se posa sur mon épaule. Je hurlai, voulu courir, et tombai dans le trou que je venais de creuser.
Halloween
- Spoiler:
- Voilà... Désolé, beaucoup de texte pour pas grand chose
Si quelque chose ne te va pas (l'image que j'ai mise pour Amarylis, par exemple, ou le titre un peu naze), n'hésite pas à le dire