L'esprit d'aventure

Aventure

" La vie est une aventure audacieuse ou elle n'est rien. "

Si sa rencontre avec l'exorciste borgne à New York avait apprit une chose à l'oiseau de nuit qu'était Elliot, c'était qu'il était parfois bon de migrer sur un autre continent. Tel un volatil migrateur quittant les terres chaudes des pays du Sud, il quitta les États-Unis pour la première fois de sa vie, laissant ses larges ailes noires le porter au-delà de l'Océan Atlantique. Ses larges pattes arrière finirent par poser pied à terre quelques jours plus tard. Tel le Christophe Colomb qu'il était, le jeune américain avait tout à apprendre de cette magnifique ville portuaire. C'est de nuit qu'il se posa sur un toit, avant de finalement reprendre forme humaine pour trainer sur les quais du port jusqu'au petit matin, le temps de reprendre des forces.

Où était-il ? Quelle langue parlaient tous ces gens autour de lui ? Quels trésors cachait ce si beau pays ? Le petit Akuma à la forme enfantine n'avait qu'une hâte : en apprendre plus sur ce merveilleux endroit !

Ses sens n'étaient pas alertés par l'innocence ; seul le bonheur de vivre une nouvelle aventure semblait aujourd'hui capable de faire battre son petit cœur mort. Son regard finit par croiser celui d'un gamin qui se tenait sur une caisse.

" Hé ! Toi ! Est-ce que tu sais dans quel pays nous sommes ? "

Un large sourire candide traversa alors le visage de l'enfant machine, Cody toujours sur son épaule.

France

" La France est le cœur du monde. "

" Tu es au pays de la liberté et des droits de l'homme. La France ! Bienvenue à toi ! Viens tu de débarquer d'un des trans-altlantiques ? "

Le gamin à l'étrange accent avait demandé ça le sourire aux lèvres, tout en désignant un de ces gros navires amarrés au port. Les yeux dorés du petit américain se posèrent alors sur ces grandes édifices, tandis que Cody gazouillait à son oreille.

" La France.. Quel merveilleux pays ! Je n'en ai jamais vu de semblables. " s'exclama-t-il avant de se reprendre, " On peut dire que j'ai traversé les mers de la façon la plus grandiose qu'il soit ! "

Au fond, Elliot n'avait pas tort en disant cela ; sentir le vent sous ses ailes, se laisser planer au-dessus des flots et observer les baleines et les dauphins, cela n'avait pas de prix.

" Whouaaa. Il est à toi ce piaf ? Il est drôlement joli... j'en ai jamais vu des pareils. Dis, je peux le prendre ? Je lui ferai pas de mal. "
" Il s'appelle Cody, ce n'est pas un jouet, hein ! Caresse-le mais ne me le vole pas ! "

Le petit oiseau se mit à chantonner tandis que son petit maître l'attrapait délicatement entre ses doigts. Si l'enfant-machine n'avait aucune limite lorsqu'il était sous sa forme mécanique, une fois redevenu humain, il respirait la candeur même. Une mère n'aurait pas su voir le monstre qui vivait en lui.

Ce doux sourire ne quitta pas une seconde son visage enfantin.

Présentations

" L'homme juge tout dans la minute présente, sans comprendre qu'il ne juge qu'une minute : la minute présente. "

Les doigts du petit garçon se perdirent alors dans les plumes de Cody qui se mit à chanter de satisfaction. Durant toute sa traversé de l'océan, le petit oiseau avait produit de telles mélodies pour son maître, de sorte à accompagner son voyage de douces notes. Tiens, que faisait l'autre gamin ? D'une petite flûte brillante, il se mit à répéter les sons produits par le chardonneret, avant de finir par tendre sa main vers Elliot.

" Yo, mon nom c'est Ilias Othmane. Et toi, comment est-ce qu'on t'appelle ? T'es en voyage avec ta famille, mon pote ? Ça doit te faire tout drôle. La France ça a pas la même tronche que les U.S.A. "

Quel drôle d'anglais ce gamin parlait, bien loin de celui que l'américain avait apprit. Cependant, malgré l'apparence négligée de son camarade, il lui serra la main comme faisaient les gens de la haute société.

" Je suis Elliot Christopher Brooks, de Baton Rouge, en Louisiane. Je voyage toujours avec ma famille, oui ! Mais nous aimons nous laisser porter par le vent sans savoir où celui-ci va nous mener. Pour nous, c'est ça, l'aventure ! "

A ces quelques mots, l'enfant-machine sourit à pleines dents, son seul œil valide fermé durant cette paisible mimique. Toujours aussi intrigué par cette flûte d'or, Elliot finit par reporter son attention sur cette dernière, la désignant même du doigt pour appuyer ses propos.

