Némésis

Vivre ? Ahahah. Quelle mauvaise plaisanterie. Quelle belle mascarade. Jusqu'à quand devra-t-elle vivre ainsi ? Accumulant les peines et les pertes. Un être détruit au coeur meurtri. Et maintenant qu'elle n'a plus rien à perdre, ce sont ceux qu'elle aime qui perdent, encore et encore. Qui souffrent, encore et encore. Une boucle sans fin, une lutte sans fin, une vie éternelle. Éternellement douloureuse.

Le Comte a disparu. Sans laisser de traces ni de messages. Il a abandonné les Noé à leur sort. Il les a lâchés. Tous sans exception. Il y a eu des larmes. Il y a eu des cris. Et dans son âme, a résonné le besoin de se lier. Alors, elle lui a promis, qu'elle allait le suivre. Elle lui a juré, qu'elle le vengerait. Qu'elle serait son arme ou son objet. Son bouclier ou son armure. Elle deviendrait tout ce dont il aurait besoin tant qu'il le demanderait. Ce serait leur pacte. La fin de sa liberté. Le début de leur alliance.

Sauf qu'il a refusé. Il n'a pas daigné lui répondre. Elle s'est fourvoyée. Il ne désirait pas se battre à ses côtés. Il n'avait pas besoin d'elle. Et la douche froide et salée, a clos ses lèvres. Il ne sera pas son maître. Il ne le veut pas. Sa fidélité a été déchirée. Son cœur a été blessé. Son ego aussi. Sa fierté aussi. Wisely comment as-tu pu ainsi me trahir alors que tu... Alors que quoi ? Alors qu'il lui demandait sans cesse de se joindre à lui ? Alors qu'elle refusait par crainte ? A force de refus, ce n'est pas étonnant qu'il se soit lassé. A part Raeliana personne n'a désiré s'encombrer d'elle.

Quelques semaines plus tard, une Innocence a été détectée. Est-ce que cela a vraiment de l'importance ? Non. Aucune. Cependant, Emi a besoin d'y aller. Non pas pour la détruire -si elle le doit, c'est sa mission, son devoir. Mais parce qu'elle doit sortir d'ici. L'aura qu'elle émet est nocive, sombre, haineuse, menaçant d'exploser. Il faut qu'elle prenne l'air, qu'elle se venge d'eux, quelques fragments inutiles avant de s'attaquer au gros du problème. Elle leur fera regretter ce qu'ils ont fait. Les préparatifs ont été rapide, Emi s'est vêtue de son armure, légère ainsi que d'une hallebarde qu'elle n'a aucun mal à porter.

En Russie, le brouillard noir de la Bean Sidhe s'est manifesté. Envahissant une forêt, elle les a trouvés sans peine. Traquer une proie, lorsqu'on est le prédateur, il n'y a rien de plus simple. La plupart, en inspirant son sang, sont déjà fichus, ils tombent comme des mouches. Emi rit. Un rire sinistre, un rire machiavélique qui s'échappe de sa gorge. Témoigne de son sadisme. Ceux qui ne disparaissent pas tout de suite, elle les approche et d'un bond, elle enfonce la lame de son arme pour fendre leur crâne.

Il est trop tard pour demander la pitié. Il ne fallait pas ainsi venir l'attaquer. Il ne fallait pas s'en prendre à son refuge. Elle essuie le sang près de ses lèvres et son regard capte une silhouette, plus loin. Son sourire s'étire, sa voix susurre des mots inquiétants.



Emi s'approche, d'un pas lent, sans se presser. Son envie de meurtre est tellement présente que seul un idiot ne la remarquerait pas. Seul un fou l'ignorerait. Parce qu'elle n'hésitera pas à lui frapper dans le dos. Elle s'avance, ses mots d'un ton calme ne reflète pas l'état de son âme.



Par deux fois, elle accentue son ressentiment. Par deux fois, elle lui offre la possibilité de s'enfuir, s'il tient à la vie. Cependant, il ne saisit pas cette chance. Sa colère grimpe, explose. Ses dents se serrent, ses yeux s'écarquillent de fureur. Et à lui qui ne sait au fond, sûrement pas grand chose, elle lui pose la question. Une question dont elle connaît la réponse.



