C'était en Bretagne que je devais donner un concert, cette fois, laissant Emy sous la garde de Basile – c'était un voyage trop long, et par trop grand froid. Je restais au sein de la France, au moins… Et puis, le concert en valait la peine : les plus grands musiciens du pays seront réunis, d'aucuns faisant savourer leur art en solo, d'autres en duo, et les derniers en orchestre. Si mon talent était largement reconnu, je n'arrivais pas à la cheville des maîtres de la musique, et je me délectais déjà de ces représentations.
Cependant, il me fallait faire halte pour la nuit, dans un village bordant la forêt de Brocéliande. J'étais habitué à des milieux de vie plus luxueux, mais je n'y accordais que peu d'importance : j'aimais les styles de vie décontractés, simples, comme en témoignait ma tenue habituelle, et les murs contenaient admirablement le froid de l'Hiver. De plus les contes dont m'abreuvait l'aubergiste étaient intéressants, parfois passionnants. L'un d'eux, cependant, me laissa de marbre : une légende sur un nain farceur, nommé Nifleur. Ce type de récit, chaque village en avait un, toujours avec un nom de ce goût. Il suffisait qu'une personne égare l'un de ses biens et tous maudissaient le fieffé petit être, alimentant la légende qui sera brandie avec plus de conviction encore à la prochaine disparition, dans un cercle fantasque et crédule. Et si je n'y croyais guère plus, je préférais de loin l'histoire de la fée Soline, dont on avait entendu le chant mélodieux au cœur des bois. Deux personnes avaient, un jour, témoigné l'avoir entendue au même instant, toute proche. Deux personnes qui se tenaient alors chacune à un coin opposé de la forêt, comme si le chant ne connaissait nulle distance, seulement des cœurs à atteindre…
La légende n'était pas bien plus inspirée que celle du lutin, mais elle avait le mérite d'être belle. Et puis… je l'avais rencontrée, moi, ma fée Soline. Alors, je ne pouvais m'empêcher d'imaginer Abigail, au cœur des majestueux arbres, laissez aller sa superbe voix, solitaire…
Et finalement, malgré mon scepticisme, je cédai à la curiosité. Chaque légende avait un fond de vérité, et si les êtres féeriques étaient réellement doués pour se cacher, quelle preuve avais-je qu'ils n'existaient pas ? Dans le pire des cas, je profiterai d'une agréable promenade dans cette forêt enneigée : j'avais des vêtements chauds, et l'amour du calme apaisant de l'Hiver.
Le temps passait et, si aucun lutin ne pointait son nez, je ne regrettais pas ma décision. La forêt dormait, tranquille, et mes pensées suivaient cette voie sereine. L'angoisse qu'Emy m'accepte un jour s'apaisait, le chagrin de mon deuil s'envolait, mon âme était emplie de la beauté des lieux. Et puis…
Mon cœur rata un battement, alors qu'à mes oreilles tintait une voix douce. Je crus un instant être saisi d'hallucination, porté par la magie du moment, mais je me trompais. Le chant était bien réel, et plus beau que je n'aurais pu l'imaginer… Mon cœur battait à tout rompre à présent, alors que je me dirigeais presque timidement vers l'origine. Je craignais que ma curiosité fasse fuir la fée, comme le sot de la fable se privant d'œufs d'or, et peut-être me serais-je assis pour simplement en profiter si la mélopée ne me rappelait Abigail de façon si éclatante. Un espoir fou naissait dans mon cœur, que je n'avais pas la force d'étouffer….
Et quand je vis la créature, mon souffle se coupa. Elle était brune, au cœur d'une région si froide, et ses cheveux avaient la teinte des anémones. Une crainte superstitieuse me figea mais, folie plus absurde encore, j'avais la certitude qu'une si belle voix ne pouvait appartenir à une personne mal intentionnée. Alors, je m'avançai lentement, hésitant, songeant que j'étais peut-être en plein rêve. Elle ne me vit pas, absorbée dans son art, et je ne parlai pas. Et quand son chant s'éteignit, je laissai un souffle traverser mes lèvres :
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