Défense
Lavi & les gros rapaces
Un Bookman n’étais pas censé montre d’émotions fortes.
Pourtant Lavi éprouvait une haine viscérale envers cet Amadeus.
Il parlait de neutralité et d’absence d’émotions alors qu’il vomissait sa frustration et sa suffisance sur Pilar. A défaut de devoir maintenir un rôle de juge envers l’actuel Héritier, il s’était trouvé une cible sur laquelle se défouler.
« Je ne vous permets pas » « Abruti ignare » « escorter dehors ».
Avait-il réalisé qu’avec chaque venin qu’il crachait, lui-même bafouait les codes des Bookmen ? Avait-il conscience qu’il émettait lui-même un jugement de valeurs, sans aucune neutralité, qu’il se laissait emporter par des émotions dès qu’on remettait en cause son jugement ? Avait-il conscience que ce bureau avait été présenté comme un endroit de discussion, et absolument pas comme la potence ? Avait-il conscience qu’il agissait contrairement à un bookman, et qu’au lieu d’écouter l’avis des autres, il agissait en les faisant taire ?
Ah, non, bien sûr.
Il était le plus vieux, après tout. Comme il l’avait si bien dit, les jeunes n’étaient que des ignorants dont le seul droit était de se taire.
Lavi ne put en vouloir à Pilar d’aller s’éclipser. A sa place, il aurait fait pareil – en étant bien moins poli. Il aurait voulu échanger un dernier regard avec le blond, mais il n’en fit rien. Il semblait, ici, que chaque bouton de moustique qui grattait un peu trop pouvait être mal interprété.
-Quelles insultes ! C’est votre jugement sans aucune émotion qui a parlé ? J’y ai quand même perçu un mépris – surtout pour la plus jeune génération – pas très pro.
A chaque prise de parole, Lavi savait qu’il risquait un peu plus.
Mais à quoi bon, alors que visiblement, personne ici ne l’avait convoqué pour l’écouterr ? Alors que le seul but de sa présence, c’était de se faire lyncher sans lui laisser une chance de s’exprimer ?
Tout ça le dégoûtait.
Et la suite le dégoûta encore plus.
Il fallait qu’il vienne. Evidemment. Une partie de Lavi avait été déçue de ne pas voir papi Bookman à la réunion – après tout, c’était lui qui lui avait tout appris. L’autre partie était rassurée – au moins, il ne verra pas son lynchage public.
Par contre, ce dont il ne s’était pas douté, c’est qu’il participe au lynchage public.
-Je prends le relais Amadeus. Après tout il s'agit de mon héritier, qui visiblement n'a pas su enregistré correctement mon enseignement, il semblerait que je doive déléguer le tutorat à d'autres, je n'ai ni l'envie, ni le temps de me retrouver dans de telles situations. Seigneur...
La taloche qu’il lui avait donnée n’avait rien d’affectif, en fait, Lavi l’avait sentie comme les prémices de sa punition.
Mais jamais, jamais il n’aurait cru que Bookman ne soit directement contre lui. Jamais il n’aurait pensé que le vieux Bookman, celui avec qui il avait voyagé depuis qu’il était enfant – depuis toujours ! – ne le déshérite sans même lui laisser prononcer un mot pour se défendre. Jamais il n’aurait cru qu’il aurait rayé son nom du clan sans y réfléchir à deux fois. Lui qui lui avait tout appris, lui qui avait cru en lui – ou pas, visiblement – le seul qui aurait pu plaider sa cause.
S’était retourné contre lui en un instant.
Avait-il trahi la confiance des gens à ce point ? Avait-il à ce point déçu ? Était-il tombé si bas ?
Les mots d’Amadeus n’avaient que glissé sur le Junior. Il s’agissait de toute évidence d’un vieil homme dont les neurones étaient trop érodées pour être capables d’écouter et de se remettre en question.
Mais les mots de Bookman faisaient l’effet d’un poignard. Mais Bookman, lui, il n’avait pas eu cet air de vieux réfractaire.
Et pourtant. Il venait de le déshériter. Sans même une fois l’écouter.
Et il savait. Qu’ici, s’il devait s’exprimer, c’est sans aucune émotion, sans aucune affection, avoir ce faux air enjoué mais garder les yeux vides.
Alors pourquoi est ce qu’il avait soudainement si mal ?
Mal, oui. Mal. Et de la colère. Et de l’incompréhension. Quand bien même il savait pourquoi Bookman avait pris une telle décision, Lavi était en colère de voir sa réaction. Une colère qui, il le savait, il aurait du mal à contrôler.
Et s’il ne la contrôlait pas, il allait évidemment lui donner raison.
Alors Lavi détourna les yeux de Bookman. Il ne voulait surtout pas le regarder – ça allait l’empêcher de se calmer. Il pit un moment pour se rappeler de chacune des accusations qu’Amadeus lui avait faites – et écarter les mots de Bookman. Il fit comme s’il avait encore son titre – ignorant qu’on venait déjà de le déshériter.
Pendant un moment qu’il ne sut mesurer, il resta silencieux – paraissant presque résigné, comme Pilar l’avait été avant de prendre congé.
Mais si l’Invisible avait tout encaissé sans rétorquer, ce n’était pas le cas de l’Accusé.
-Permettez-moi de prendre la parole, pour au moins me défendre de ce qu’on m’accuse. Enfin, je la prends tout seul, vu qu’apparemment, ici, on n’accepte pas qu’un autre Bookman que le Juge parle.
Car c’était bien de ça qu’il s’agissait. Un jugement. Et encore, d’habitude, l’accusé a droit à une défense. Ici, il semblait que la parole, il fallait se battre pour l’avoir.
