-T’es sur que tu vas y aller ? C’est mon job, pas le tien.
-Je te remercie pour ta sollicitation, très cher. Néanmoins, j’ai des apparences à garder.
-Ouais, pour ça que tu vas littéralement mentir à ta pote ?
-Cela va bien au-delà de ça, et tu le sais. La Guerre se fiche des liens forgés.
-Moi j’suis pas la guerre.
Hyacinthe soupira, sachant très bien que ce sujet était tendu avec son acolyte de toujours. Après tout, il avait été jusqu’à manipuler son meilleur ami. Acte de trahison ignoble, qu’il aurait du regretter, par respect pour leur amitié.
Hyacinthe ne regrettait pas. Hyacinthe avait, sous ses airs de garçon sage, une rage qui bouillait au fond de lui. Une vengeance gardée trop longtemps enfouie, une vengeance qui menaçait d’exploser. Mais une vengeance qu’il gardait soigneusement enfermée, qu’il murissait silencieusement. Qu’il préférait préparer de manière réfléchie et stratégique, plutôt que tout laisser exploser.
Et si cette stratégie impliquait de mentir à ses amis…
Et bien soit.
La « pote » en question était Cornélia d’Império. Amie de longue date de Hyacinthe, Noé connue, le jeune noble lui avait fait croire qu’il était de son côté : celui du clan Noé. Mensonge qu’il commençait à regretter : voilà que le nom de Hyacinthe de Rochemont était associé à la fois à l’Ordre Noir, et au clan Noé. Hyacinthe aurait préféré utiliser une autre de ses identités… Mais c’était impossible face à Cornélia.
D’autant plus que Hyacinthe n’était pas un bon agent de terrain.
-J’irai avec toi.
Hyacinthe se tourna vers son ami, étonné.
-Ta sollicitation me touche, Karma, mais il serait préférable que l’on ne nous voie pas ensemble lorsque nous travaillons au sein des camps ennemis…
-Et je sais c’est quoi, ton plan. C’est pas une mission pour toi seul. J’irai avec toi, c’est tout. Je connais Cornélia, en plus.
Hyacinthe finit par céder, face à l’insistance de son ami, le remerciant. Karma était brutal, râleur, il se faisait passer pour un dur, il n’aimait personne.
Mais la plus belle qualité de Karma, c’était sa loyauté.
Hyacinthe savait qu’il pourrait toujours compter sur lui.
Les voilà donc, devant cette maison tout à fait ordinaire – et de bien mauvais goût, selon les dires de Hyacinthe. Pour l’occasion, Hyacinthe n’avait pas teint ses cheveux, et les avait simplement retenu en arrière avec une pince – de trop bonne qualité pour être abordable par les gens du peuple. Ses habits colorés avaient été troqués par un ensemble sombre, sans cape ni bijoux, simplement de longues bottes et une chemise bouffante. A paraitre si ordinaire, Hyacinthe était en véritable souffrance.
Karma, quant à lui, gardait son accoutrement ordinaire. Il était connu que le jeune garçon était un brooker : sa place ici n’était pas questionnée.
Ici, c’était justement l’endroit où opérait l’Ange qui Pleure. Une Brooker connue, redoutable, qui s’occupait des personnes âgées, des personnes en situation de handicap, qui avaient besoin d’assistance – et qui raccourcissait leur vie.
Une femme a l’air angélique, qui pleurait autant que les familles la disparition de leurs proches.
L’Ange qui Pleure n’avait assurément rien d’angélique.
Et la guerre transformait les gens en de tels monstres ?
-Quand tu r’gardes bien, on est pas si différents, elle et nous.
-…si. Car nous cherchons à mettre un terme à ces horreurs. Ne me compare plus jamais à de telles médiocrités, Karma.
La voix de Hyacinthe s’était faite dure, froide.
La fin justifiait les moyens.
Mais contrairement à ceux qui se complaisaient dans la boue, Hyacinthe ferait tout pour en sortir.
-Attendons Cornélia. Si nous sommes là aujourd’hui, c’est uniquement par son invitation.
Aujourd’hui encore, Hyacinthe allait inventer un nouveau mensonge.