chapter five — i’m stronger now
Le coup que tu lui as porté t’a fait plus de mal que de bien, et la gamine ne manque pas de te le faire savoir. Ses deux voix s’allient pour ne faire qu’une et surtout — pour se moquer de toi. Tu es piquée, mais ton poing n’a jamais eu vocation à la blesser — simplement à te défouler. Et le léger filet de sang qui s’écoule de sa bouche te procure une certaine satisfaction ; assez pour oublier un peu la douleur dans ton ventre. Tu la regardes s’empêtrer dans la marée grise à mesure qu’elle essaye d’en sortir, un petit air victorieux sur le visage. Tu sais que tu ne dois pas crier victoire trop vite, à plus forte raison que les deux akumas sèment toujours la panique dans la ville. Mais la voir s’embourber dans l’écume et chercher à fuir ta brinicle a quelque chose de grisant. Tu te sens supérieure, l’espace d’un instant (non pas que tu aies besoin de réellement l’être pour te sentir supérieure aux autres, Adélaïde. Tu sais que tu vaux mieux que cette gamine impertinente, mais voir cette certitude se vérifier sur le champ de bataille te plait. C’est une sensation éphémère, néanmoins — d’un bond en avant, l’Enragée s’élance vers toi, l’air presque paisible. Tu sens que quelque chose, tu ne sais pas quoi. Mais sa légèreté et sa désinvolture font rapidement disparaître ton sourire.) « Oh you sweet child... You’re such a pain in the ass. » chantonne-t’elle, comme si rien n’avait d’importance. Tu lèves les yeux en l’air. A pain in the ass, really ? Tu es déçue. Tu t’attendais à plus de répartie de sa part — mais visiblement, il s’agit là d’un combat que tu as déjà gagné. « Oh come on. At least PRETEND not to be such a bore. » Et pour toute réponse, elle plante son regard dans le tien — tu comprends trop tard que tu aurais dû détourner le regard. Enfin. Ce n’est pas comme si cela changeait grand chose, au final. Même en connaissant les risques, ta fierté t’aurait probablement empêché de baisser les yeux. « Maybe you should start praying now, before it’s too late. » dit-elle, mais tu n’entends pas bien la fin de sa phrase. Ton ouïe baisse, devient imprécise — tout ne forme plus qu’un brouhaha indéchiffrable, et ta vision ne se porte pas mieux. Tout est flou autour de toi. Tu ne sais pas si c’est toi qui tangue ou le monde qui tourne autour de toi — tout ce que tu sais, c’est que ça bouge drôlement, et drôlement vite. Tu plisses les yeux, essayes de distinguer la silhouette en face de toi — qui est-elle, déjà ? Qu’est-ce que tu fais-là ? Tu essayes de te concentrer pour trouver la réponse à ces questions, en vain. Tu ne peux te fier qu’à ton instinct, et au peu de conscience qu’il te reste pour ne pas te jeter ouvertement dans la gueule du loup. Tu veux avancer vers la gamine, mais tu recules, titubes, manques de peu de perdre l’équilibre. Et le pire, c’est que cela t’amuse — d’ailleurs, l’autre aussi semble s’amuser, dans cette espèce de bouillie visqueuse et grisâtre. Toi aussi, tu aimerais essayer. « Looks... fun. WHAT with... the.. BLURRY FACE ? I... think... THINK, yeah... that you... SHOULD PROBLA... proby... probaBLY see a DOCTOR before faDING AWAY, HAHAHAHA. » articules-tu en pointant du doigt ton ennemie. Puis d’éclater de rire, alors que tu tombes en arrière. La douleur dans tes côtes te rappelle furtivement à toi, le temps qu’il te faut pour comprendre la situation. Tu es ivre, Adélaïde. Et tu perds de vue ton objectif, n’as plus aucune conscience du danger devant toi. Il reste bien cette petite voix qui te chuchote à l’oreille que tu joues ta vie, que ce n’est pas un jeu. Que l’ombre floue devant toi, qui semble se battre avec un ennemi invisible qui l’empêche d’avancer, n’est pas ton amie. Mais tu l’ignores, cette petite voix. « Oh, hush. » lances-tu dans le vide. « CAN’T you see I... I.. I’m HAVING a... good... TIME. » Such a good time indeed.
Toujours assise, tu tentes maladroitement de te relever. Tu cherches tes appuis. Et pour cela, tu as besoin de tes deux mains. C’est donc sans la moindre hésitation que tu poses ta longue-vue à côté de toi. Évidemment, toutes tes techniques disparaissent en même temps — le doigt glacé de la mort se brise et s’évapore, tandis que l’écume semble être absorbée par le sol goudronné de la rue. Tu es en danger de mort, à présent, Adélaïde. Te voilà assise, côtes brisées, face à ton ennemi naturel. Et ce dernier n’a plus aucun lien, aucune gêne pour le retenir. Pour l’empêcher de t’asséner le coup de grâce. Ta mort semble proche, Adélaïde. Et cela, ton Innocence l’a bien compris. Sans ton commandement, et alors que tu ne l’as toujours pas récupérée, elle se met à scintiller d’une lueur bleue. Et de l’eau apparaît soudain tout autour de toi, semblant provenir des souterrains de la ville. Ce n’est qu’au départ qu’une petite flaque d’eau se transforme rapidement — en l’espace d’une fraction de seconde, en vérité — en un gigantesque maelström qui force l’apôtre à reculer. Le simulacre de courant marin tourbillonne violemment, et tu es tout bonnement aspirée par ce dernier. Tu n’as pas le temps de comprendre ce qu’il t’arrive, ni même ne serait-ce que de commencer à réagir. Perchée sur ton nuage d’ivresse, tu ne peux que subir les agissements autonomes de ton Innocence. Tu disparais de la surface de la rue, comme si tu n’y avais jamais été. Le Maelström ne cesse de grandir et de s’étendre — puis il te recrache, te propulse à nouveau sur le devant de la scène. Il te faut quelques secondes pour réaliser ce qu’il vient de se passer. Tu n’essayes même pas de comprendre — tu fixes simplement le tourbillon marin d’un air abasourdi, avant de te précipiter vers ta longue-vue et de la récupérer. « What. the. fuck. » clames-tu, lançant même un regard à la descendante de Noé. Des fois qu’elle aurait un début de réponse, elle. « Did you..? Nevermind. » tu parles davantage pour toi-même que pour ton opposante. Le maelström creusé entre vous deux vous sépare, et t’octroie un répit plus que bienvenu. Tu ne sais toujours pas ce que c’est, mais tu te doutes qu’il s’agit de l’oeuvre de ton Innocence, qui a probablement cherché à te sauver. Tu remarques que les effets de l’ivresse se sont complètement estompés — la douleur est toujours là, mais tu as à nouveau pleinement possession de tes moyens.
Tu prends un air pensif, songeur.
Puis tu souris.
(Desert islands, cela sonne bien.)
» fin avril 189x — freja & adélaïde «