A million mistakes (I'm so sorry)

C’était le jour choisi. Elle avait décidé d’en faire sortir d’entre les murs du château, de changer d’air. Il fallait partir au marché, reprendre des vivres, des provisions pour tous les Pacificateurs et elle s’était proposée. Sa discussion avec Célania l’avait libérée d’un poids immense, le poids du deuil, de la culpabilité et toutes ces choses qui lui pèsent depuis un mois. Elle n’en est pas guérie pour autant, elle ne se sent pas forcément mieux -car rien ne peut atténuer la douleur qui l’habite désormais depuis ces terribles évènements- mais elle tente de faire comme si tout allait bien. C’est plus facile pour elle actuellement de renier cette douleur, ses cicatrices, ses souvenirs plutôt que de les affronter de face. Elle ne s’en pense pas vraiment capable à vrai dire. Elle ne sait toujours pas comment elle va surmonter tout cela. Alors elle a décidé de ne pas en parler. De ne plus y penser. Tout refouler à l’intérieur d’elle-même.

Il est vrai qu’en parler un peu lui a fait du bien. Mais ce fut tellement difficile de s’ouvrir. C’est tellement plus simple de faire semblant. De marcher dans ce village, à travers les gens, capuche sur la tête pour cacher sa longue chevelure et ses yeux violets, à la recherche des aliments notés sur une petite liste manuscrite. Comme si de rien n’était au final, comme si rien n’était jamais arrivé. Comme si elle venait de commencer sa petite vie d’adulte, qui va faire ses courses de la semaine au marché de la ville à côté. C’est plus simple comme ça non ?

Puis, elle est presque adulte. Elle s’en rapproche de plus en plus en tout cas. Dans quelques jours, elle fêtera son 17e anniversaire et elle n’a jamais été aussi insipide à l’idée de prendre un an. Ça ne lui fait plus rien désormais. Avant, c’était un évènement tellement réjouissant, qu’elle attendait avec tant d’impatience et de positivité. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un jour sur le calendrier qui la rapproche de la majorité et des responsabilités qu’elle aurait dû avoir à ce moment-là -responsabilités qu’elle tient déjà maintenant en réalité.

« Vous avez de bien beaux cheveux, jeune fille. » et le Papillon relève légèrement la tête, interpellée par cette phrase, observant la vendeuse lui faisant un joli sourire, qu’elle lui rend rapidement. « Merci madame. J’en prends grand soin. Tant que j’y suis, je vais vous prendre hmmm… » et la voilà qui redirige la conversation ailleurs. Bien sûr qu’elle les aime ses cheveux mais aujourd’hui, elle aimerait que l’on n’en parle pas trop. Qu’ils restent bien en-dessous de sa capuche, sans se faire remarquer. Elle passe sa commande, prend son paquet dans ses bras et sourit à nouveau avant de remercier la vendeuse et de repartir vers d’autres étalages.

Alors qu’elle parcourt la rue à la recherche du reste de sa liste, une file à un étalage attire son attention. Elle soulève un sourcil en se rapprochant discrètement, une dispute entre marchands, entre clients ? Pas qu’elle veuille s’en mêler mais elle se méfie désormais : l’Ordre, Central et les Noés ne sont jamais bien loin, et elle le sait. Elle ne prendra plus aucun risque. Le hasard n’existe plus maintenant.

Et c’est justement en se rapprochant qu’elle semble reconnaître une voix familière. Mais c’est impossible. Absolument impossible. Elle fronce les sourcils alors que son cœur s’accélère, et se met sur la pointe des pieds pour tenter d’apercevoir plus loin mais l’homme repart déjà, encapuchonné. Autant en avoir le cœur net. Le Papillon se met à le suivre, discrètement de loin, avant de tout doucement se rapprocher, prenant garde à ce que personne ne puisse la reconnaître, que personne ne la suive. Se rapprocher, un peu plus, et l’hésitation qui pulse dans ses veines. Si ce n’était pas lui ? Et si c’était un piège ? Ils savaient à quel point son père comptait pour elle, elle avait pu comprendre le genre de méthode qu’ils utilisaient. Ça ne l’étonnerait pas qu’ils s’en servent mais…

Non, elle devait en avoir le cœur net. Alors, le cœur battant la chamade et les mains tremblantes, elle approcha son bras libre lentement d’abord puis, prise d’un sursaut de bravoure, attrapa fermement l’avant-bras de l’homme devant elle, venant alors se poster devant lui pour observer son visage.

