C'est pas le même pays, a dit Abi, mais c'est juste à côté. C'est un petit village, près de la mer. Il t'a dit qu'on ne pourra pas s'y baigner, parce qu'elle est trop froide : tu es un peu triste, mais tu te dis qu'au moins, il y a la neige. Tu peux aller dehors aussi, sans craindre les rayons brûlants. Et puis, c'est rassurant de revoir les paysages connus, la nourriture de notre enfance, les gens pâles comme nous.
Abi est parti, pour chercher quelqu'un. Il doit demander à des gens ; il n'a pas voulu expliquer, en disant que tu ne comprendrais pas. Ce qui est vrai, tu le sais bien, alors tu n'as pas insisté. Tu lui as fait un sourire, avec un regard qui signifiait : "reviens vite". Tu n'aimes pas le voir partir… Tu n'aimes pas son absence. Mais Papa aussi partait souvent, et il t'a expliqué que tu ne peux pas garder les gens que tu aimes juste pour toi, qu'il faut laisser aux autres le bonheur de les connaître aussi, et la liberté des gens. Est-ce que tu aimerais qu'il t'interdise d'aller dans la neige, pour la garder près de lui ? Il te demandait cela, pour te faire comprendre. Et tu as compris, un peu à contrecœur.
Et puis, Abi aussi fait des efforts. Il t'a autorisé à sortir, malgré qu'il soit très inquiet pour toi. A condition de ne pas quitter le quartier. Il a dit qu'il risquait d'y avoir des gens méchants, plus loin. Toi, tu ne penses pas qu'il y ait vraiment des méchants, juste des gens qui ont peur de toi, mais tu comprends. Quand ils te frappent, ça fait mal, et ça rend triste Abi et moi…
Alors, tu restes sagement dans la rue de l'auberge. Tu es habillée chaudement, car Abi t'a mis ces vêtements avant de partir : autrement, tu serais en petite robe dans le froid, inconsciente !
Tu observes les grandes maisons. Tu regardes les gens passer, leurs regards de travers en te voyant, mais sans s'arrêter. Tu cours dans toute la rue, tiens en équilibre sur les bancs, joue à chat avec moi. Et, surtout… la neige !
Tu te roules joyeusement en riant, de ton rire léger et sincère, tu fais des boules que tu lances le plus loin possible ou dans une cible -en faisant attention aux gens-, tu fais des petites sculptures blanches, tu la lances pour l'observer retomber lentement en nuage de diamants, tu la goûtes, la touches, te débat dedans avec moi, tu fais des dessins dedans…
Et parfois, tu t'assieds simplement sur le banc, et tu observes sa beauté. Simple, lumineuse, fragile, parfois détestée… comme toi. Tu ne penses pas à ça, tu la trouves juste belle. Chez Papa, il n'y avait pas beaucoup d'autre jeu, alors tu étais souvent dedans. Parfois, Papa jouait avec toi, faisant de géants bonhommes ou des batailles de boules de neige incroyables ! Tu n'as pas peur du froid, tu l'oublies presque. Et quand, parfois, tu glisses et te fais mal, tu préfères en rire.
Et ainsi, pendant des heures, tu joues dans la même ruelle, protégée par la foule qui passe.
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