Tragedy in our blood.
T’avais pas besoin de donner d’explications. Le seul à qui tu en devais, tu les lui avais données de vive voix, lorsque ta décision était prise et que plus rien, plus aucune parole ne pouvait te retenir entre les murs de la Congrégation. T’as déjà donné trop de toi. Ou plutôt, ce que tu pensais être toi.
T’avais été curieuse vis-à-vis de ce que l’Ordre Noir pouvait te cacher, d’une information que peut-être -peut-être ?- ils ne t’auraient pas donné volontairement. Et à force de recherche, t’as fini par trouver. Une pièce abandonnée, des cartons. Certains papiers avaient attiré ton attention car tu y avais trouvé mention d’un prénom. Couché là, sur une enveloppe. Raisa. Ce n’était pas une coïncidence.
Alors t’avais tout sorti. T’avais tout lu. Toutes ces lettres, ces échanges épistolaires. Tu reconnaissais ton écriture et pourtant, tu n’avais aucun souvenir de ces échanges. Tu avais passé la nuit à lire les lettres. À te replonger dans des souvenirs qui furent les tiens, dans les mots que tu employais. Tu y as redécouvert ta famille, en tout cas ce qu’il en reste et ce qu’elle te faisait subir. Ta passion pour l’écriture qui apparemment, vient de loin.
Mais ce qui t’avais le plus interpellée dans ces lettres, c’est qu’elles étaient toujours entre toi et le même interlocuteur. Kaleva Mäkinen. C’était le nom sur l’enveloppe mais toi, tu l’appelais Kal, constamment. Vous aviez l’air très proches, au vu du nombre de lettres que vous avez échangées, pendant des années. Et une promesse, souvent réécrite en bas de vos échanges. Si on est séparé, on se retrouvera toujours.
Ton cœur avait bondi et ton souffle s’était coupé. Pour la première fois, tu avais la preuve que tu comptais pour quelqu’un. Que tu n’étais pas juste Ksenia, l’Exorciste. Tu étais quelqu’un, à part entière, quelqu’un qui comptait, en tant qu’individu propre.
Mais si vous vous étiez promis de toujours vous retrouver, où était-il passé durant les cinq dernières années ?
Forcément, t’avais pas pu t’arrêter là et t’avais continué tes recherches, toujours dans la nuit. Silencieusement, discrètement, pendant que la quasi-totalité de l’Ordre Noir dormait profondément. T’étais tombée sur un dossier. T’avais tout lu en détails. C’était un Exorciste lui aussi. Tu ne comprends pas : vos échanges datent de bien avant ton entrée à l’Ordre Noir, sans aucune mention d’Innocence ou de Guerre, même en simple sous-entendu.
T’avais continué à lire, attentivement. Il n’y avait pas tant d’informations que ça. A ne pas approcher, c’était écrit en grand au-dessus. T’avais froncé les sourcils. Comment était-ce possible ? Tellement de questions tourbillonnaient dans ton esprit alors que tu te perdais face à toutes ces nouvelles informations. Et au bas du dossier, sa dernière localisation connue. C’était tout ce qu’il te fallait.
Tu devais le retrouver.
Ton cœur tambourinait contre ta poitrine alors que pour la première fois dans ta nouvelle vie, tu goûtais à une liberté nouvelle. Pas de missions. Pas d’Ordre Noir. Juste toi. Toi et ta nouvelle vie de fuyarde. C’était étrange, cette adrénaline. T’es terrifiée pourtant, l’excitation du renouveau te fait revivre. Car pour la première fois depuis cinq ans, tu as une piste. Tu as quelqu’un. Tu as une raison d’exister de ton propre chef et cette raison, c’est lui.
Grâce à ton expertise sur le terrain, tu sais où chercher des informations, à qui les demander et comment procéder à des interrogatoires de manière efficace. Et étrangement, ta cible n’était pas si compliquée à trouver.
Lorsque tu donnais son nom, on te faisait de grands yeux, te demandant si tu étais sûre. Lorsque tu affirmais, ils te parlaient de malédiction -et tes sourcils de se froncer encore plus derrière tes lunettes- et qu’il valait mieux pour ton propre bien que tu n’approches pas. Après les avoir remerciés sans donner plus d’informations sur ton but, tu entendais parfois dans ton dos une prière pour ton âme alors que tu rabattais ta capuche sur ta tête pour tracer ta route le plus discrètement possible.
Finalement, tes pas te menèrent sur les quais. Les locaux t’avaient indiqué qu’il travaillait ici pour le moment, seul. Tant mieux dans un sens, vous aurez bien moins de chance d’être aperçu par un civil trop curieux.
Et là-bas, au loin, tu aperçois une large silhouette solitaire, correspondant aux descriptions que t’avais amassées. Et maintenant ? T’avais même pas réfléchi à ça. Comment l’aborder ? Comment allait-il réagir ? Comment allais-tu lui expliquer ? Pour toi, pour la situation, pour lui ?
De toute façon Ksenia, t’as jamais vraiment été dans la planification des choses, alors lance-toi.
Tu te racles la gorge « Hmmm… salut… Kal ? » t’étais pas vraiment sûre qu’il s’agissait de lui alors tu avançais à tâtillons « J’ai un peu changé mais… c’est Kse- enfin, c’est Raisa. » et ce nom que tu réussis à amener, qui te semble tout nouveau pourtant, il fait partie de toi. Et plus que jamais maintenant, tu as besoin d’être toi.