[Mission] Tumulte au coeur du désert

Je l'écoute en silence, tordant un pan de ma robe dans tous les sens. Ses mots sont lourds de sens, et l’inquiétude qu'il y mêle rajoute de l'importance à tout cela. Des civils, partisans de l'Ordre noir, ont disparu. A priori, rien à voir avec le Comte et son armée. Non, c'est juste la faute à pas de chance. Mais le risque est trop grand pour laisser tout cela de côté et balayer l'histoire d'un revers de main. Ce couple a toujours été là pour nous sauver, c'est à notre tour de leur venir en aide. Je hoche la tête d'un air déterminée. Je ne les connais pas, mais ils sont mes compagnons de guerre. C'est grâce à des gens comme eux que l'Ordre peut espérer gagner un jour. Alors il est hors de question qu'on les laisse seuls et désemparés.

«  Je ferai de mon mieux, si ce n'est plus. Je vous le promets. »

Le Grand intendant sourit et me fait signe de suivre l'un des membres de la section scientifique, m'attendant sur le pas de la porte. Je m'empresse de le rejoindre et marche derrière lui sans un mot. Je ne sais pas vraiment comment je vais procéder encore. Je ne connais pas le terrain ce qui est loin d'être anodin. Le Sahara. Un désert impitoyable où la chaleur règne en maîtresse absolue, tuant qui conque s'aventure un peu trop loin.
Je manque de rentrer dans mon guide, et m'excuse maladroitement.

«  - Tu ne devrais pas t’inquiéter comme ça tu sais. Si Komui t'as confié cette mission c'est qu'il t'en juge capable.
- Mais … Je ne connais rien à tout ça. Et je serai seule ! »

Je fais de grands signes, et esquive de justesse un homme qui passait par là. Seule. Les effectifs ne sont pas grands, et les traqueurs ne me seraient d'aucune utilité.

«  Tu seras équipée en conséquence. Et tu ne seras pas seule. Enfin, pas vraiment. Tu auras un golem avec toi. Nous entendrons absolument tout ce que tu lui diras. Et on t'enverra de l'aide si besoin est. Alors défronce les sourcils »

Je souris et le remercie du regard. C'est juste des mots, mais je suis un peu plus rassurée. Je le suis jusque une drôle de petite pièce, remplie d'affaires toutes plus étranges les unes que les autres et ce jusqu'au plafond. Il me tend pas mal d'affaires. Des habits adéquats, une bonne paire de chaussures, des lunettes pour le sable, un foulard pour mes cheveux et ma tête, une carte, une boussole, une gourde, des médicaments et tout un tas d'autres choses. Je manque d'en faire tomber la moitié, mais je tiens bon. Et enfin, il allume un petit truc noir ailé qui s'agite presque aussitôt.

«  Ce sera ton golem pour la mission. »

Je hoche la tête et file me changer et faire mon sac. C'est la première fois que je pars pour une telle mission. Enfin, la deuxième en réalité. La première fois, j'étais partie pour défendre Soren. Mais c'était différent. Il n'y avais pas de combats en vue. Alors que cette fois ci …
Je secoue la tête dans tous les sens, faisant danser mes cheveux. Il faut penser positif Gwen. Une fois préparée, j'attrape Merida et un carquois rempli, jette un dernier coup d’œil à ma chambre, et pars enfin.

Arrivée devant l'Arche, j'ai du mal à déglutir et une boule énorme au ventre. Le scientifique de tout à l'heure m'attend devant, discutant avec quelqu'un. Il m'aperçoit et me sourit, mettant fin à sa discussion.

«  Prête ? »

Un minuscule oui franchit la barrière de mes lèvres.

« - Parfait. Une dernière chose. Il nous faudrait un mot, une sorte d'alarme pour savoir si tu es en danger ou pas. A toi de décider.
- Hum... C'est quoi votre prénom ?
- Paul.
- Très bien. Si je hurle Paul, je compte sur toi pour me venir en aide !
- Je serai là. Il va falloir y aller.
- Très bien. Quand il faut, il faut. Au revoir !
- A bientôt Gwenaëlle. »

Je lui fais un dernier signe de main et m'engage dans l'Arche, le golem à mes côtés.

