Le Réveil du Sommeil (vous remarquez l'ironie). -Ankk

Tu avances dans la nuit Ankk, tu aimes la nuit d’habitude mais aujourd’hui tu ne prêtes ni attention aux étoiles ni au parfum de la nuit. Tu veux voir ta fille, t’assurer qu’elle va bien. Ta petite Aaliyah, ton petit Poisson. Tu marches dans les rues pavées qui te renvoient l’écho de tes pas, pas, pas. Tu arrives dans une rue plus animée et tu la vois enfin. Ses longs cheveux roux s’embrasent à la lumière des torches et ses boucles rebondissent sur ses épaules tandis qu’elle se dirige vers une taverne d’un pas décidé. Tu l’as vue maintenant, tu peux partir maintenant. Tu devrais partir. Pourtant tu la suis. Tu t’approches lentement du bâtiment  illuminé, la fenêtre, comme un œil, t’attire. Alors tu t’approches plus près, encore plus près jusqu’à ce que la lumière fasse briller tes yeux. Tu la vois s’assoir au comptoir, commander une boisson qui lui est servie aussitôt. Tu poses ta main sur la vitre, tu aimerais aller t’assoir à ses côtés, connaître la femme qu’elle est devenue. Car ton petit Poisson a bien grandi. Il nage de ses propres ailes.

Tu sursautes. Tes yeux ont croisé leur reflet. Non ce sont les siens. Ces mêmes yeux d’eau. Il faut que tu partes Ankk, avant qu’elle ne reprenne ses esprits. Avant qu’elle ne te voit vraiment. Mais tu restes là, hypnotisée. Soudain elle se lève, tu recules précipitamment dans un coin obscur, le souffle court. Tu la vois se précipiter dehors et s’adosser, chancelante, à la façade de la taverne. Elle ferme les yeux et inspire une grande goulée d’air frais. Tu es énervée Ankk. Contre toi-même. Mais tu le savais que ça finirais par arriver. Alors toi aussi tu inspires, tu essaies de calmer ton cœur. Ses battements désordonnés. Son élan de joie. Tu résistes à l’envie d‘allumer une cigarette, ce n’est vraiment pas le moment. Tu te sens mieux. Tu DOIS partir maintenant, alors tu te retournes… Et bouscule quelqu’un qui arrive en sens inverse. Ce quelqu’un, passablement éméché te repousse en grommelant inintelligiblement. Des injures probablement. Tu n’y prêtes guère attention car tu viens de poser tes yeux sur elle. Aaliyah. Là devant toi. Ton petit Poisson devenu grand. Devenu requin. Prêt à te mordre.

-What are you doing here ?
Sa voix te fige, la haine brûlante de ses yeux te glace. Tu ne réponds pas. Tu ne sais pas quoi répondre. Après tout qu’est-ce que tu fais là ? Tu dis que c’est pour la protéger, pour continuer à veiller sur elle, mais n’est-ce pas aussi pour satisfaire le besoin égoïste de la voir ? Pour atténuer ne serait-ce qu’un peu la douleur qu’elle ait grandi sans toi ? Tu devais partir, pour les protéger. Mais comment lui dire, comment espérer qu’elle comprenne. Son animosité à ton égard est palpable. Elle t’en veut et à probablement raison car pour elle tu l’as abandonnée. Les as abandonnés. Aaliyah ton petit Poisson, Santiago ton homme de la mer… Et Caleb… Caleb que tu n’as pas vraiment connu. Que tu n’as pas pu aider (sauver), que tu aimes (fuis).  Qu’es-tu pour lui ? Un fragment du passé ? Un souvenir dont on ne sait plus si on l’a créé à force d’imaginer ? Te déteste-t-il lui aussi ? Toutes ces questions sans réponses qui défilent, tes yeux noyés dans les siens. Il te semble que le temps se distend mais à peine quelques secondes ont passé. Tu ne te sens pas de tout lui expliquer là, maintenant alors tu choisis de fuir.
-Je t’expliquerai tout… Bientôt. Je te le promets.
A ces mots des bulles irisées s’échappent de toi. Des bulles qui endorment. Des bulles de Sommeil.

Tu t’es enfuie, lâchement. Tu es de retour sur l’Arche, dans ta chambre. Elle est à ton image, douce et accueillante. Un feu brûle dans une cheminée devant laquelle se trouve un moelleux tapis blanc. Près de là, un profond fauteuil bordeaux n’attend que toi et ton tricot. D’ici tu peux voir un ciel étoilé comme tu les aimes. Plus loin, sur un petit bureau en bois laqué assortit à un tabouret recouvert de velours  (bordeaux lui aussi), se trouve ton nécessaire à correspondance. Un papier crème parsemé de délicats motifs mauves repose à  coté de ta plume, parfaitement taillée dans son porte-plume nacré. Un cadeau de Santiago, juste avant ton départ. Tu t’en souviens comme si c’était hier. Le porte-plume, emballé dans du papier de soie turquoise et enfermé dans un écrin de velours noir. Ce dernier repose maintenant sur le coin de ce même bureau. Non, Ankk. Laisse tes souvenirs, ce ne sont pas d’eux dont tu dois te préoccuper à présent mais d’Aaliyah. Tu dois lui expliquer, tu lui as promis. Mais pourquoi est-ce si dur ? Tu as peur qu’elle ne comprenne pas. Qu’elle te rejette. Tu ne peux pas lui dire en face, tu ne t’en sens pas la force. Tu ne trouverais pas les mots, tu as besoin de te poser et de réfléchir. La chaleur du feu te brûle la peau alors tu t’éloignes et pose ton front contre la fenêtre. Tu allumes une cigarette sur laquelle tu tires longuement jusqu’à qu’elle ne soit plus qu’un bout rougeoyant. La fraîcheur de la nuit t’apaise et te décide. Tu te diriges vers le secrétaire, t’assois et te saisis de ta plume. Ta main tremble mais tu raffermis ta prise, trempes la plume dans l’encre et commences à tracer des lettres.
 Aaliyah, mon petit poisson…