Tu restes silencieuse, incapable de prononcer le moindre mot. Tu retournes ses paroles dans ton esprit, encore et encore. Tu les comprends parfaitement, mais elles ont quelque chose qui fait mal.
Tu as rejoint la Congrégation pour suivre ton Père. Tu as accepté de travailler à l'infirmerie car tu ne voulais pas être un poids et que l'idée de sauver tes gens t'enchantait.
Mais ce n'est que maintenant que tu réalises pleinement ce dans quoi tu viens de mettre les pieds. Tu y as déjà pensé bien sûr et ce plusieurs fois. Mais la dureté des mots de ton professeur te met face à la réalité. Tu es là pour gagner une guerre, à ta façon. Tu vas voir des gens mourir. Et tu vas être incapable de les sauver.
Alors tu réalises à quel point tu es impuissante. Même si ta formation était complète, tu te retrouverais encore dans des situations où tu ne pourrais rien faire. Tu n'as jamais vu de telle chose à l'Ordre, et tu réalises que c'est seulement parce que les adultes ont voulu te protéger. Tu les remercies en silence, même s'il faut qu'ils se rendent à l'évidence : tu n'es plus une petite fille. Même si tu en as encore l'âge, te voilà obligée de grandir à toute allure.
Mais grandir d'une telle façon, c'est douloureux. Tes jambes te lâchent et tu te sens tomber sur le sol, comme une poupée de chiffons. Tu n'as pas mal, ne ressens pas la douleur. Tu es beaucoup trop concentrée pour cela. Tu essaies tant bien que mal de trouver une parade aux mots de David.
Tu voudrais continuer de t'acharner sur cette idée que si on a la possibilité de sauver quelqu'un, on se doit de le faire. Mais tu ne le fais pas. Car il n'y en a pas.
Tu comprends que parfois, il faut savoir laisser les gens en paix, et juste abréger leurs souffrances. Ce n'est plus seulement être impuissante. C'est autre chose. Et cet autre chose te rend profondément triste. Tu ramènes tes genoux écorchés contre ta poitrine et poses ton menton dessus.
Tu n'as toujours pas prononcé un seul mot, alors que des larmes se mettent à rouler sur tes joues.