«  Dis, je peux lui donner un nom au golem ? »

Un silence me répond. Bien, j'imagine que ça veut dire oui.

«  Va pour Barnabé alors. »

Je me dirige dans l'ancienne arche d'un pas rapide. Ces gens sont en danger, il n'y a pas un seul instant à perdre. Un mini plan improvisé dans les mains, je finis par trouver la bonne porte. Et il était temps. Ces quelques minutes passées dans le plus grand des silences commençaient à m'oppresser.
J'ai un peu de mal à ouvrir la-dite porte. Elle résiste, comme si elle était retenue par quelque chose. Je jure comme un charretier et force un peu.

«  Dîtes, vous penserez à mettre de l'huile sur les gonds hein ! »

Elle finit par céder, et une immense bourrasque vient me décoiffer – enfin, si on considère que j'ai déjà été coiffée un jour. Je remets mes mèches en place, relève l'écharpe en tissus devant mon nez, et descends mes lunettes. Un coup d’œil à Barnabé pour vérifier s'il est toujours là malgré le vent. Le petit golem tient bon, battant frénétiquement des ailes. Tant mieux.
Je m'engage et arrive enfin dans le désert. L’Aventure commence ici. Et elle manque de se terminer ici aussi. A peine ai-je fait un pas au dehors, que je tombe en avant, et dévale l'une de ces collines de sable en poussant un long cri. Je reste étendue quelques secondes, vérifiant mentalement que rien n'est cassé. Je me redresse finalement, et ramasse mes affaires, avant d'épousseter mes vêtements.

«  Tout va bien. Mais faudra mettre un panneau : Attention, la marche est haute. »

Je souris au golem, même si je sais que personne ne peut le voir. Ils vont finir par penser que je ne fais que râler si ça continue.

«  Trêves de bavardages ! Il est temps de se mettre au travail. »

Je farfouille dans mon sac et en sors la boussole. D'après ce que m'a dit le grand intendant, la dernière fois que le couple a été aperçu, il allait en direction du nord. C'est là qu'ils voulaient voir je-ne-sais-quel endroit merveilleux. La petite aiguille tremblote un peu, mais elle finit par me donner un cap. Remettant mon sac en place, je me mets en route. J'espère que je n'en aurai pas pour longtemps, car la chaleur m'est déjà insoutenable. Je rêve de me couper les cheveux, et d'une bonne douche bien froide. Et dire que ce n'est que le début....


«  Et alors là j'lui ai dit « C'est pas ma faute madame ! Comment je pouvais savoir que dix cuillères à soupe de soude, c'était beaucoup trop ? » Je te dis pas la tête qu'elle a tiré après ça. En même temps, j'avais fait de sales trous quand même. Et puis, entre nous, elle est beaucoup plus belle comme ça sa robe. Enfin, en tout cas, j'y étais pas pour grand chose moi, c'était qu'un accident ! T'en penses quoi Barna- »

Je m'arrête nette dans mon élan. Ça doit faire de longues minutes – si ce n'est de longues heures ?  - que je  marche dans le sable, et je commençais à perdre espoir. J'ai bien fait de n pas changer de direction. Face à moi, à moitié enfoui par le sable, une selle dépasse. Je me précipite sur elle, et la déterre comme je peux. C'est bien une selle, même si je ne sais pas du tout à quel animal elle correspond. A côté, j'ai aussi un sac avec ce qui ressemble à des vêtements, et un recueil de poèmes.

«  T'as vu ça Barnabé ? Je suis sur la bonne route on dirait ! »

Je décris ce qui se trouve sous mes yeux, pour que les membres de l'Ordre Noir soient au courant, et je reprends ma route.

«  J'en étais où ? Ah oui, elle m'a punie après cette histoire ! Je me suis retrouvée à devoir laver les sols avec sa robe justement, puisque je l'avais qualifiée de vieux torchon …. »

Je continue d'avancer, papotant avec Barnabé. Durant quelques secondes, je plains les scientifiques de l'autre côté. Puis je me dis qu'ils n'avaient qu'à pas me laisse toute seule pour cette mission. Et on va pas se mentir, c'est pas comme s'il y avait foule ici. Je commence à être fatiguée de marcher, et je décide de m'asseoir quelques minutes, le temps de reprendre mon souffle. Je m'allonge même carrément, et ferme les yeux.
C'est à ce moment qu'il apparaît. Un étrange sentiment d'être observée. Je rouvre les yeux et redresse la tête, mais rien en vue.

