La fin d'une ère [ Malia Naughty ]

Je vagabonde dans les rues de Londres. C'est marrant, je n'étais pas revenu ici depuis une éternité je crois. Enfin, de ce côté ci de la ville je veux dire. La Capitale anglaise pue toujours autant, c'est un vrai calvaire. Je fronce le nez et remonte mon écharpe sur mon visage, avant de vite remettre mes mains dans mes poches. Fais chier, je pensais pas qu'il se débattrait autant. Résultat, j'en ai plein ma chemise et les mains. En plus d'être salissant, c'était ennuyeux. Le genre de mission dont l'importance m’échappe. Pas d'innocence, pas d'exorciste. Même pas de vrai combat. Juste un civil, un peu trop encombrant aux yeux de certains Noés. Je sais même pas pourquoi. Et vu la détresse du patron, je préfère éviter les questions.
Je bouscule une homme et manque de lui retourne un pain. Reste calme Sebb, la colère ne te mènera  à rien. Et pourtant, la colère c'est tout ce dont je suis capable en ce moment. Depuis les événements du bal, et le décès de ce petit Noé. Je ne le connaissais pas, et pourtant sa mort m’énerve. Durant quelques secondes, lorsque j'ai vu son corps, j'ai eu l'impression de revoir mon frère. Et puis, la colère ambiante m'a atteint à mon tour. Qui que ce soit qui ait commis ça, je dois le retrouver.
Les jours ont passé, et j'ai commencé à me souvenir d'une chose. Une chose anodine. La rencontre avec cette exorciste.
Un lampadaire me tire de ma pensée. Je l'évite de justesse avant de reprendre mon chemin. Chemin qui est fini en vérité. Je cherchais une forge pour réparer ma dague, et il semblerait que j'ai trouvé.
La mine toujours renfrognée, j'ouvre la porte et entre dans la boutique.

A peine rentré, une odeur aigre me prend au visage, ainsi qu'une bouffée de chaleur. Rien à voir avec l'humidité froide de dehors. Je dessers mon écharpe et jette un coup d’œil à la boutique. Quelques armes sont exposées ici et là, et même si je n'y connais rien, ça m'a l'air d'être du travail de qualité. De toute façon, maintenant que je suis là, je vais pas changer de boutique. Surtout que j'ai pas que ça à faire. En réalité, j'ai pas grand chose d'autre à faire, mais être auprès de personnes me rend malade. Plus le temps passe, et moins je les supporte.

«  Bonjour, puis-je vous aider ? »

Je me retourne en direction de la voix, et la fixe sans vraiment la regarder. Je ne prends pas la peine de lui répondre, et rejoins le comptoir en quelques pas. Je sors alors un mouchoir de ma poche et le déplie sur le bois. Au milieu du tissus, une dague dont la lame est brisée en plusieurs morceaux. Je sais pas pourquoi, mas ça me fait chier de m'en séparer. Je l'ai depuis le début, ça doit être uen forme de sentiments. Mouais. Au pire, ce que j'en ai a battre...
La jeune fille me fixe. Je fronce alors les sourcils et daigne enfin lui parler.

«  Un problème? »

Elle n'a pas l'air à l'aise. J'ai l'habitude de mettre les gens dans l'embarras, mais aujourd'hui, ça me saoule.

«  Vous pouvez réparer ça ? »

Comprendre : Tu t'y mets ou pas ? Je continue de la fixer. Quelque chose chez elle me dérange. Mais quoi ?

Je sens que je l'agace, ce qui me fait ni chaud ni froid. Enfin, façon de parler, car il fait une de ces chaleurs ici. J'ai la tête qui tourne, j'ai besoin d'air frais. Je n'ai qu'une hâte, c'est de partir d'ici. Et voilà l'autre qui m'annonce que je vais devoir attendre quatre heures. Quatre foutus heures. Fais chier, elle veut que je fasse quoi pendant ce temps là. À l'heure qu'il est, les membres de la famille d la victime ont dû trouver le cadavre de l'homme. Et même si, normalement, rien ne laisse à penser qu'un akuma est derrière ça, les autorités vont se mettre à ma recherche. Bien sûr, je peux lutter contre les policiers. Mais franchement, j'en n'ai pas envie là. J'ai pas envie de me battre contre une dizaine d'hommes, devant des témoins, de rameuter l'Ordre Noir et d'être dans la merde. Alors quatre heures, c'est hors de question.
Je m'apprête à reprendre mes affaires, décidé à faire ça une autre jour, mais l'autre imbécile les a déjà embarqué.

