Aux côtés de Mélonia, Elena frissonna à son tour. L'hypothèse d'une innocence fit légèrement trembler ses sens. L'Innocence, cette chose si délicate, finit par trouver écho dans ses paroles. Elena sait pertinemment que manipuler un tel artéfact peut être aussi dangereux que d'affronter les Akumas, même pire. Mais ici, au cœur de l'inconnu, les choix se réduisent souvent à l'imprévu.
"Autant nous y mettre dès maintenant, si nous ne voulons pas nous éterniser ici" murmura-t-elle, tentant d'insuffler une lichette de courage à sa compagne d'infortune. Mais la peine est palpable, car même le fait d'y penser semblait être une tâche titanesque ici.
Le tavernier, cet homme d'âge avancé au visage marqué par les années, s'approcha de la blonde, se penchant par-dessus le comptoir avec un air curieux mêlé à une pointe de méfiance; Ses yeux scrutaient son apparence inhabituelle sans se gêner, comme s'il essayait de voir à travers son âme, chose qui ne manqua pas de déplaire à Elena, qui n'appréciait pas la proximité avec les gens qu'elle ne connaissait pas. Elle ne lui montrait pas, mais son regard flippé tourné vers sa collègue trahit un sentiment de danger.
"Que voulez-vous ?" fit-il la voix basse mais rauque d'un homme qui aurait trop abusé du tabac "j'ai bien compris que vous n'êtiez pas du coin". ajouta-t-il alors qu'Elena s'extirpait lentement de cette emprise, lui faisant comprendre qu'elle n'était pas à l'aise, lui offrant même un sourire gêné mais polie, ne voulant pas se montrer impétueuse.
"Vous êtes perspicaces, monsieur. En effet, nous sommes envoyées ici pour enquêter sur les lieux" avoua-t-elle, voyant qu'il n'était pas dupe et qu'il n'était pas bon de mentir devant tout ce monde qui pourraient les arrêter à la moindre erreur de leur part "Nous sommes ici sous le commandement de l'Ordre Noir. Certains de nos hommes ont disparu. De ce fait, nous sommes ici pour tenter de les retrouver mais aussi pour comprendre ce qu'il s'est passé ici" continua-t-elle.
"Disparus, dites-vous?" répéta-t-il de sa voix grave, son accent russe très prononcé ajoutant une touche de mystère à ses paroles. "Vous savez, ce village a vu beaucoup de choses au fil des ans, des choses qui ne peuvent être facilement expliquées." Il marqua une pause, semblant réfléchir à ses prochaines paroles, puis il ajouta avec prudence : "Je ne suis pas sûr que vous trouverez les réponses que vous cherchez ici. Mais si vous insistez pour creuser plus profondément, je vous conseille de faire attention. Il y a des forces en jeu ici qui dépassent de loin notre compréhension humaine."
Son avertissement était clair, mais il y avait aussi une lueur étrange dans son regard. Il les observa un instant de plus, sans rien dire, puis se détourna pour servir un autre client, laissant Elena avec ses pensées et ses questions toujours en suspens. La russe était dépitée, et pourtant elle gardait un calme et une maîtrise d'elle-même impressionnante, pour l'instant. Elle soupira puis observa autour d'elle la masse de gens qui buvaient, riaient et chantaient, se frottant les sinus.
"Hm, il n'a pas l'air très locasse, notre ami tavernier finalement. Je crois qu'il va falloir faire autrement." admettait-elle, roulant son cou et ses épaules comme si elle s'apprêtait à entrer sur un ring de boxe. Saisissant son verre de vin rouge, elle passait de table en table et engageait la conversation avec son habileté naturelle, souriante et avenante. Elle essayait tant bien que mal de poser des questions sur leur quotidien, sur les gens du coin, sur les lieux environnants, cherchant désespérément des réponses à ses questions.
Malheureusement, la plupart des clients de l'auberge semblaient peu enclins à discuter avec elle, comme s'ils cachaient quelque chose. Mais Elena, aussi têtue soit-elle, ne se laissait pas décourager. Elle continuait inlassablement de poser des questions, d'amadouer en trinquant avec eux, le ton poli mais ferme, et d'une détermination inébranlable. Moi-même je n'ai jamais su comment elle faisait pour être aussi vivace, elle est inépuisable ! Finalement, un vieil homme assis au bout du comptoir qui scrutait cette comédie du coin de l'œil leur fit signe, semblant prêt à parler.