« Ça y est. Tu commence à devenir folle. Bravo Gwen. »

Je ris toute seule, allongée sur le sable, me trouvant bien ridicule. Malgré tout, je n'oublie pas cette impression, et décide de rester sur mes gardes. On ne sait jamais. Ce peut être des brigands, ou un animal. Ou ce peut être eux. Je ne sais pas ce qu'ils seraient venus faire ici, ni comment ils auraient eu vent de cette affaire. Mais ça reste quelque chose à prendre en compte. Après tout, je n'ai pas le droit à l'erreur, et encore moins dans un environnement comme celui ci.
Je me rassois correctement et sors ma carte et ma boussole. A priori, je ne devrais plus être trop loin de lieux historiques. Peut être se sont-ils réfugiés ici ? Je l'espère du fond du cœur en tout cas, car si je suis décidée à les retrouver, je ne suis pas prête pour traverser le Sahara en long en large et en travers.  

Il est temps de me remettre en route. Ils ne vont pas se trouver tous seuls ce couple. Même si j'avoue que cela m'aiderait pas mal. Mais peu importe. Je range ma carte et la boussole, prends le temps de boire un peu et recommence à marcher.
Je crois entendre un bruit et me retourne, un main sur mon arc. Mais rien à l'horizon. Mouais, c'est bizarre quand même. J'aime pas ça. Je décale légèrement mon arc sur mon épaule, afin de l’attraper plus rapidement, au cas où. Ce n'est pas très pratique, mais au moins je cours moins de risques.

« Je crois que je suis suivie. C'est peut être juste mon imagination, faut pas s'affoler. Mais je préfère vous le dire. »

Aucune réponse en retour, juste le battement frénétique de Barnabé. Pourtant, il est capable de fonctionner dans les deux sens, non ? M'ont ils entendue alors ? Le golem a t' il un dysfonctionnement quelconque ? Ou alors, ils m'ont laissée et ne m'écoutent plus. Cette mission ne les intéresse pas plus que cela. Je ne les intéresse pas plus que cela.
Du calme Gwen, c'est la chaleur qui te monte à la tête là, c'est tout. Ils n'ont juste pas jugé opportun de te répondre. Ce doit être ça. Je dois garder la tête froide et les idées claires. Sinon, je suis condamnée.

J'inspire profondément et reprends la route. Le soleil est toujours au plus haut, et je n'ai aucune idée depuis combien de temps je suis ici. Des bourrasques de vent commencent à apparaître, et je redoute pour la suite des événements. Ce serait stupide si moi aussi, je m'égarais dans une tempête de sable, et qu'il faille une équipe pour venir me chercher. Surtout si cette même équipe se perd dans une tempête de sable.
J'avance tout droit, me fiant à la carte et à mon instinct. Je ne parle plus, essayant de rester à l’affût. Mais aussi pour économiser mon souffle. Le vent se fait un peu plus fort, et je décide d'abaisser ces étranges lunettes données par la Congrégation. Je suis protégée, même si je ne vois pas grand chose.
Pas grand chose, c'est vite dit en fait. Car on dirait qu'il y a un bâtiment devant moi. Je presse le pas vers ces formes, croisant les doigts pour que ce ne soit pas mon imagination.

A l'intérieur du bâtiment, je ne vois rien. En tout cas au début. Il me faut du temps, pour que ma vue s'habitue à l'absence de lumière – même s'il ne fait pas noir pour autant. Je détail ce qui m'entoure du regard. Ici des pierres sur le sol. Là, ce qui ressemble à un mur. Ce n'est qu'une ruine, et j'ai de plus de plus peur qu'elle ne s'effondre sur moi.
Après avoir relevé mes lunettes – ce qui améliora un peu plus ma visibilité – j'attrape mon arc et commence à marcher. Je crois entendre du bruit, comme des respirations, mais je n'en suis pas sûre. J'ai peur de ce que je peux trouver ici. Et si c'était un repère de bandits ? Et si l'endroit était hanté ? Et si c'était un piège ?
D'une voix mal assurée, je me présente et cherche à savoir si quelqu'un est présent ou non.

