Promesse ?
Lavi & Amorem
A quoi s'était-il sérieusement attendu ?
Lavi avait pour habitude de ne pas avoir beaucoup d’espoir. C'était même dans son éducation de bookman : ne pas s’attendre à grand chose, avec les Humains. Si les mêmes erreurs et guerres se répétaient à chaque génération, c’est qu’il y avait bien une raison : il ne fallait pas espérer qu’ils voient au-delà du brouillard de leur stupidité et des rênes de leur obstination.
Peut-être était-ce le fait d’être devenu Pacificateur, qui l’avait fait changer. Après tout, en rejoignant leur cause, lui-même se donnait l’espoir de pouvoir changer la guerre. Alors en tenant ce discours, il avait gardé cet espoir, il l’avait gardé jusqu’au bout. Celui de faire ouvrir les yeux, surtout à une personne nouvelle, venant seulement de l’intégrer. Celui de l'avoir sans que Cental soit là pour venir lui retourner le cerveau, celui que leur cause avait véritablement du sens et attirait les gens.
Lavi ne pensait plus être déçu par l’exorciste débutante. Il s’était lourdement trompé.
Elle venait à peine d’arriver, et pourtant, elle tenait déjà le discours des vétérans : à quoi bon essayer de changer la guerre, puisqu’elle existait depuis des millénaires ? A peine arrivée, et pourtant, elle se complaisait déjà dans une situation qui ne faisait que s’envenimer. Le Pacificateur ne savait pas s’il s’agissait là de pure innocence, ou d’une complaisance malsaine et insolente. Sans doute un mélange des deux. En tout cas, son discours le persuada d’une chose : il avait été stupide d’y croire, stupide d’avoir essayé, et il serait stupide d’insister. Elle parlait avec une assurance insolente, une arrogance absurde. D’habitude, les nouveaux arrivés étaient justement là pour en apprendre plus sur la guerre, étaient plus ouverts à la conversation, ils n’avaient pas encore cette haine de l’autre qui brimait leur jugement. Mais l’obstination de la jeune fille l’empêchait d’écouter vraiment quoi que ce soit.
Alors lui répondre ? C’était gaspiller sa salive - et surtout, le précieux temps dont il disposait à peine.
-Pfff ! Hé, n’importe quoi ! C’est pas possible d’effacer la mémoire des gens comme ça et il y a aucune raison de tuer les déserteurs ! Faut juste un cours de remise à niveau, c’tout !
-Ah bon ? Et qu'est-ce que tu en sais, exactement ? Tu sais comment Central marche ? Tu leur as demandé ce qu’ils font, aux déserteurs ? Et pas qu’aux déserteurs : fais un faux pas, et tu sauras ce qu’ils font. Renseigne-toi sur le nom de Nora Lockwood : ça te donnera une idée.
Et il ignorait pourquoi, mais le rappel de la menace semblait marcher sur l’exorciste. Voilà qu’elle semble - enfin - réfléchir, voilà qu’elle est contrariée. Comble de l’ironie : n’est-ce pas lui qui devrait se sentir insulté ?
Enfin, de ça, il en était habitué maintenant - les Pacificateurs avaient été maintes fois moqués - alors la seule chose qui le contrariait, à l’instant, c’était qu’il laissait du temps aux renforts d’arriver. Et sa foutue bombe restait en l’air, menaçante.
Il fallait qu’il oriente le débat autrement, ou sinon, il s’éterniserait.
-Mais ! Un grade de plus devrait me mettre un peu à l'abri. Les maréchaux font un peu ce qu’ils veulent alors ouais, c’est ce que je vise.
Et tout ça pour quoi ? Pour parler à une opportuniste égoïste qui ne voyait pas plus loin que le bout de son nez ! Une ligne sur le CV, qu’elle disait ! Vendre des gens, ruiner des vies, anéantir des espoirs, tout ça pour faire partie d’une ligne sur le CV ! Lavi pouvait affirmer sans mâcher ses mots qu’il avait fait face à des gens purement malveillants. En revanche, s'il n’avait jamais considéré l'ignorance comme une tare, il revoyait son jugement.
-Tu ne sais absolument pas de quoi tu parles, renseigne-toi un minimum avant de faire des plans sur la comèt…
-Ce que je sais par contre, c’est que mon imbécile de cousin est dans vos rangs et que je refuse qu’il crève à cause de vos conneries. Alors soit vous me le rendez, soit on trouve un terrain d’entente.
Et.
S’il était agacé, énervé, complètement désintéressé de tout ce qui sortait de la bouche de l’exorciste.
Cette fois, elle avait réussi à piquer son intérêt.
Lavi releva les yeux vers elle, confus.
Son cousin les aurait rejoints ? C’est une information qu’il n'avait pas. Et en même temps, tous les Pacificateurs n'avaient-ils pas une famille qu’ils avaient du délaisser, pour les rejoindre ? Avec le recul, c’était logique. Mais une famille dans la Congrégation, ça rendait les choses un peu plus difficiles.
Le borgne réfléchit. Elle avait évoqué un cousin, or, ils étaient six hommes chez les Pacificateurs. Lui s’excluait, ainsi que Soren, devant qui elle n’avait eu aucune réaction. Restaient alors Pandélis et Lars, ainsi que Josef et Sacha, bien que n’ayant pas vraiment intégré leurs rangs. Et puis, personne n’était censé être au courant qu’ils étaient au chateau. Lars semblait être trop vieux, ne restait donc que Pandélis. Mais il préférait l’entendre plutôt que d’en tirer des conclusions.
-Qui est ton cousin ?
Ca pouvait créer des problèmes - nouvelle ennemie née seulement d’un quiproquo pour récupérer une famille qui ne souhaitait pas rentrer. Peut-être était-ce là d’où venait son obstination.
-Tous les membres de notre groupe sont venus de leur plein gré. Ton cousin n’en fait pas exception, et c’est toujours de sa propre volonté qu’il reste avec nous. Contrairement aux exorcistes dans l’Ordre Noir.
Et, une idée de germer. Et face à l'inactivité et le temps de s'écouler, tenter un pari risqué.
-Je lui transmettrai un message de ta part, si tu fais disparaître cette bombe.
Oui enfin… ce n’était pas une promesse.