« … papa ? » et c’était les seuls mots qui pouvaient sortir maintenant, comme pour se rassurer qu’il s’agissait bien de lui, qu’il se rappelait bien d’elle. Incapable de bouger, elle ne faisait qu’observer tous les traits de son visage en détail, comme si la situation lui paraissait trop irréelle que pour être vraie. Parce qu’après quatre mois sans nouvelles, après tant de recherche et de sacrifices.

Il était là, devant elle.

La réaction de son père fut un peu brusque, mais elle s’y attendait et ne s’en accommoda pas. Elle l’observait avec ses grands yeux, tous les traits de son visage. Elle voulait s’assurer que c’était bien lui, qu’elle ne s’était pas trompée, qu’il s’agissait vraiment de son père qui se tenait là, devant elle. Après tant de temps passé à le chercher, après toutes les nuits sans sommeil, après le froid de la cellule et toute la souffrance qu’elle avait enduré pour que ce moment arrive… Tout cela semblait tellement irréel.

Et pourtant il était là et il la regardait, tout aussi ébahi qu’elle ne l’était. Saphira se retenait de pleurer, vraiment. Elle contenait ses larmes et ce nœud qui se formait dans sa gorge, toutes les émotions qu’elle réprime depuis des semaines et des semaines maintenant. Car lorsqu’elle croise ce regard stupéfait, elle se revoit petite fille partant pleurer dans les bras de son père. Lui raconter toutes ses aventures, tous ses malheurs. Elle entend à nouveau les promesses, lorsqu’il lui déclarait en fanfaronnant qu’il la protégerait de tout parce qu’il était le plus fort de tous. Elle se revoit rire et lui répliquer qu’elle n’en aurait pas besoin.

Aujourd’hui, elle est désolée. Désolée car elle n’a pas tenu cette promesse.

Elle a failli. Elle n’était pas aussi forte qu’elle le pensait. Après tout, c’était pour rire non ? Qui aurait pu deviner qu’elle aurait tout cela à affronter ? Alors quand il la prend dans ses bras, elle en fait de même. Elle le serre fort, très fort, comme pour s’assurer qu’il est bien en vie. Pour le sentir respirer et entendre son cœur battre, pour qu’elle puisse affirmer que oui, il est là, sain et sauf. Elle s’accroche à lui car elle a enfin retrouvé son repère et plus qu’un soulagement, c’est tout un poids qui s’enlève de son cœur et de ses épaules.

Lorsque l’étreinte se finit, elle relâche son père et s’écarte mais elle garde une main sur son bras, incapable de complètement couper le contact avec lui, incapable de le lâcher une bonne fois pour toutes, comme s’il allait de nouveau disparaître si elle laissait s’échapper ce bout de manche de sa main.

« Fifille ? Dis-moi, tu... vas bien ? Tu vas vraiment bien ? »

Elle le fixe un instant, sans trop savoir quoi lui répondre. Doit-elle lui mentir, lui dire que tout va bien et que rien de ce qui est arrivé ces dernières semaines n’est réel ? Doit-elle prétendre et réaffirmer son sourire comme elle l’a fait durant tant de temps dans leur fuite ?
Elle sait que cela ne servira à rien. Elle ne sait pas mentir, encore moins sur des sujets aussi graves. Mais en même temps, elle refuse que son père ne soit au courant de tout ça. Il s’inquiéterait énormément, et à raison, elle le sait. Alors son regard fuit un instant, alors qu’elle maintient son emprise sur sa manche.

« Je… oui ? Enfin je… je ne sais pas. »
En vérité, au fond d’elle, elle le sait très bien. Mais elle refuse de l’avouer, encore plus devant Ayden. Elle ne peut mettre de mots sur son mal-être, celui-là même qui l’habite trop profondément que pour qu’elle ne réussisse à s’en débarrasser d’un coup.