« Bonjour... Il y a quelqu'un ? Je m'appelle Gwen, je suis envoyée par la Congrégation. Je viens pour vous sauver. »

En tant normal, une telle phrase m'aurait faite rire. Je viens pour vous sauver. On se croirait dans l'un de ces mauvais feuilleton à la fin des journaux, où un prince vient à la rescousse de sa princesse, contre vents et marrés.

Quelqu'un sort de derrière le mur, et je brandis mon arc devant moi, prête à décocher une flèche. J'ai le cœur qui bat la chamade et le sang qui tambourinent mes tempes. L'inconnue lève les bras et essaies de bredouiller. Mais elle n'a pas besoin de parler. Je comprends à la peur que je peux lire sur son visage qu'elle n'a rien de menaçant.
Je baisse immédiatement mon arme, et m'approches d'elle en m'excusant. Elle me raconte qu'elle est cette civile que je cherche depuis le début de la journée. Elle m'explique comment ils se sont fait prendre dans la tempête, et l'enfer qu'ils ont vécu.
Je n'écoute pas vraiment ses mots, et me concentre plutôt sur son visage. Elle est belle. Elle doit avoir une quarantaine d'années, et des rides sont déjà en train de se montrer à côté de ses yeux. De grands yeux bleus d'ailleurs, qui s'accordent parfaitement à ses cheveux bruns, entrecoupés de gris. Elle me rappelle ma propre mère, un peu. Je lui souris chaleureusement et lui demande où se trouve son maris, et le reste de la caravane.

Elle m'indique un espace, non loin de là, derrière un mur. Elle me dit que son maris est très mal en point, souffrant plus qu'elle de la déshydratation. Elle me parle également d'un troisième homme, qui servait de guide.

« On va s'occuper de vous. D'abord moi, et ensuite la Congrégation. Ne vous inquiétez pas. »

Je découvre l'abri de fortune et me présente une nouvelle fois. Le maris a en effet l'air plus affaibli. Et plus vieux aussi. Je lui tends ma gourde et lui sourit à son tour.

« Le temps presse. On devrait se dépêcher. Si c'est possible, bien entendu.  »

J'aide le vieil homme à se lever, avant de me mettre à la tête du petit groupe.

Et c'est à ce moment que la porte grince. J'avais pris la peine de la refermer derrière moi, sachant qu'elle nous avertirait de la présence d'un quelconque intrus. Mais j'espérais malgré tout qu'elle resterait silencieuse. Il faut croire que mon pressentiment était légitime et que j'étais bel et bien suivie par quelqu'un.
J'observe en silence l'homme qui nous fait face, essayant de me montrer impassible, voir sympathique. Je ne dois pas lui montrer que je me méfie. Surtout, ne pas lui donner une raison de nous attaquer. Je lui réponds, un sourire nerveux aux lèvres.

« Et oui ! En même temps, à quoi s'attendre, lorsqu'on vient dans le désert. »

Je termine ma phrase avec un petit rire qui sonne faux. Tout mon corps est tendu, et cela doit se ressentir. J'ai peur de cet homme, alors qu'il n'a nullement l'air menaçant. Instinctivement, je me place devant les civils, mon arc toujours en main.

« Si ça ne vous dérange pas, nous allons partir. Une longue route nous attend encore. »

J'avance de quelques pas à peine et m'arrête.

« Ce fût un plaisir de faire votre connaissance, Monsieur … ? »

L'homme te répond, et tu lui adresses un sourire gêné. Tu ne sais pas si tu peux lui répondre ou non. Après tout, la moindre des choses serait de lui renvoyer la politesse. Alors, en hochant la tête pour le saluer, tu lui mens, tranquillement.

