let it hurt, let it heal (eloi)

 
 
Pourquoi admire t-on les héros ? Est-ce pour leurs exploits accomplis de leur vivant, est-ce pour leur courage légendaire, est-ce pour tous les innocents qu’ils ont sauvé ? Que retient-on d’eux, à part leurs derniers exploits, accomplis pendant leur dernier souffle ?
Éloi voulait-il que l’on se souvienne de lui ainsi ?
La perspective était charmante, pour notre chevalier qui ne rêvait que de devenir un héros pour le peuple qu’il voulait tant protéger. Il aurait donc pu, après cette bataille, après avoir versé le sang des impurs, après que son sang ait été versé, fermé les yeux pour pouvoir trouver enfin le repos éternel, rassuré de laisser derrière lui une bourgade sauvée au prix de sa vie. Un sommeil mérité, après de longues années pour servir sa cause, pour servir le monde.

Mais notre preux chevalier refusait de se reposer maintenant, car jamais il ne pourrait s’éjouir tant que sa mission ne serait pas terminée. Il n’était pas encore le héros qu’il avait rêvé d’être, enfant. Le monde continuait de souffrir, tous les jours. Des innocents voyaient leurs destins occis par les plans maléfiques du Comte, tous les jours. Pour chaque pas qu’ils faisaient, ils devaient encore grimper dix marches.
Cela ne décourageait en rien le soldat de Central. Car sa cause, ses valeurs, sa vie toute entière était dédiée à la protection de ce monde. Et c’était précisément pour cette raison qu’il ne pouvait partir en paix, laissant derrière lui ses camarades, ou ses futurs camarades, ou toute autre personne partageant les mêmes valeurs que lui, toute autre personne voulant elle aussi lutter, seule. Car s’il avait les épaules aussi larges, c’était également pour les supporter.

Le périple harassant du vaillant semi-akuma le mena à cette ville d’Écosse, alors que son chemin était déjà tout tracé pour rejoindre Central via la Congrégation, fidèle soldat qu’il était. Bien mal lui en pris, car l’apprenti héros avait sous estimé ses blessures, et voilà que la régénération de ses cellules akuma -mais utilisées pour le plus grand bien- ne pouvaient pallier la gravité du mal commis. Chancelant, luttant pour tenir debout, sa détermination restait infaillible : jamais il ne ploiera le genou face à l’ennemi. Jamais Éloi ne se laissera dominer par l’ennemi, tant qu’il sera encore debout.

Ce fut justement le problème. Le blond avait sous estimé ses blessures, qui eurent raison de lui. Avancer était devenu un mécanisme, un but, mais son corps, lui, refusait qu’il aille plus loin. L’homme s’effondra -où, lui même l’ignorait- incapable de progresser, malgré sa volonté de fer. Son corps, désormais non humain, avait été poussé à bout et ne pouvait plus se guérir tout seul. Et l’idée de devoir retarder la progression de son périple frustra le semi-akuma, qui ne pouvait décidément pas laisser ses camarades aller au front sans lui.

-Monsieur ?! Vous m'entendez ? Parlez si vous le pouvez, sinon bougez vos doigts pour me répondre !

Une voix féminine éclaircit sa conscience qui, déjà, commençait à sombrer. Éloi se tourna lentement, trop lentement, vers la gente demoiselle, arborant une chevelure flamboyante. La demoiselle lui avait posé une requête, mais, n’ayant point la force de palabrer, Éloi bougea la main pour toute réponse.

-Vous pouvez marcher, dites ? Je m'en voudrai de vous rouler....

Un faible, très faible sourire vint étirer ses lèvres en entendant la demoiselle, même le rouler ne serait pas une mince affaire, et une expérience pour le moins désagréable.
De plus, si la demoiselle semblait avoir le coeur sur la main et prête à aider, le semi-akuma ne pouvait pas la laisser s’entremêler dans les affaires de la guerre sainte. Cela la mettrait en danger, et son honneur l’empêchait d’impliquer d’innocents citoyens.
Ce fut donc avec toutes les peines du monde qu’Éloi s’éclaircit l’esprit pour reprendre la parole.

-Je vous remercie… Mais ne vous préoccupez pas de moi… Je… guérirai…

Point de mensonges, seulement, ceci prendra du temps, bien plus que d’habitude. Car c’était la première fois que ses cellules akuma prenaient autant de temps pour agir, se retrouvant bien dans le margouillis.
Le blond se redressa, difficilement, s’appuyant sur le mur derrière lui. Un faible sourire, pour la remercier malgré tout, ses blessures l’empêchant de le faire comme il se doit -quelle inconduite !- avant de reprendre son souffle. Elle avait malgré tout raison : sa plus grande épreuve sera de marcher...