" Tu sais manier les sons, à ce que j'ai entendu. Fais-nous en entendre plus ! "

Musique

" La musique, c’est du bruit qui pense. "

C'est avec un grand plaisir que le gamin au nom oriental se mit à faire danser les notes de musique à l'aide de sa flûte d'or. C'était beau, mélodieux, mais Elliot n'avait jamais entendu de telles mélodies, sans doutes venaient-elles d'un autre temps. En tout cas, lorsque Ilias finit par s'arrêter de jouer pour s'incliner avec véhémence, l'américain l'applaudit, un large sourire sur les lèvres.

" Bravo ! Tu es un vrai petit prodige des notes. "

Soudain, le gamin aux cheveux presque noirs releva la tête, visiblement intrigué par quelque chose ou.. plutôt quelqu'un. L’œil doré de l'enfant-machine suivit son nouveau camarade dans sa course pendant quelques secondes. Se lançait-il dans une expédition minute ? Venait-il de décider de parcourir les rues de la ville à la recherche de trésors aussi brillants que son instrument de musique ? En tout cas, Elliot était envieux de savoir ce qui avait pu le faire partir de la sorte ; mais Cody fut le premier à se lancer à la suite du petit faiseur de mélodies.

" Hé attend-moi au moins ! "

Le chardonneret jaune s'était-il entiché de ce flûtiste des rues ? Allez savoir, après tout, il avait réussi à répéter d'une certaine façon son chant et cela avait du charmer le petit oiseau. Très rapidement, ils quittèrent le port, mais l'espace d'un instant, le jeune Brooks sentit sa tête tourner, il manqua de tomber des suites de ces nausées instantanées. Mais aussi vite qu'elles étaient arrivées, elles disparurent. Comme à chaque fois.

Nausée

" Ce malaise devant l'inhumanité de l'homme même, cette incalculable chute devant l'image de ce que nous sommes, cette nausée comme l'appelle un auteur de nos jours, c'est aussi l'absurde. "

" ça va ? T'es tout pâlichon... c'est ta blessure à la tête qui te lance ? T'as besoin d'aide ? " demanda-t-on dans un premier temps, " Tu veux que je te raccompagne auprès de ta famille ? "

Ce sont ces paroles qui sortirent le jeune américain de ses pensées, mais qui firent également s'envoler les nausées comme elles étaient venues. Cela n'avait rien à voir avec sa blessure, non non non.. Tout ceci n'était que dans la tête d'Elliot, des brimes de souvenirs liées à son âme qui lui jouait de temps à autres des tours, comme pour lui montrer qu'elle était toujours là. Enfin.. Des fois, il lui arrivait même de vomir, comme si son âme cherchait à s'échapper de cette manière ; comme Emily avait vu son corps mourir à petit feu suite à son empoisonnement.

" Non, non.. ça va. " fit-il avant de se redresser, plus souriant que jamais, " Le voyage a dû m'épuiser, ce n'est rien d'autre qu'un petit coup de mou ! Rien de très grave sur lequel on puisse s'affoler, je vais bien. Ce n'est pas ça qui va arrêter un aventurier comme moi ! "

Cody finit alors par se loger sur la casquette de son maître. Les animaux sentent quand leurs humains ne vont pas bien mais.. Qu'en était-il d'une machine ? Il cligna de son unique œil pour se concentrer de nouveau sur le jeune Othmane.

" Hé mais, tu t'étais lancé à la poursuite de quelqu'un ? "

Enfant

" Enfant : existence sans biographie. "

" Ouais, mais je l’ai perdu de vue. Foutues ruelles ! "

Ensuite, il cracha par terre, ce qui tira une grimace de dégout sur le visage déjà pâli de l’américain. Son camarade parla alors de kidnappeurs enfants habillés en noir, ayant emmené sa sœur des années auparavant. Les hommes en noirs semblaient se retrouver en Angleterre et c'était pour cela qu'Ilias voyageait. L'espace d'un instant, l'unique œil valide de l'enfant-machine sembla briller d'une lueur nouvelle ; des exorcistes.