Le client, assis au bout du comptoir de l'auberge, était une figure saisissante dans ce décor hors du temps. Son visage était marqué par les années, chaque ride racontant une histoire différente, chaque pli révélant les traces du temps qui passait. Sa peau était parcheminée, témoignant des nombreuses épreuves qu'il a dû affronter au cours de sa longue vie. Ses cheveux autrefois abondants étaient désormais rares et grisonnants, coiffés en une sorte de désordre respectable qui lui donnait un air de hibou étonné, aussi sage que négligé. Une moustache broussailleuse encadrait sa bouche, accentuant l'expression grave de son visage. Ses yeux étaient profonds, encadrés par des sourcils broussailleux qui semblaient toujours froncés dans une expression de souci perpétuel. Ils brillaient d'une lueur étrange, comme s'ils étaient capables de voir au-delà des apparences, au cœur des mystères qui entouraient ce village isolé.
Il était vêtu de façon simple, mais chaque pièce de son habillement semblait avoir du vécu. Sa chemise était usée par le temps, mais bien entretenue, témoignant du respect qu'il accordait à son apparence en dépit des épreuves de la vie. Un gilet en laine épaisse le protégeait du froid, tandis qu'un pantalon de toile terne et des bottes de cuir solides complètaient sa tenue. Dans l'ensemble, le vieil homme dégageait une aura de sagesse et de mystère, comme s'il était gardien des secrets de ce village oublié. Son apparence humble et pourtant imposante vous laissait une impression durable, incitant à écouter attentivement chaque mot qu'il prononçait. Il se mit à raconter une histoire étrange, une légende ancienne qui parlait d'un mal qui hantait ce village depuis des générations. Un mal que personne n'osait nommer, mais que tout le monde craignait.
"Le mal est ici depuis longtemps, mesdemoiselles" murmura-t-il d'une voix grave. "Il prend différentes formes, différentes apparences. Mais il est toujours là, tapi dans l'ombre, attendant son prochain repas."
Elena frissonna à ses paroles. Si la plupart des habitants pouvaient penser que cet homme divaguait, ce n'était pas le cas de la chamane qui avait vu bien des choses au cours de sa maigre existence. Elle sentait le fardeau qui s'abattait sur les épaules du vieillard et ne put s'empêcher de compatir pour lui. Mélonia et Elena étaient étrangères à ce lieu étrange, mais peut-être étaient elles les seuls à pouvoir défaire ce mal ancien qui hantait ce village depuis bien trop longtemps. Elena s'approcha du vieil homme, ses pas résonnant légèrement sur le plancher de bois usé de la taverne. Elle s'arrêta devant lui, le regardant avec un mélange de respect et d'empathie. Il releva les yeux de son verre de vodka bon marché, scrutant la femme d'un air curieux mais bienveillant.
"Excusez-moi de vous déranger, monsieur" commença Elena d'une voix calme mais assurée, "nous vous avons entendu. Nous sommes nouvelles ici, et nous recherchons des informations sur les événements qui ont eu lieu ici".
L'homme hocha la tête, lentement, comme s'il s'attendait à une telle requête. Il prit une gorgée de sa vodka, laissant le liquide brûlant glisser lentement dans sa gorge avant de répondre de sa voix rauque mais pleine d'autorité.
"Oui des événements étranges, il y en a souvent ici. " demanda-t-il, comme s'il venait d'oublier ce qu'il venait de dire à l'instant, ses yeux scrutant le visage d'Elena comme s'il cherchait à lire quelque chose sur ses traits du visage "Il y a un an, le blizzard nous a coûté nos vaches et nos plantations, il y a quelques mois, une épidémie a décimé nos enfants. La semaine dernière, le village a été inondé suite à des pluies torrentielles qui ont duré des jours et des jours. Et en ce moment, nos pêcheurs ne trouvent plus de poissons, comme si la rivière était devenue stérile." Expliqua-t-il aux jeunes femmes. "Mais vous n'êtes pas les premières à poser des questions à ce sujet. L'autre jour, un homme vêtu d'une cape blanche et masqué de bandage est venu me demander exactement la même chose. Hélas, je ne l'ai plus vu depuis..."