«  Je crois pas vous avoir dit que ... »

Je m'arrête en plein milieu de la phrase et fixe la boite. Cette nana serait donc liée à l'ordre noir ? Et si tout cela n'était qu'un piège ? Surtout que cette impression de déjà ne me quitte pas. Et je suis certaine qu'elle ne fait pas partie des akumas et encore moins des Noés. Je l'aurais donc croisée dans le camp ennemi ? Mais quand ?
Je saute au dessus du comptoir et me retrouve de l'autre côté. Je montre la boite du doigt et me fait menaçant.

«  Où avez vous eu ça ? Et d'où je vous connais, putain. »

Elle me répond, et me semble sincère. Mais je suis un incapable pour ce qui est des sentiments, alors elle pourrait tout simplement être une bonne menteuse. Je recule d'un pas, et essaie de me calmer. Je dois réfléchir convenablement. Tuer une civile ne m'apportera rien. Si ce n'est du calme. Surtout qu'elle connaît l'Ordre Noir. Et que je la connais. Je remue mes souvenirs, à la recherche de son visage. Je ne l'ai vu sur aucun champ de bataille, j'en suis certain. Et je ne suis presque jamais sorti. Un visage dans la rue ne m'aurait pas marqué. A moins que.
Je la vois bouger et plonge mon regard dans le sien.

«  N'essayez même pas, ou je vous brise la nuque sur le champ. »

D'ailleurs, je l'attrape par le bras, sans aucune délicatesse il manquerait plus que ça, et l’éloigne du mur. Enfin, pour être exacte je la balance presque contre le comptoir. Il n'y a pas d'armes dessus, et je n'en vois pas dessous. Une paire de ciseaux tout au plus. Comme si ça pouvait me faire quelque chose.

«  Vous étiez au bal du Compte. Là où le gamin est mort. Et maintenant je vous vois avec une boîte de l'Ordre Noir. Vous pensez vraiment que je vais vous croire ? J'ai l'air aussi con ? »

Elle me fixe avec de grands yeux. J'ai envie de la baffer, putain. Je fous un coup de pied dans le bois derrière elle.

«  Qui êtes vous ? »

Je vois la peur grandir en elle. Alors que jusque là, ça m'énervait, je reprends mes habitudes de machine et m'en nourris. Je me sens plus fort, plus puissant. Et surtout, j'aime voir à quel point elle est pathétique. Un animal égaré, paniqué. J'arrive presque à retrouver mon calme, alors que ses réponses me mettent hors de moi. Je m'appuie contre le mur et croise les bras. En regardant bien, on peut voir un sourire moqueur sur mon visage. Il est évident que je vais la tuer. Mais rien ne m'empêche de m'amuser. Et puis, un accident est si vite arrivé dans un tel lieu. Je pourrais foutre le feu. Ou alors lui briser un à un les os. Hum. Des tonnes et des tonnes d'images et d'idées me viennent. Je ne freine aucune d'entre elles.
Je perds de vue la jeune femme quelques secondes. Mais malgré ça, je ne me laisse pas surprendre. Son mouvement était beaucoup trop prévisible. J'attrape sa main et la fait passer derrière son dos, la bloquant face contre le comptoir. J'arrache les ciseaux de ses mains et les mets devant son visage.

«  C'est pas gentil ça. Pas gentil du tout ».

Je défais mon étreinte et me recule de nouveau, pour la laisser libre de tout mouvement.

«  Qui t'a envoyée au bal ? »

Elle est plus paniquée que jamais. Oh oui. Vas y. essaie de fuir. J'ai eu une horrible journée, et j'ai bien envie de jouer.