« Audrey »

Premier prénom qui t'est venu à l'esprit. Tu commences à avancer vers lui, tout doucement. Surtout, ne pas le brusquer, ne pas lui faire peur. Sinon, vous êtes foutus. Tu ne sais pas à quel point il est fort et voudrais éviter un combat. Certaines blessures ne sont pas guéries. Et si elles ne risquent pas de s'ouvrir, elles n'en sont pas moins douloureuses pour autant.

Mais tu t'arrêtes en plein mouvement, et te remets sur la défensive. Une jeune femme vient de vous rejoindre. Tu sers un peu plus ta prise sur ton arc et ne quittes pas les inconnus du regard. C'est qu'il y en a du monde, pour un désert. Tu n'es pas une imbécile, tu devines qu'ils sont ensembles. Ce qui va venir te compliquer la tâche, l'air de rien. C'est la première fois que tu te retrouves toute seule face à deux ennemis. Et tu es loin d'en être réjouie.

« Et moi non plus je ne voyage pas seul ! Regarde Doc, je viens de tomber sur d’autres voyageurs. »

Adrian vient confirmer tes doutes et une drôle de peur naît en toi. Tu crains d'y rester. Et surtout, tu crains d'emporter les civils avec toi. Ils doivent s'en sortir. Peu importe de ton sort, eux sont plus importants. Plus importants que tout. C'est de ta mission qu'il s'agit. Il faut que tu te motives, Gwen. Et surtout, que tu gardes confiance. Tu en es capable. Tout va bien se passer.

« Ah c'est dommage qu'on ne puisse même pas faire plus connaissance, et... oups !
Dommage, en effet »

Tu te demandes pourquoi une telle réaction et cherches une arme des yeux. Mais tout ce que tu vois, c'est un dé, à tes pieds. Tu n'as pas le temps de comprendre le pourquoi du comment que le dé grossit et t'englobe. La panique naît en toi et tu as du mal à respirer. Tu regardes un peu partout, cherchant un échappatoire. Tu n'as aucune idée de comment sortir de ce truc. Et tant que tu es coincée là dedans, les civils sont parfaitement vulnérables.

D'ailleurs, les voilà pris pour cibles. Mais pourquoi ? Pourquoi s'acharner autant. C'est toi qui fais partie de l'Ordre. Toi qui constitues une menace. Alors pourquoi s'en prendre au couple ? Puis tu comprends. Ils n'ont jamais été là pour toi. Eux aussi devaient retrouver les bourgeois. Mais pour les éliminer.

Tu sers les dents de colère et commences à frapper de toutes tes forces sur les parois de l'ancien dé. Ce qui, malheureusement, est parfaitement inutile. Jusqu'à ce que tu réalises et comprennes. C'est son pouvoir de Noé. Alors ta simple force d'humaine ne fera rien. Il faut que tu frappes avec ton Innocence. Ce que tu peux être stupide, parfois.

Tu recules autant que tu peux dans l'espace restreint qu'il t'est donné et tires une première flèche. Ce qui ne change rien. Alors tu tentes une secondes fois, prête à lancer autant de projectiles qu'il le faudra. Tu n'as pas de temps à perdre avec ces futilités. Les civils sont en danger, la jeune femme les ayant pris pour cible.

Mais à ta grande surprise, il n'aura fallu que deux coup pour que ta cage cède. Libre, tu ne perds pas une seule minute. L'homme n'est pas ta priorité. Peu importe s'il te touche et te blesse. Il faut que tu arrêtes « Wil ». Quitte à la tuer s'il le faut. Le simple fait de l'envisager te fait mal, mais tu n'as pas le choix. C'est eux ou vous.

Alors, déterminée, tu lâches une première flèche en sa direction. C'est une simple flèche d'Innocence. Tu n'as pas l'intention de faire exploser quoi que ce soit, le bâtiment est déjà trop instable. Et un éboulement serait pire que tout.

Mais ton geste était trop précipitée, pas assez précis. Il faut que tu retrouves ton calme, que tu retrouves tes esprit, si tu veux espérer faire quoi que ce soit d'utile. Tu te jettes derrière un bout de mur, pour te protéger du Noah, et respires un grand coup. La prochaine sera la bonne, tu le sais.