Ses dents grincent, Emi vient se mordre la lèvre inférieure, la prise sur son arme se serre davantage. Sa voix gronde, tel un volcan en éruption. Aucune sagesse ne saurait la calmer. Il est trop tard. Bien trop tard.



Emi se tait enfin, pendant un instant. La lave a explosé, s'est écoulée et elle récupère une seconde de fraîcheur. Une seconde qui ne durera pas longtemps. Sa main se tend vers lui, lui accordant le droit de lui répondre.



C'est le seul cadeau qu'elle lui fera. Sa main se serre, forme un poing, prête à l'écraser.
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La colère bouille dans ses veines, pulse dans son sang, fait battre son coeur. Son regard est noir de haine, une haine qui la consume, qui lui scie à la peau. Tenue de corbeau, Emi apporte la mort, elle est la faux qui s'abat sur ses cibles. Sans une hésitation, sans pitié. Pourquoi en avoir ? Elle ne joue pas avec les fourmis, elle les écrase sans cérémonie.

Celle qui lui fait face porte un drôle d'attirail, un masque sur le visage, est-ce pour cacher la noirceur de son âme ? Est-ce pour se voiler la face ? Oh Emi, tu lui en veux déjà sans le connaître, sans qu'il ne t'ait adressé mot. Sa seule identité suffit à te faire frémir d'horreur, de colère. Un exorciste, un exorciste ne mérite pas le bonheur, pas plus qu'un Akuma. Ni l'un ni l'autre ne peuvent le convoiter.

Et c'est lui qui vient lui vomir la vérité. Une vérité qu'elle connaît bien entendu mais qu'elle a omis de préciser, feu trop attisé pour faire attention à l'herbe dont il se nourrit et qui le fait grandir.



Il y a le silence suivi d'un rire. Le sien, le leur. L'un comme l'autre. Emi n'y croit pas, ce tempérament lui plaît. Cela la change des discours respectables que certains déblatèrent. Les larmes ne couleront pas sur ses joues, son coeur est asséché par la perte et n'a plus rien à montrer. Si ce n'est cet air malfaisant qu'elle ne cache derrière aucun artifice.

Il la vouvoie, enfant bien éduqué. Cela rajoute à l'ironie de la situation. Faut-il se parer d'autant de politesses lorsque ce que l'on s'apprête à commettre n'est qu'un meurtre ? Il ne se soucie pas des victimes, les enchaîne sans le respect qui leur est mérité. Combien d'âmes a-t-il dévoré ? Emi n'en éprouve aucun désir de vengeance, elle-même sait que les victimes qu'elle a accumulées sont toutes aussi nombreuses. C'est leur métier de détruire.

Son regard observe l'étrangeté qu'il a invoqué. Une silhouette de femme ? Un autre brasier. A ses pieds, la terre s'enflamme, brûle. L'effet de ce pouvoir est facile à deviner. Elle ne la quitte pas du regard, sachant que le moindre relâchement pourrait la tuer. Pour clore cet échange, l'Akuma balaie d'un geste de main son offre.


L'esprit de feu s'approche, l'Akuma fait un bond en arrière, à cet instant, elle souffle deux mots Ceo Tiubh qui plonge son corps dans le brouillard, un brouillard qui s'agrandit, masquant sa présence dans une zone de quinze mètres, engloutissant la lumière, ne laissant que les ténèbres autour d'elle. Emi prend appui sur le tronc d'un arbre, se propulse dans la direction où l'invocateur est censé se trouver. S'il ne combat pas au corps-à-corps, c'est qu'il y a une bonne raison. Il doit être mauvais. Son arme soulevée, elle n'a plus qu'à viser, tuer. Une nouvelle tête sur son tableau de chasse.
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La lame transperce, se repaît de sa chair. Ce n'est pas sa tête qu'elle vient de voler, c'est son bras qu'elle a perforé. Force et vitesse se sont mêlées, sans pour autant lui arracher un seul hurlement. Les pupilles de l'Akuma se dilatent, son sourire s'accentue, pur sadisme à peine voilé. Pourquoi s'en cacher ? Ils partagent la même expression, du moins, Emi le ressent ainsi.  