« Enfin je veux dire… non mais… maintenant que tu es là, ça va mieux. »
Elle relève à nouveau le regard vers lui, le dévisageant à nouveau, toujours sous le choc de le trouver là, devant elle.

« J’ai tellement de mal à croire que tu sois là… qu’est-ce que tu fais ici ? » commence-t-elle alors, un peu difficilement, tâtonnant pour chercher ses mots « Je t’ai cherché pendant des semaines parce que… je n’ai pas eu de nouvelles alors j’ai pris peur. J’ai cru qu’il vous était arrivé quelque chose et… et je suis partie à votre recherche… et quand je suis revenue à Londres il n’y avait personne, il n’y avait rien et… et j’ai cru qu’ils vous avaient emmenés ou qu’il vous était arrivé malheur et… »

Et son cœur s’emballe et elle se stoppe tout à coup, baissant le regard vers le sol. Le nœud s’est reformé dans sa gorge et les larmes lui montent rien qu’à repenser à tous les scénarios qu’elle s’est imaginé, à tout ce qu’on a pu lui raconter. Elle vient poser sa main libre sur ses yeux, comme pour cacher toute la douleur qu’elle enfouit au fond d’elle. Parce qu’il n’a pas à voir ça. Et que, peut-être, elle n’aura pas enduré tout cela pour rien.

Et si elle avait pu hurler sa peine à pleins poumons, elle l’aurait fait. Si elle avait pu ne serait-ce qu’éclater en sanglots, vider son sac une bonne fois pour toutes, effacer tous ces mauvais souvenirs, les faire taire à jamais, les jeter aux oubliettes, elle l’aurait fait. Si elle avait pu supprimer de sa mémoire la cruauté des gens, l’atrocité de la guerre, la brutalité de la mort, elle l’aurait fait. Mais même ça, elle n’y arrive pas. Elle ne s’en sent plus capable Saphira. Elle a l’impression d’être tombée sous le joug d’une fatalité qui finira tôt ou tard par la rattraper. Elle n’a plus envie de se battre Saphira. Elle n’a plus envie de grand-chose en vérité. Le Papillon n’a jamais été aussi perdu que ce qu’il ne l’est maintenant.

Elle tente pourtant de se souvenir de tout ce qu’elle a appris durant ces derniers mois, de se rappeler du chemin parcouru. Elle tente de s’ancrer dans les paroles qu’Adelheid lui avait apprise, ces paroles-là qui avaient permis à son Innocence d’évoluer, qui lui avait permis d’évoluer et de soulever chaque obstacle sur son chemin. Elle avait essayé de se rappeler des paroles de son père, de ces mots qu’elle chérissait tant lorsque tout semblait mal, ceux auxquels elle s’était accrochée lors de sa recherche. Mais plus rien ne semblait avoir d’importance parce qu’elle avait compris une chose : s’ils le voulaient, ils la retrouveraient et la briseraient, une nouvelle fois.

« Et je resterai jusqu’à ce que tu ailles mieux. » Les paroles de son père la réancrent dans la réalité. Non, elle ne peut pas se permettre ce genre de pensées. Pas devant lui, pas après tout ça. Il ne doit pas savoir. Et pourtant, Dieu seul sait comment le Papillon meurt d’envie de simplement se jeter dans les bras de son père et d’y pleurer, de se vider de sa douleur, de mettre des mots sur ce qu’elle a subi, de lui dire que cette guerre la brise et lui fait mal, de parler de ses regrets et de tout ce qu’elle a fait de mal, de s’excuser pour tous les malheurs qui risquent de lui arriver à cause d’elle.

Mais elle ne peut pas. Elle le sait, elle en est persuadée. Alors simplement, elle commence ses explications. Sur sa recherche, son inquiétude. Mais rapidement, elle s’arrête parce qu’elle ne peut plus continuer. Continuer, ça voudrait dire lui parler de Gwenaëlle, continuer ça voudrait dire parler des combats, continuer ça voudrait dire lui parler de Central, continuer ça voudrait dire lui parler de sa trahison envers lui.

