Et puis, à chaque fois, il te voit par la fenêtre. Paniqué, il sort avec une couverture, t'enroule dedans. Il prend un air sévère, et te traite d'inconsciente, te rappelle qu'il t'a dit mille fois de ne pas aller dans le froid sans te protéger. Tu baisses la tête, honteuse, en murmurant "tilgivelse". Alors, il s'adoucit, te ramène à l'intérieur, et te fait une boisson chaude. Puis tu éternues: inquiet, il te met au lit, et veille. Il es médecin, il sait comment te soigner.
Et tu recommenceras à jouer à peine guérie, il s'en doute. Il soupire, et se dit qu'avec le temps, tu retiendras...
Mais tu n'as pas envie de te rouler dans les flocons, aujourd'hui. Comme hier, comme avant-hier, comme depuis des semaines et des semaines. Tu n'y as pas le cœur... il est serré, plein d'angoisse. Tu ne joues plus, et ton doux sourire n'apparaît plus sur ton visage. J'essaye de te changer les idées avec des pirouettes, ou en t'invitant à jouer à cache-cache, mais tu me regardes avec un air plein de tristesse, et me prends dans tes bras, serrant fort. Comme si tu avais peur que je parte aussi...
Non, tu ne sors plus. A quoi bon affronter la morsure de l'Hiver? Après tout, tu faisais aussi cela pour qu'il quitte ses préparations de médicaments, et vienne s'occuper de toi. Mais... il n'est plus là.
Il est parti depuis longtemps. Très longtemps. Tu n'as pas compté les jours, les longues nuits d'angoisse; mais tu sais qu'Osvelt ne te laisserait pas seule tant de temps.
Tu manges des plats froids. Tu reste enroulée dans ta couverture, ne sachant allumer le feu. Et surtout, ton âme s'engourdit, perdant peu à peu sa joie de vivre, frigorifiée par la solitude, l'ennui et l'angoisse.
Et tu regardes dehors. Tu veux voir une grande silhouette, se détachant sur le paysage de marbre, émergeant de la brume glacée comme un héros. Tu veux voir son sourire et ses yeux étincelant. Tu veux retrouver sa tendre et forte étreinte, rassurante et pleine de chaleur. Tu veux entendre sa gentille voix, admirer son air heureux, mécontent, inquiet, riant, doux...
Tu veux qu'il te parle, te raconte des histoires folles, te réprimande... ou même qu'il soit simplement là, et te regarde avec ses yeux pleins d'attention.
Mais il n'y a rien. Juste la neige qui tombe. Et puis, tes larmes...
Le peur te tord le ventre. Tu te sens seule, comme quand ta mère s'est éteinte, te laissant dans l'obscurité et le froid. Tu ne veux plus vivre cela... Tu ne veux plus pleurer chaque soir, en murmurant le nom de l'aimé, pour le faire revenir. Tu ne veux plus te rappeler sa voix, ses mots, sa douceur, et comprendre qu'il ne te reste que les souvenirs. Souffrir si fort...
Mais il n'apparaît pas. La fenêtre offre le même spectacle, celui qui te ravissait, mais qui ne t'apporte plus que chagrin. Les flocons qui tombent, encore et encore... Dans un ballet inerte, vide de sens. La beauté est vaine, quand on ne peut la voir avec ceux qu'on aime...
Alors, tu prends une décision.
Tu vas partir, pour le chercher.
Tu y as souvent pensé avant, mais tu n'osais pas: Osvelt t'a toujours interdit de sortir sans lui, parce que c'est trop dangereux. Et puis, tu crains qu'il ne revienne alors que tu es loin.
Mais maintenant, attendre est devenu trop dur. Et qu'importe les risques: rien ne saurait être plus douloureux que ce supplice. Alors, après avoir attendu que la tempête se calme, tu prends un sac, tu mets de la nourriture, de l'eau et de l'argent dedans, et tu passes la porte...
Il fait un peu froid, mais tu as l'habitude. Cela ne te dérange pas; au contraire. Quand il y a du soleil, tu dois te protéger, pour ne pas avoir mal.
Tu sais où aller: il faut suivre le chemin, pour arriver au village. Tu pourras le chercher, là.
Même si tu ne connais pas bien les gens...
Même s'ils ont peur de toi.
© Halloween