" J'ai déjà rencontré des hommes comme eux, tous de noirs vêtus.. " fit-il alors, l'air sombre, " C'est parce qu'ils ont cherché à me prendre avec eux que ma famille et moi avons quitté les États-Unis, nous.. nous ne pensions pas qu'il y en aurait ici. "

Au fond, ce n'était pas très faux. Si Elliot avait quitté New-York c'était après son altercation avec un jeune exorciste ; ce qu'il ne dit pas à son nouvel ami, par contre, c'était que l'homme en noir qui en avait voulu à sa vie n'était autre qu'un enfant lui-même. Mieux valait garder ça pour lui. L'air toujours aussi grave, il reprit :

" Mais s'ils sont ici également, je crains pour la vie des enfants du coin. Il faut agir ! "

Aujourd'hui, il allait retrouver un exorciste et mettre un civil dans les rangs du Prince. D'une pierre deux coups !

Se battre

" Lorsque vous refusez de vous battre, vous gagnez. "

Son camarade était en colère, cela se lisait dans son regard, ses mimiques ; et à côté de cela, Elliot jubilait intérieurement. Ce petit homme allait devenir un allié du Prince, à n'en point douter, malgré son jeune âge.

" Hey mon pote, tu sais un peu te battre ? En tant qu'américain, tu dois t'y connaître en boxe ? "

L'intéressé cligna d'un œil, visiblement surprit par une telle question. Qu'est-ce que c'était que ce préjugé ? L'Oiseau en Cage ne put s'empêcher de laisser s'échapper un rire de ses lèvres, même si la situation n'y portait pas vraiment :

" Mes parents ne m'ont jamais apprit les arts de la boxe. Cependant, ce serait mal me connaître que de penser que je suis incapable de jouer de mes poings ! Crois-moi camarade, ces prêtres noirs ne m'auront pas une seconde fois. "

C'est ainsi qu'après un signe de la main, Elliot fut inviter à suivre son nouvel ami à travers les rues et les jambes des français qui trainaient là. L'unique œil doré de l'Akuma tournait tout autour d'une flamme étrange, d'une lumière avide de connaissance, de découverte ! Pourtant, il fallait rester concentré, pour ne pas perdre sa prise.

" Ils aiment rester en bande. Ce ne sera pas difficile de les trouver. Par contre, il ne faut surtout pas les attaquer de face. Ils sont très forts.. "

Ils ne tueraient pas un civil comme Ilias ; mais un Akuma comme Elliot, oui. Prudence était de mise.

Ennuis

" On ne s'ennuie pas quand on a des ennuis. "

" Ne t’en fait pas Elliot, je sais comment m’y prendre avec les bandes… je te jure qu’ils vont morfler grave. "

Tandis que les deux comparses se mettaient en marche, Elliot ne put s'empêcher d'afficher un large sourire, bien qu'Ilias ne l'ait pas aperçu ; le sourire du monstre qu'il était au fond de lui.

Deux heures, c'était le temps qu'ils avaient mis à retrouver leur trace. La tête légèrement tournante après tous ces efforts, l'américain ne s'était pas arrêté une seule fois pour autant. Il était là, ce bateau aux couleurs des ténèbres, avec deux exorcistes qui se tenaient juste devant, comme si de rien n'était, avec leurs petits compagnons puants une religion souillée. Le sang de l'Akuma ne fit qu'un tour, il sentit son unique pupille s'affiner, mais il resta étrangement calme malgré tout.

Croquant dans une pomme qui faillit le faire vomir aussitôt, le gamin finit par dire, fiévreux :

" Ils sont nombreux tu sais.. Même à nous deux, je ne suis pas certain que nous puissions nous attaquer à eux, tout du moins.. Pas maintenant. "

Se frottant le front avant de rendre la pomme à peine entamée à son compagnon, Elliot fut forcé de se lever pour marcher un peu ; afin de s'aérer l'esprit.

" Ils ne partiront pas de nuit, ça c'est certain. Nous devrons les aborder qu'une fois tous endormis.. Je ne pense pas qu'ils se sentent surveillés. "

Si tel était le cas, l'oiseau finirait par s'envoler à nouveau, laissant Ilias entre leurs mains. Il sourit.

Meurtre

" Les pêchés parlent, le meurtre crie. "

La tape dans le dos que le petit homme donna à son camarade faillit le briser en deux ; quand bien même son corps n'était qu'une vile machine.

" Bouge pas pour le moment. Je m'occupe de les infiltrer. "
" Compris, je reste là. "

Restant en retrait, toujours aussi fiévreux, l'Akuma fut aux premières loges pour voir ce petit monstre d'Ilias terrasser un exorciste comme on tuerait un chaton à coup de pieds. Une seule chute, un seul coup. L'unique œil valide d'Elliot brilla d'une flamme de respect, même envers un petit humain. Des sanglots se firent entendre. Un signal ?