La jeune femme haussa les sourcils avant de comprendre qu'il parlait très certainement d'un de leurs traqueurs porté disparu. Elle acquiesça, encourageant le vieillard à continuer. Elle savait qu'elle devait agir avec prudence, ne pas révéler trop de détails sur leur mission. Elle choisissait ses mots avec soin, essayant de ne pas porter trop d'attention sur elles, soupçonneuse à l'égard du tavernier et de tous les clients et même de l'homme après tout. Qui sait, peut être que des Akumas se cachaient parmi la masse, même si elles savaient qu'elles avaient sûrement été repérées depuis longtemps. Autant continuer de faire comme si de rien n'était et d'écouter les paroles du sage.
"Nous avons entendu parler de ces phénomènes étranges, de disparitions mystérieuses et des rumeurs sombres" expliqua-t-elle, gardant son ton aussi neutre que possible. "Nous essayons simplement de comprendre ce qui se passe ici, pour aider au mieux ceux qui sont affectés par ces événements et vous libérer de cette malédiction".
Le vieil homme semblait réfléchir un instant, son regard perçant scrutant l'expression d'Elena comme s'il cherchait à lire ses pensées. Finalement, il se pencha légèrement en avant, ses rides se creusèrent d'avantage, alors qu'il s'exprimait à voix basse.
"Ce n'est pas ici que vous trouverez vos réponses, je le crains" il désigna ensuite une fenêtre ouverte qui donnait sur un édifice religieux. "Vous devriez peut-être vous renseigner sur le Monastère de la Résurrection. Depuis l'emprisonnement Princesse Khovanskaïa, nièce d'Ivan le Terrible, beaucoup d'événements tragiques se produisent ces derniers temps, à croire qu'elle a emporté avec elle une malédiction !"
Elena tressaillit légèrement à l'évocation de ce nom. Le monastère de Goritsy était connu pour ses mystères et ses légendes obscures, des récits qui résonnaient dans les coins les plus sombres de son esprit. Elle hocha cependant lentement la tête, prenant soin de ne pas interrompre le vieil homme alors qu'il continuait à partager ses connaissances sur les événements étranges qui s'étaient déroulés dans le village. Elle écoutait attentivement, prenant note de chaque détail, espérant trouver des indices qui pourraient les aider dans leur mission.
Pendant ce temps, les autres habitants de l'auberge observaient la scène avec méfiance, chuchotant entre eux et jetant des regards furtifs vers Elena, Mélonia et le vieil homme. Ils semblaient nerveux, comme s'ils avaient peur que leurs secrets les plus sombres ne soient révélés au grand jour. Mais malgré les regards hostiles et les murmures inquiets qui les entouraient, Elena resta concentrée sur sa conversation. Elle savait que c'était leur seule chance de récolter des informations et devait l'écouter jusqu'au bout sans être déconcentrée.
"Inutile de s'aventurer là-bas," continua le vieil homme d'une voix sombre, comme s'il avait lu ses pensées. "Les murs de ce monastère recèlent des choses dangereuses, des secrets qui ne devraient pas être découverts par des étrangers. La plupart des gens qui s'y sont aventurés ont perdu la vie. Certains n'en sont même jamais sortis. Il se passe des choses pas nettes là-bas, mais je n'ose pas penser à ces pauvres gens qui ont péris."
Elena retint son souffle, sentant un frisson parcourir son échine. Elle savait que le vieil homme ne parlait pas sans raison, que derrière ses paroles se cachait une vérité qu'elle devait découvrir à tout prix. "Merci pour votre avertissement," répondit-elle finalement, ses yeux fixés sur le vieil homme avec une détermination renouvelée. "Nous ferons attention." ajouta-t-elle avant de regarder Mélonia, visiblement satisfaite. "Je crois que nous avons trouvé une piste finalement, on y va?" lui demanda-t-elle, s'apprêtant à sortir de la taverne "Merci, monsieur, nous vous revaudrons cela un jour, soyez en sûr." Elle déposa la somme demandée pour les boissons et sortit d'ici, poussant un long soupir, se décontractant un peu.