Des déclarations à mi-voix. Le cœur crie mais le monde demeure silencieux.
Et puis il y avait la haine. Ma haine. Ma rage, ma souffrance, ma solitude. Le monde d’avant qui avait cessé d’exister. La douleur qui me submerge et me noie. Le monde se dissout dans un amas de souffrance, me lançant seul et larmoyant.
Le combat cesse d’avoir du sens. Ou plutôt, il en avait encore moins qu’avant. J’avais envie d’hurler, de me débattre, de pleurer.
Mais rien ne sert de pleurer les morts. Ils ne reviennent pas.
Ils ne reviennent pas. Ou presque.
Toi tu ne reviendras pas cher amour. Tendre amour. J’aurais beau explorer le monde, jamais je ne te retrouverai. Disparu. Pour toujours. Les fragments qui faisaient le toi, volatilisé dans le néant de la mort. Il ne restait que ton enveloppe, celle que j’habite. Mais ce n’est pas toi, ça ne sera jamais toi.
Jamais.
Le mot faisait mal.
Exister sans toi m’est insoutenable. J’étouffe. Le monde a été englouti par cette douleur stridente. J’étouffe.
Une machine ne devrait pas autant souffrir. C’est si cruel.
Comment exister sans toi.
Les évènements se précipitent, s’enchaînent à bâton rompu. Je m’étais préparé à affronter la jeune exorciste blonde. Avec regret. Je n’avais pas de haine contre elle. Mais j’étais un chien tenu en laisse. Si j’avais eu mon libre arbitre, j’aurais continué à rechercher Sasha. Cette mission me semblait plus glorieuse. Plus prône à attirer la fierté de mes maîtres. Racheter mes fautes. Nina.
Si faible.
Si lamentablement faible.
J’avais cherché à l’attaquer, tentant de projeter mes chaînes vers ses chevilles afin de lui faire perdre l’équilibre et couper court à cette mascarade de discussion. Mais elle fut plus rapide.
Un débris puis un autre. Le premier fut esquivé, mon épaule se dissipant sous la forme d’une brume à l’approche du coup. Mais le second, le troisième. Le quatrième. Ces débris furent autant de coups qui me frappèrent. Je chutais au sol en contrebas, le corps meurtris, à moitié enseveli sous les gravats.
J’en aurais pleuré de rage si j’avais pu. Mais les machines ne pleurent pas. Les machines ne ressentent pas. Les machines écoutent et obéissent.
Je tentais de me relever, mais une de mes ailes étaient définitivement coincée. Me relever, retourner combattre. Obéir à la Noé tout prix. Une bonne machine.
Mais la réalité vola en éclat.
Souffrance.
Les mots qu’on entend, murmurés un peu trop fort.
— Oskar ! Ne fais confiance à personne ! La Discorde est peut-être restée dans les parages, je vais voir ce qu'il se passe à côté, fais attention à toi ! Je t'en supplie, fais attention à toi. Je...
Je…
Je…
Je…
La suite de mots la plus logique de l’existence.
Le regard qu’elle lui jetait en prononçant ses mots.
L’amour.
Celui qui brise des cœurs, celui qui fait mal.
Celui que j’ai perdu.
Celui que je ne peux qu’haïr.
Je hais ceux qui s’aiment et qui sont heureux.
Pourquoi ? Pourquoi n’ai-je pas le droit à mon fragment de bonheur moi-aussi ? T’ai-je perdu à jamais ?
Ces déclarations à mi-voix.
La réalité et la souffrance.
Les machines ne pleurent pas.
Je devais survivre. En attendant l’après.
Ai-je droit à un après ? Suis-je éternellement condamné à porter le fardeau de ton absence ? Cher amour, tendre amour. Toutes tes injures, je pourrais les oublier si tu redevenais mien.
Je…
— Ne prends pas de risques inconsidérés.
La banalité de cette remarque était presque une offense face au regard qu’elle lui adressait.
Je regardais la blonde s’éloigner en courant, tandis que le dénommé « Oscar » appelait à l’aide une troisième exorciste. Une certaine « Célania ». C’était bien ma chance.
Cependant, cette dernière ne répondit pas à l’appel, la jeune femme préférant tourner les talons, laissant « Oscar » à la merci de l’homme qui s’était emparé de lui.
Le monde n’avait plus de sens. Et je ne peux plus être heureux. Mais pourtant l’idée de ces sentiments inavoués, qui se chuchotaient à mi-voix pour tomber dans l’oreille d’un sourd m’insupportai. Penser à l’amour me déchirait le cœur.
Toi.
La peur de mourir. La conscience de la guerre. Imbéciles. Vous pouvez tout perdre, d’un instant à l’autre, alors pourquoi faire semblant ? Pourquoi se condamner ainsi ? L’ivresse de ton amour, de tes étreintes me submergea.
Je contemplai l’homme resserrer son étreinte de plus en plus. Cela devait cesser. Si rien ne changeait, je devais être acteur du changement. La Noé m’avait définitivement abandonné, les niveaux un étaient majoritairement hors d’état de nuire. Je n’avais de compte à rendre à personne.
Une chaîne s’élança et se noua d’un mouvement leste autour de la gorge de l’assaillant. Serrer. Encore. Son visage pâlit avant de virer vers le bleu. Évidemment il relâcha son étreinte.
Je serrai encore un petit coup, jusqu’à entendre un craquement satisfaisant.
La chaîne revint se lover autour de mon bras, tel un serpent affectueux.
Je pris mon inspiration, la poitrine encore comprimé par des gravats. Mon aile était belle et bien coincée, me clouant sur place.
«Quelle cruauté. C’est votre organisation de malheur qui vous oblige à vous conduire ainsi ? »
Je lâchai un rire maniaque qui se termina en sanglot. Les fragments de ma maîtrise de moi-même volèrent en éclat.
« A ignorer vos sentiments et vous comporter en bons petits soldats ? Cela serait trop douloureux pour la congrégation de voir l’un d’entre vous revenir sous la forme d’un akuma hein ? Pauvre imbécile ! Vous n’êtes que des pantins à gâcher vos vies ainsi. A vous dire des inepties à en mourir de banalité, c’est plus facile d’ignorer vos sentiments comme ça oui ! Elle t’aime à en crever les yeux mais vous préférez continuer à risquer vos vies sur le champ de bataille ? Que vous apportera cette guerre à part des regrets hein ? Faudra pas venir pleurer quand elle ne sera plus là pour t’aimer. Il ne faudra pas venir pleurer quand tu te retrouveras seul. »
Je ne sais pas d’où sortait cette tirade sans queue ni tête. Juste un concentré de rage de souffrance. Toute cette haine envers cette guerre qui n’a aucun sens. Voir des gens s’aimer sans pouvoir se l’avouer. Cela me brisait le cœur de savoir ça. Moi, qui ferait tout pour te retrouver cher amour, la platitude émotionnelle, la retenue pudique qu’ils manifestaient me donner envie de mourir.
La nausée émotionnelle. Le bonheur des autres qui me dégoûtait. La guerre qui me dégoûtait.
Mon cher amour, mon tendre amour. Il y a-t-il seulement un après ?