Sans la moindre hésitation, Emi raffermit sa prise sur le manche de son arme, s'apprête à terminer son mouvement, pour de bas en haut, venir le trancher. Du moins, était ce son but, cependant, une poigne l'en empêche. La sienne. A celui qui souffre. Ses mots sont dénués de sens, ils n'ont aucune contenance, aucune réalité. Comment pense t-il réussir ? N'est-il pas celui qui s'apprête à perdre un bras ? Celui qui va mourir ? Elle secoue la tête, vengeresse obnubilée par la proie sous ses yeux.



Les sourcils du monstre se relèvent. Elle tire sur la lance, lance qui ne bouge pas. Il bloque son arme, l'empêche de se mouvoir. Que ce soit pour l'achever ou reculer. Trop concentrée sur lui, Emi ne remarque pas la source de chaleur qui se rapproche silencieusement. Aucun pas sur le sol, aucun son. Juste une vive brûlure qui se répand dans son dos et la fait grimacer. Sans un cri, juste un grognement déplaisant.

Elle n'arrive pas à lui prendre son bien. Mince. C'est pourtant évident. Le corps de Nola est plus faible que celui d'un homme. Impossible de récupérer son arme, Emi la lâche, s'éloignant de l'esprit de feu en accentuant son brouillard et se cachant dedans. Elle arrache sa cape enflammée, la laisse tomber au sol et se laisse glisser contre un arbre pour souffler.

Ingénieuse stratégie, imaginée par la fourmi. Elle s'accroche à la victoire tandis que la bête s'en éloigne. La peau de son dos a brûlé, laissant une sensation de picotement désagréable et agaçante. Mince... Ça fait mal... Pense t-elle en essayant de calmer sa respiration agitée. Et, ce n'est pas tout. Sans son arme, blessée, Emi se retrouve privée de ses atouts. Seul son brouillard domine et lui assure sa sécurité.

Son brouillard lui suffira t-il à le tuer et détruire une Innocence ?

... Non.

Cependant, elle n'a pas le choix. Emi se redresse, observe le paysage assombri par sa brume afin de repérer la lueur du feu de la sorcière. Sa voix se fait entendre, aussi douce que colérique.



Qu'il parle et lui offre l'occasion de le repérer. Elle se chargera de l'éliminer.
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Brûlure douloureuse, supplice de chaque seconde. Chaque mouvement est une piqûre supplémentaire qui ravive sa colère. Cela fait bien longtemps qu'elle n'a pas été autant en peine, lors d'un affrontement. Est-ce le terme ? Non.

C'est une mise à mort.

L'un comme l'autre ne jouent pas, ils ne s'entraînent pas, ils sont là pour massacrer leur ennemi. Et celui qui échouera, perdra la vie. Malgré cette issue, Emi continue de parader, de parler, de provoquer, de le chercher. Danger imminent dont elle fait abstraction. Pourtant, elle n'est pas immortelle, loin de là. De chair, de sang, semblable à une humaine en n'étant qu'une marionnette, usée, fatiguée.

A cet instant, si elle doit s'éteindre, il en sera ainsi.

Disparaître au combat est l'essence même de son être.

Aucun regret ne naîtra. Aucune larme ne coulera.

Son regard se relève, elle serre les dents, inspire profondément. Si elle doit succomber, ce ne sera pas sans l'emmener. Ce maudit exorciste ne l'emportera pas au paradis. L'odeur forte de sang lui indique sa position, avec plaie pareille, il ne peut pas s'échapper, il est déjà condamné. La flamme qui brûle à ses côtés est un second indicateur. Emi n'a plus qu'à lui tordre le cou, mettre fin à son existence. C'est simple.

Néanmoins, un problème survient. Le brouillard ne se déplace plus comme elle le souhaite, le brouillard ne lui appartient plus entièrement. Un second s'est greffé sur le sien, l'empêche d'agir. C'est impossible. La même technique, produite par cette fourmi...? Il ne lui en faut pas plus pour comprendre ce qui vient de se passer. La rage se propage dans son corps, bout dans ses veines, envenime son cerveau.

