Cette fois, ce ne sont pas des pulsions incontrôlées qui sont à l'origine de son envie de meurtre. Son esprit est très clair, elle agit avec sang-froid. Plus que d'habitude. Parce que son objectif est de tuer sans que son amie ne soit suspectée. Amie... Peut-elle l'appeler ainsi ? Alors qu'elle s'apprête à agir en sachant parfaitement que Lily ne cautionnerait jamais pareil acte ? Amie, elle n'en est pas digne, ne cherche pas à l'être. Un être ayant autant pêché ne peut chercher le salut.
Lily refuserait ce qu'elle s'apprête à faire. Quant bien même la mort de cette personne lui serait profitable. Même si elle en tirerait des avantages et pourrait enfin élever son cher enfant avec une situation stable. Oui, elle a tout à y gagner. Sauf que pour y parvenir, il faut qu'il meurt. Du malheur naîtra le bonheur.
Cependant, ce scénario la place en tant que coupable et non innocente. Une collègue voulant la place de professeur titulaire et l'obtenant comme par hasard, par la mort de ce dernier, c'est louche. Aucun soupçon ne doit naître. Il faut que Emi efface tous les indices. Ne laisse qu'une vérité dont personne ne peut douter. Pour cela, le mieux est simple. Le faire complètement disparaître dans la nature avec une explication sans bavure.
Une démission imprévue. Il est parti rejoindre sa famille, originaire du Luxembourg, elle lui manquait. Tout ce qu'il laisse derrière lui, c'est une lettre de recommandation écrite de sa main, pour louer les mérites de Mademoiselle Pennyworth. Cette jeune femme sait y faire, elle a ça dans le sang, s'ils lui cherchent un remplaçant, ils ne trouveront pas mieux. Il recommande vivement Mademoiselle Pennyworth. Il insiste, encore et encore.
Et, la main tremblante, il appuie sa plume, signe le courrier. Derrière lui, la silhouette sinistre d'un Akuma le menace d'une lame appuyée entre ses omoplates. Il vient de terminer sa besogne que ses doigts se désagrègent, l'horreur le fait crier, il essaye de se lever, trébuche et tombe lourdement au sol. Un amas de poussière. C'est tout ce qu'il reste. Un peu de sang d'Akuma, l'arme la plus discrète et la plus efficace. Reprenant forme humaine, Emi attrape un balais, pousse la poussière vers la porte d'entrée, doux vent d'été, tout disparaît. Si facilement.
Remords, regrets sont absents. Tout ce qu'elle ressent, c'est une profonde envie de rire. Elle se permet de décider aléatoirement de qui doit vivre et qui doit mourir. Pour qui se prend t-elle ? Dieu ? Qu'il lui adresse donc sa punition divine, elle l'attend. Elle la mérite. Elle est coupable. Elle ne sera jamais innocente. Parce qu'un innocent est couvert de blanc et non de sang.
[...]
Après avoir déposé la lettre sur le bureau du directeur de l'établissement, Emi a quitté l'Allemagne, il y a de cela deux semaines. Faisant profil bas, feignant l'ignorance des conséquences dont elle est responsable, elle attend que Lily n'ait besoin d'elle. Qu'elle lui annonce la bonne nouvelle "J'ai été embauchée" ou la mauvaise nouvelle "Pourquoi tu as fait cela ?". Le risque zéro n'existe pas. Une preuve peut toujours subsister...
Lily se manifeste. Emi veille à changer ses vêtements, parfaire sa coiffure afin de ne pas troubler la paisible vie que mène la Noé, en Allemagne. Cheveux attachés, robe légère, de circonstances, leur couverture ne doit pas pâtir à cause de sa hâte de la voir, heureuse, elle l'espère. Le pas rapide, elle trottine presque dans les rues calmes du village, elle s'approche d'une maison qu'elle connaît de vue, tapote très doucement sur la porte pour ne pas l'abîmer puis se recule. Un instant, la porte s'ouvre. La silhouette délicate de Lily se détache, jolie, elle l'est. Elle l'a toujours été.
Tant que son sourire reste, se couvrir les mains d'un peu plus de sang, c'est un maigre prix. Le sien glisse sur son visage, un peu taquin alors qu'elle essaye de deviner, s'éloignant volontairement de la vérité.
agora