-« Chacune de vos décisions ont été minutieusement analysés par un conseil de nombreux bookmen » « Vous êtes observé, analysé, constamment » waouh, si vous avez mis tous ces efforts pour m’observer et m’analyser, j’imagine que vos Bookmen ont du temps à perdre. Peut-être que si ça avait pas été le cas, ils auraient déjà observé le troisième camp qui est né il y a peu. Il me semble être le seul bookman présent pour analyser les Pacificateurs qui se sont fait une véritable place dans l’Histoire. A moins que vos méthodes aient changées, et qu’au lieu de s’introduire dans le camp à observer, vous n’observiez de loin – comme ce que vous avez fait avec moi, on dirait ?
Ensuite, j’ai une question. Vous prétendez m’avoir observé pendant tout ce temps… Si j’ai véritablement fauté, pourquoi ne pas m’en avoir alerté ? Après tout, comme vous l’avez si bien dit, je ne suis qu’un jeune Junior incompétent. Il est donc du devoir des mentors de corriger ces jeunes incompétents. D’autant plus qu’à vous entendre parler, vous aviez tous les moyens de me contacter et de me le faire savoir. Etant encore un Junior en plein apprentissage, il est parfois normal de faire des erreurs sans s’en rendre compte. Où était mon mentor, à ce moment-là, pour me corriger, comme il le fait si bien, d’habitude ? Après tout, en utilisant votre réseau de… surveillance, ça aurait du être si facile. Pourquoi cette négligence, pourquoi avoir laissé ce que vous jugez une erreur, se produire sous vos yeux, alors que vous aviez tous les moyens pour l’en empêcher ? N’est-ce pas à vous que revient l’incompétence d’observer une erreur se produire au sein de votre propre rang ?
Il était insolent, il le savait. C’était sa faiblesse – ça lui avait également valu de blesser Célania.
Et pourtant. La colère qu’il éprouvait envers son mentor et ce vieux con ne pouvait pas le calmer pour parler posément.
-« Reconnaissez-vous avoir abandonné Bookman lors de votre désertion de l’Ordre Noire ». Non. La raison pour laquelle je suis parti, comme vous l’avez rappelé, c’est pour effectivement rejoindre le clan des Pacificateurs, par devoir. J’ai assisté à sa construction, j’ai observé comment celui-ci rassemble ses membres, comment les convictions qu’il porte atteignent le cœur des gens – pour faire une différence dans la guerre. N’est-ce pas là le devoir d’un Bookman ? J’était le seul de notre clan à avoir cette opportunité de m’en rapprocher. Je l’ai fait. Aucun autre Bookman ne l’a fait. Alors pourquoi me reprocher ce que n’importe quel Bookman aurait fait à ma place ?
Oui, je n’ai pas prévenu mon mentor. C’est différent de l’abandonner. Mon mentor n’a rien fait pour me contacter et me dire ô grand Dieu à quel point cette erreur était phénoménale, alors que, à vous entendre, il avait tous les moyens pour le faire.
Pas une seul fois Lavi ne regarda son mentor, se concentrant sur Amadeus.
Il avait décidé de le déshériter sans même essayer de l’entendre. Dans ce cas non, il n’allait pas montrer de pitié.
-« Avoir déserté les rangs de son Maitre et de s’être volontairement mêlé à l’Histoire. » c’est faux et vous le savez. Comme l’a justement relevé le « Bookman ignare » en quoi ma situation actuelle est différente de l’ancienne ? Oui, je fais partie de la Guerre Sainte, tout comme mon mentor. Pas « volontairement » mais car l’innocence nous a choisis. Ce que je fais n’a rien de différent de quand j’étais à l’Ordre – décision approuvée par mon mentor et par tout le clan. Maintenant que je suis ailleurs, ça ne va pas. Pourquoi ?
Et enfin, la dernière accusation. Celle qu’il allait avoir le plus de mal à réfuter. Celle qui, il le savait, était la raison principale de son exclusion.
Celle qui, de toutes les autres raisons, était la plus vraie.
-« Avoir une relation illicite avec Célania Vaillant » oh vraiment ? Et d’où ça vient ? Des quelques rumeurs de la Congrégation ? On nous a vus faire des missions ensemble, oui. Et ? Qu’est-ce qui vous fait dire que nous avons une relation ? Des spéculations, des rumeurs ? A moins que votre réseau de surveillance n’ait des preuves ?
C’était un mensonge, un mensonge par omission mais un mensonge quand même, et Lavi était terriblement mauvais dès qu’il s’agissait de mentir – Célania lui avait fait comprendre. Il avait été confiant jusqu’à maintenant, mais sa relation avec Célania état ce qui pouvait le trahir. Car c’était bien le seul argument qu’il ne pouvait pas nier au fond.
Car c’était terriblement vrai.
Car au fond de lui, il ne pourrait jamais abandonner Célania pour le clan. Car si on le mettait au pied du mur et qu’on lui demandait de faire un choix, il partirait. Il quitterait tout ce qu’il avait connu – mais jamais il ne pourrait abandonner Célania.
Alors, pour éviter la confrontation – pour éviter de montrer l’évidence du mensonge- détourner l’attention.
-Si vous pensez vraiment que j’ai trop d’attaches avec ce nouveau clan, soit. Donnez moi d’autres points d’observation. Si vous avez peur d’’avoir un jugement biaisé sur les Pacificateurs, donnez-moi une autre mission d’observation. Comme vous l’avez dit, mon rôle de Bookman n’a pas failli, jusqu’à aujourd’hui – pour des raisons que vous croyez justifiées. Mais vous n’avez pas de raison de m’exclure alors que vous êtes tout aussi fautifs.
Il savait qu’un jour, il serait confronté à ce choix. Garder sa place chez les Pacificateurs ou chez les Bookmen.
Et s’il pouvait garder les deux ?