 
S'agissait-il d'orgueil ? Évidemment, le Chevalier n'en était pas dépourvu. Et bien que l'humilité soit l'une des principales qualités qu'un Chevalier se devait de garder, il n'était point exempt de fierté.
Mais de déranger d'honnêtes citoyens, il ne pouvait se permettre non plus. Des blessures de guerre ne pouvaient innocemment être montrées, et il ne devait surtout pas impliquer d'ignorants civils. D'autant plus que son bras démoniaque ne laissait aucun doute quant à la nature surnaturelle de son pouvoir.
C'est pourquoi, quitte à refuser de saisir une main tendue, Éloi préféra continuer son chemin seul.
Enfin ça, c'est ce qu'il pensait.

-Alors, en fait, c'est le moment où vous faites le bonhomme parce que vous voulez pas d'aide ?

Éloi cligna des yeux, surpris. Bien que le langage utilisé par la jeune femme soit plus cru...
En soit, c'était un peu le cas, oui.
Non pas qu'il refusait toute aide. Il ne pouvait tout simplement pas l'accepter. La sécurité des honnêtes citoyens en dépendait.
Mais cette jeune femme semblait ne pas l'entendre de la même oreille.

-Vous, homme blessé. Moi, docteur. Graou, graou. Moi, vous aider. Moi, pas demander votre avis. Vous, bientôt kaput. Ça, triste, non ?

Et bien que son ton soit enfantin et moqueur, un léger rire lui échappa, tout comme à la jeune femme. Oui, il était blessé. Oui, elle voulait l'aider. Oui, elle avait raison. Mais oui, il était têtu.
Cependant, la rousse, elle, l'était encore plus.

Loin d'être convaincue, elle enchaina, ne le laissant pas s'échapper. Enlevant la veste, elle l'appliqua sur sa blessure la plus visible - et la plus profonde. Éloi ne put s'empêcher de grimacer et de légèrement ployer sous le contact. La demoiselle avait eu l'œil.

-Tenez ma veste à cet endroit et surtout, ne la bougez pas. Appuyez vous sur moi, je vous emmène. J'en ai pas l'air mais je suis médecin. Ne soyez pas entêté, monsieur.

Ne se laissant pas impressionner, la jeune femme commença alors à essayer de le traîner à sa suite. Le Chevalier se retrouvait dans une position embarrassante. Voilà que par sa simple présence, il venait d'impliquer une civile. Il ne pouvait le tolérer, et pourtant, il ne pouvait l'en empêcher. En voilà une qui était encore plus têtue que lui.
Alors, dans sa situation, une seule solution : se résigner.

-Eh bien puisqu'il en est ainsi... Je n'ai pas d'autre choix que d'obtempérer.

Serrant la veste contre sa blessure, Éloi faisait de son mieux pour rester debout, évitant de s'appuyer sur la jeune femme. Celle-ci semblait forte, mais traîner un poids d'une centaine de kilogrammes n'était facile pour personne. La générosité de la rousse était exemplaire, il s'en voudrait de lui rendre la tâche encore plus ardue qu'elle ne l'était déjà.
Alors c'est avec toutes la peine du monde qu'Éloi suivit le rythme. Prenant bien plus soin à rester debout et conscient plutôt qu'à ses environs, il ne fit même pas attention au chemin qu'ils empruntaient - un manquement à son devoir. Mais, à ce moment-là, il avait décidé de remettre son destin entre les mains de la jeune femme. Naïveté ou nécessité, le destin en décidera.

Éloi ignora combien de temps ils mirent pour se rendre au cabinet, ce fut, pour lui, comme une éternité. Ce ne fut qu'à ce moment, où il se permit de se décrisper enfin, qu'il remarqua qu'il avait honteusement manqué de manières.

-Veuillez m'excuser mademoiselle, je ne me suis même pas... présenté... Je suis Éloi Bauchard, je vous remercie... de tout cœur pour votre aide... Puis-je savoir à qui dois-je la vie ?

Gardant toujours la veste pressée contre sa blessure, il ne l'enleva pas un instant. Tout simplement car celle-ci appuyait contre son bras gauche.
Son bras corrompu.

-Je me chargerai moi-même de cette blessure.

Un pâle sourire qu'il espérait confiant.
Il ne devait point impliquer de civils.