Un courant d’air glacial traverse la grande pièce et Abby grelotte dans cette robe, trop légère, dont on l’a affublée – une robe qui ressemble davantage à un grand drap qu’à une véritable tenue – et la soupe versée dans son assiette est bien trop tiède – froide – pour l’aider à se réchauffer.
Tout doucement, elle attrape la cuillère posée devant elle, et la trempe dans le bouillon à la couleur suspecte. Plus elle regarde son assiette, plus elle se demande ce que les cuisiniers ont bien pu mettre dedans.
L’exorciste se fait toute petite. Elle détonne clairement dans ce paysage. Avec ses cheveux longs et bien peignés, l’absence de poussière sur son visage, son apparente réticence à avaler la moindre cuillère de cette soupe immonde dont les autres enfants semblent se régaler, impossible qu’elle passe inaperçu. Et pourtant, personne ne semble lui accorder la moindre once d’attention. Sa main gauche se crispe contre sa poitrine. Elle ferme les yeux, et songe à cette suite d’événements étranges qui ont précédé son arrivée dans cet horrible orphelinat.
Elles venaient à peine d’arriver sur les lieux. Glasgow, en Écosse. Luba, Beth et la jeune Abby étaient encore en train de réfléchir au plan qu’elles allaient échafauder pour mener à bien leur mission. Des enfants disparus. Comprendre pourquoi. Rester discrètes. Rien de très compliqué en soi, une mission toute simple : enquêter, comprendre, rentrer à la congrégation. Affronter quelques Akumas, peut-être.
Puis cette femme était arrivée.
Elle ne payait pas de mine, au premier abord. Des cheveux châtains, mi-longs, un tablier. Puis son regard s'était posé sur leur petit groupe, et c'est là que les ennuis avaient commencé. Abby ne se souvenait pas précisément des paroles qui avaient été échangées entre l'écossaise et ses camarades. Elle se souvenait de la main de cette femme, agrippant la manche de son uniforme, et la réprimandant pour un motif que l'exorciste peinait à comprendre.
Elle devait rentrer à l'orphelinat.
Abby aurait voulu lui dire, à cette femme. Lui dire qu'elle n'était pas orpheline, qu'elle avait deux parents, qu'ils vivaient à Southampton, en Angleterre (à la fois si proche et si loin d'ici). Lui dire qu'il y avait méprise, qu'elle n'était pas cette jeune fille qu'elle recherchait.
Elle avait tenté de protester, mais sa voix s'était coincée dans sa gorge. Même Beth et son charisme n'avaient pas réussi à convaincre cette femme qu'il y avait erreur sur la personne, qu'Abby n'avait rien à faire dans son orphelinat. Mais c'était peine perdue.
La femme avait emmené Abby, rendue muette de terreur.
Et maintenant elle priait pour que Beth et Luba arrivent rapidement, et viennent la sortir de ce calvaire.