Copier. Reproduire. C'est tout ce qu'il peut faire. Oh. Ce sale rat... Il ose... Il ose s'approprier son pouvoir. Maudit exorciste. Ils se prétendent juste ? Ils se prétendent bons ? Leurs actes sont pour le mieux ? Quelle bande de beaux parleurs. Elle ne le laissera pas s'en tirer. Elle va l'attraper, déchiqueter ce qu'il reste de son bras, lui tordre le cou, se repaître de sa chair, rire de son agonie et détruire ce qu'il convoite.

Le monstre s'avance, s'élance, guidé par l'instinct, obscurcit par les ténèbres. La peau brûlée tiraille son dos, semble se propager dans sa colonne vertébrale. Elle l'ignore, serre les poings en s'approchant, là où le brouillard se densifie, là où le rat se terre.

Oh douce haine, violente hostilité lui ont enlevé toute lucidité. Et lorsqu'elle apparaît face à lui, son regard ambré aperçoit l'arme abandonnée dont il s'est empressé de s'équiper. Impossible de couper son élan, elle s'est emportée. Et comme une proie, elle s'apprête à être embrochée.

Oh damn it.
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Il aura suffi d'un instant, un instant dominé par sa colère pour qu'elle ne perde sa prudence. Emi n'a plus aucun recul sur la situation, elle avance vers sa mort, abandonnant ses chances de survie. Son regard a le temps d'observer la lame s'approcher de sa taille, venir perforer son ventre, être bloquée par l'os de sa hanche. 

Ça lui déchire les entrailles. Ça lui arrache un cri de douleur. Un juron de rage. Ça lui provoque une montée d'adrénaline. Ça lui fait repenser au passé, aux visages des personnes aimées. Ça lui fait réfléchir à une éventualité. La fuite. Fuir pour rester en vie. Comme une lâche. Jamais. Fuir pour espérer recroiser sa route. Oui. Non. Elle ne sait pas. Est-ce que s'échapper pour cette raison est suffisant ? Piétiner sa fierté pour un homme dont elle ne se souvient que vaguement ? 

La conversation qu'elle a eu avec Lion lui revient en mémoire. Se remémorer ce souvenir à l'approche de sa mort est purement ironique. On ne cesse jamais d'aimer même en sachant que c'est impossible. C'est ridicule. Pathétique. Cela ne mène à rien… Non… Il a affreusement raison. Ses parents, Nola, Kin et lui. Elle ne peut pas les oublier. 

Elle ne peut pas crever comme un chien ici. Pas face à cette fourmi.

Emi attrape le manche de la lance, le détourne de son corps et fait quelques pas sur le côté, retrouvant son équilibre pour ne pas s'effondrer. La coupure est nette sur sa peau, profonde. Là où est passé le fer, une plaie sanguinolente. En complément de celle sur le dos, elle peine à garder conscience. Ses jambes tremblent, ses bras n'ont plus de force.

Elle a été chanceuse. Il n'a pas pu la trancher entièrement grâce aux blessures qu'elle lui a infligées sinon elle serait morte. Une marionnette cassée. Ceci dit, elle n'est pas sortie d'affaire. Et il lui fait bien comprendre. 

Crèves.

Ah. Jamais elle ne lui donnera ce plaisir. Pourtant, il fait apparaître ses flammes, compte la brûler vive pour la faire taire à jamais. La situation est critique. Elle ne peut pas utiliser d'autres techniques sous peine qu'il ne les retourne contre elle et elle n'a pas la vivacité nécessaire pour lui briser la nuque. Dommage, elle ne peut pas en finir avec lui avant de fuir. 


Et la prochaine fois, elle ne le manquera pas. Son corps disparaît dans le brouillard, le sang glisse le long de sa jambe, laissant une traînée de sang sur le sol. Elle s'évade dans les bois, jusqu'à rejoindre le portail par lequel elle est venue semer le chaos. Elle s'effondre contre les murs protecteurs de l'Arche, n'oubliant pas cet homme au masque qu'elle tuera dans le futur. A coup sûr.
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