« Vous êtes un de ces monstres…
Oh que oui. »

La jeune femme se fait forte et puissante, mais je peux lire la peur dans chacun de ses gestes. Je savoure cet instant. Sa phrase suivante me fait ticquer. Elle sait donc bel et bien quelque chose. Et son ordre me fait rire aux éclats – chose que je ne fais jamais. Je la regarde se précipiter sur un coin de la pièce. Chercherait elle une énième arme inutile ?
Un frisson me parcours lorsque je reconnais ce qu'elle tient dans ses mains. Fais chier. Pour autant, je ne panique pas. Je reste d'ailleurs immobile, voyant qu'elle échoue dans sa tentative. Et dire que je n'ai rien fait.
Je m'approche d'elle et lui arrache l'objet d'un geste rapide. Il me brûle les mains mais je ne réagis pas, préférant le briser avant de l'envoyer à l'autre bout de la pièce.

«  Vois tu, ça ce n'est pas du tout l'attitude de quelqu'un qui n'a rien à cacher »

Je la contourne lentement, m'avançant en direction de la porte que je verrouille d'un geste sec.

«  J'ai besoin de toutes ces petites informations tu sais. »

J'attrape une chaise qui traine par là et la traine jusqu'au comptoir. J'attrape la forgeronne par le bras, lui causant un bleu j'imagine et l'assoit de force.

«  Et puis, on ne va pas se mentir. Maintenant que tu connais mon visage, je ne peux pas te laisser repartir. »

Un sourire monstrueux, mon sourire d'akuma, apparaît quelques secondes avant que je reprenne ma mou habituelle.
J'empoigne un marteau resté sur le comptoir et joue avec. Je laisse trainer les secondes. Elle sait ce qu'il va se passer, mais ne sait pas quand. Et c'est là le plus beau.

«  C'est parti ? »

Encore quelques secondes, et j'abaisse l'arme de fortune sur son genou, alors qu'un Crac bien sonore se fait entendre.

Je me redresse lentement, et essuie mes mains sur ma chemise. De toute façon, vu son état, ça ne changera plus grand chose. Je remets mes cheveux en place, tranquillement. Lorsque je suis de nouveau présentable, je baisse les yeux sur la jeune femme. Ou plutôt ce qu'il reste d'elle. Une chose entre le vie et la mort. Un amas de chaire et de sang. J'ai un peu perdu le contrôle. Mais peut m'importe. Ce n'est qu'une civile après tout.
Je m'accroupis face à elle et relève ce qui fût son visage.

« Je dois reconnaître que tu m'impressionnes. Tu n'as pas décoché un seul mot. Enfin, en dehors des aie, non pitié, arrêtez, non, stop, aaaah. Mais bon, ce n'est pas ça qui m’intéressait. »

Je me redresse et pose mes mains sur les hanches.

«  Il faut croire qu'au final, tu ne savais peut être rien. Enfin, ce fût amusant, n'est-ce pas ? »

Je rabaisse mes manches et m'approche du comptoir où j'ai laissé ma veste, juste avant d'attaquer la partie sanglante des questions. Je l'enfile, et me rhabille complètement.

«  Il est temps pour moi de partir. »

Je reprends ma dague – toujours sur le comptoir – et la range dans ma poche. Je m'apprête à sortir, quand je m'arrête. Est-ce vraiment raisonnable de la laisser comme cela ? Ce n'est ni raisonnable, ni intelligent.
Je fais demi tour et regarde ce qui pourrait m'aider dans cette pièce, lorsque mon regard se pose sur les fourneaux. Mais bien sûr. Je reviens vers le jeune forgeronne. Elle est incapable de marcher.

«  Tu m'auras emmerdé jusqu'au bout. »

Je retire une nouvelle fois ma veste et la porte sur mon épaule. Je la pose à côté du feu et y mets un bâton. Je fais ensuite le tour de la pièce, enflammant plusieurs endroits. Je reprends mes affaires et sors de la boutique.
Je ne fais pas plus d'une dizaine de pas que des cris retentissent déjà. Je remonte mon écharpe et traverse la foule, direction la porte de l'Arche. Au final, je n'ai pas réparé ma dague, et c'est bien dommage.