Tu te redresses, cherches la jeune inconnue des yeux, et lâches ta flèche, priant tous les dieux pour qu'elle atteigne sa cible. Pour qu'elle l'arrête.

Tu as réussi à la toucher, Gwen. Mais surtout, tu l'as condamnée. Choquée, tu suspends ce que tu étais en train de faire. Tu as déjà tué. Mais c'était différent. Le Juge s'était comporté comme un monstre. Et si tu avais subi le contre coup, quand tu y repenses, tu n'as aucun regret ou remords. Tu as fait ce que tu avais à faire.

Mais il n'y a aucune satisfaction aujourd'hui. Peut être parce que la jeune femme te semble terriblement humaine. Peut être parce qu'elle a peur et appelle son compagnon. Peut être parce que ce dernier accourt vers elle, se moquant bien des civils ou de toi. Peut être parce qu'il essaie de la protéger, sans pour autant prendre le temps de vous tuer. Peut être parce que leur lien est fort et qu'il te touche.

Ou peut être parce que la situation aurait pu être inversée.

Une larme roule sur ta joues, et les pièces logées en plusieurs endroits de ton corps n'y sont pour rien. Tu es émue par la situation. Mais surtout, la culpabilité te ronge. Pourtant, tu ne pouvais rien faire d'autre. C'était eux ou vous. Et tu le sais. Mais d'un coup, le eux te semble moins terrifiant. Le eux pourrait devenir un nous.

Toujours immobile et silencieuse, tu les regardes partir. Tu ne leur courras pas après. Tu le chercheras pas à les achever. Ta mission était de protéger les civils et non pas de tuer les Noés. Interdite, tu continues de fixer la porte.

Ce n'est que lorsque la femme t'interpelle que tu retrouves tes esprits. Tout n'est pas fini encore, vous n'êtes pas rentrés à la Congrégation. Tu remarques alors que tu saignes et la douleur te prend de plein fouet. Tu grimaces mais ne bronches pas. Le voyage du retour risque d'être long et surtout lent. Tant pis. Tu as de l'eau et des réserves de nourriture. Tu n'as pas peur, ni pour eux ni pour toi. Tu adresses une dernière pensée aux Noés avant de te concentrer pleinement sur les civils.

« Je pense qu'ils ne reviendront pas. On va pouvoir y aller.
Vous avez bien fait de tuer ce monstre. Merci. »

Tu souffles un léger « De rien », un sourire triste tirant tes lèvres. Non tu n'as pas bien fait. C'est beaucoup plus compliqué que ça. Mais elle n'a qu'un point de vue extérieur sur la question, tu ne peux lui en vouloir. Tu attrapes une partie de leurs affaires et vous vous mettez en route.


Il vous faudra plusieurs heures pour retourner jusque la ville où se trouve l'Arche. Vous devrez faire de nombreuses pauses, pour les adultes comme pour toi. Tu auras mal et tu te fatigueras vite, mais tu n'abandonneras pas pour autant. Ce n'est rien comparé à ce que Wilma a dû subir. Ce n'est rien comparé aux jours qu'on passés les civils, seuls dans le désert. Alors tu serreras les dents et endureras en silence.

Puis vous arriverez enfin devant les portes de l'Arche. Tu laisseras là les civils, en les remerciant pour toute l'aide qu'ils fournissent à l'Ordre Noir et en les sommant d'être plus prudent. Tu leur conseilleras aussi de changer de lieu de vie, maintenant qu'ils sont connus par le Comte. Puis tu les confieras au prêtre avant de partir pour la Congrégation.

Arrivée là bas, tu subiras des soins adéquats. Ils te diront que les blessures ne sont pas profondes et que tu seras bien vite remise sur les pieds. Tu n'auras même pas à rester à l'infirmerie. Alors tu rejoindras le bureau du sous Intendant d'un pas pesant, où tu feras ton rapport. Tu détailleras chaque pan du « combat » et tu lui diras que Wilma n'est sûrement plus une menace. Puis, quand il te l'auras dit, tu rejoindras ta chambre avant de t'écrouler sur ton lit, les larmes ruisselant ton visage.

Et là, rongée par le regret et la culpabilité, tu finiras par trouver le sommeil.