Non, il lui avait dit de ne pas bouger ; pour le moment. Alors il se contenta de rester dans son coin, près de l'eau. Pourtant, l'excitation était telle que l'américain avait du mal à tenir en place. Ce petit humain, si fragile, avait réussi à tuer un exorciste ; alors que lui, machine vivante, avait du fuir face à un gamin de leur rangs. Trop d'émotions, sa tête se remit à tourner.

Tombant à genoux, la tête au-dessus du vide et de l'eau, une larme nerveuse s'échappa de son œil tandis que les nausées avaient été plus fortes que son petit corps. Une toux rauque le prit tandis qu'il vomissait dans l'eau, se tenant au rebord. Voilà trois ans qu'il était Akuma et pourtant, jamais il n'avait put se défaire de cette défaillance. Défaut de fabrication.

Se redressant, il se tourna vers le bateau, l'apercevant du coin de l’œil. Avait-il attiré l'attention ?

Maladie

" La vie est une maladie de l'esprit. "

Des bruits de pas, un homme s'était approché du petit malade. L'aidant à se redresser, l'unique œil doré de l'Akuma croisa les yeux verts du traqueur : rien qu'un pion, il n'y avait aucun intérêt à le tuer. Tout du moins, pas maintenant.

" M.. Merci.. "

L'homme au regard si perturbé mena le blondinet jusqu'à son acolyte et meurtrier en herbe. Une certaine lueur habitait son regard, bien qu'elle disparut lorsque l'américain se laissa tomber à genoux aux côtés de son camarade. Faisant face à ce cadavre dont le sang encore chaud coulait sur les quais, Elliot leva une nouvelle fois sa main à sa bouche. Mais il n'y eut aucune larme nerveuse au coin de son œil.

Le traqueur finit par s'adresser à lui, sous les yeux d'un autre et d'un second exorciste :

" Hé, tu comprends l'anglais toi ? "
" Un peu.. oui.. à peine.. "
" Tu le connais lui ? Tu comprends ce qu'il raconte ? "
" Il.. Je.. Oui mais.. non.. Cet homme.. Aaah.. "

Feignant cette fois-ci une nouvelle nausée, l'enfant-machine se recroquevilla sur lui-même, cachant par la même occasion un sourire. Son corps tout entier tremblait ; mais ce n'était pas de peur. Le second traqueur prit alors la parole :

" Jamais Central ne va croire à cette histoire, ce n'est pas possible.. ... Il faut les ramener au Quartier Général. "

L'unique œil de l'Oiseau en Cage s'illumina de rouge, le visage toujours caché par ses mains. D'une voix rauque, il souffla :

" Essayez pour voir.. "

Secret

" Personne ne garde un secret comme un enfant. "

" T’es O.K. mon pote? T’as encore la gerbe ? Le bide en vrac ? J’peux te filer un coup de main ? "

La tête toujours entre ses bras, l'enfant-machine ne bougea pas et ce malgré les paroles de son ami. Jamais il ne laisserait ces foutus soldats d'un Dieu déchu les emmener qui que ce soit. Ilias ne devait pas être à leur botte, comme Elliot ne pouvait se permettre de se rendre à la Congrégation de l'Ombre ; mort assurée. Il se mit à murmurer à son camarade, tout en laissant luire son unique œil rouge dans la pénombre.

" La boxe, c'est pas vraiment mon truc. Mais j'ai plus d'un tour dans mon sac. ... Je vais te confier un secret. "

Tandis qu'il se lève, l'Oiseau en Cage vient agripper les bras de son comparse. Des longues ailes noires sortent de son dos et un sourire mauvais traverse son visage, tandis qu'il reste dans sa forme de semi-Akuma. Un cri de terreur fusa dans l'air.

" C-Ce gosse est un Akuma ! "

Ne laissant pas à l'exorciste le temps d'activer ni de sortir son arme d'on-ne-savait-où, l'Ange déchu s'envola dans les airs tout en tenant fermement son camarade dans ses bras. Une fois suffisamment haut dans le ciel, le monstre se mit à s'éloigner des lieux, le plus rapidement possible. De sa voix rocailleuse, il mit en garde Ilias :

" Si tu bouges trop, tu vas tomber. "

Il ne pouvait pas s'être cassé la tête pour rien !