« Fifille, tu…Tu m’as cherché ? » Pour simple réponse, un lent hochement de tête. Un acquiescement, ses yeux toujours rivés sur ses pieds, incapable de relever le regard car elle sait qu’elle se mettra automatiquement à pleurer. Elle s’y refuse. Elle ne veut pas perdre le contrôle, pas encore, pas devant lui. « On a… rencontré quelques complications, oui. Mais fifille… promets moi une chose. Quoi qu’il puisse arriver, il faut d’abord que tu penses à te protéger toi, d’accord ? Ton père est le plus fort, hein ! Tu… T’en fais pas pour moi. Je suis la Fortune, rien peut m’atteindre ! Alors, fifille… » et elle sait bien que tout cela est faux, mais elle aimerait tellement y croire. Mais elle a entendu les menaces, elle a vu dans leurs yeux une détermination sans failles. Ils sont prêts à tout, ils ne reculeront devant rien et elle refuse que son père, voire même sa mère ou son frère y fassent face.

« Dis-moi, ce qu’il s’est passé pour que tu perdes ta lumière. Je te promets que cette fois, je réussirai à te protéger. Tant que tu as besoin de moi, je ne partirai pas. Je suis tellement, tellement désolé, Saphira… » Elle sent son regard qui s’abaisse et elle relève alors le sien, rempli des larmes qu’elle n’arrive plus à cacher. « Non papa, c’est moi qui suis désolée… j’ai… » et elle se recoupe à nouveau, la boule dans sa gorge se reforme. Le papillon prend une grande inspiration alors que les larmes se mettent à rouler sur ses joues et qu’elle tente de garder son calme. « Tu… tu vas avoir plein de problèmes et c’est ma faute… je n’ai pas été à la hauteur et je suis désolée, je m’en veux tellement. Je… je ne me pardonnerai jamais pour ce que j’ai fait » secouée par les sanglots, elle s’arrête encore, venant essuyer ses joues avec ses mains, tentant de retrouver un semblant de calme pour continuer ses explications.

« Ils ont tenté d’avoir des informations sur ceux avec qui je reste mais j’ai… j’ai pas voulu. Alors après ils ont… ils ont menacé maman et Colin et toi aussi et… » tout est brouillon mais tout se mélange dans son esprit alors qu’elle se perd dans ses pleurs et dans ses souvenirs douloureux qu’elle tente d’organiser comme elle le peut dans ce chaos que sont ses pensées « Des gens sont morts par ma faute et toi aussi ils vont te faire du mal… je suis désolée papa ils m’ont obligée, je voulais pas que ça se passe comme ça » elle reprend une grande inspiration au milieu de ses pleurs, alors que « ils » restent ils car la simple mention de leur nom la fait trembler de peur « Ils ont beaucoup d’informations sur toi maintenant et c’est ma faute parce que… parce que je n’ai pas été assez forte. Pardon… »

Et si elle avait pu simplement disparaître, elle l’aurait fait. La culpabilité dans son regard est lourde et si elle sait que son père ne lui en voudra pas, elle l’aime bien trop pour ne pas s’en vouloir à elle-même.

Il est déjà trop tard, les larmes ont commencé à couler, raz-de-marée que rien ni personne ne semble pouvoir arrêter. Il faut dire que cela fait longtemps qu’elle les retient. Devant les autres, elle fait semblant de rien. Même si son sourire s’est envolé, elle n’a laissé échapper ses larmes que lors de sa sortie de l’Arche, seule, avec Célania. Sans Gwen. Cela avait été la goutte de trop. Et ici, revoir son père sain et sauf devant elle, c’était la goutte de trop. Elle ne pouvait plus se retenir et faire semblant, elle ne pouvait pas le regarder dans les yeux et lui mentir, lui dire que tout allait très bien alors que tout allait si mal. Que s’il était encore plus en danger maintenant, c’était de sa faute à elle et à elle seule. Que si son amie était décédée devant elle, c’était de sa faute. Que si elle se retrouvait ici en Suisse alors qu’elle était sensée être au Danemark, c’était de sa faute. Que si son monde tombait en ruines sous ses yeux, c’était sa faute.

Sa faute. À elle et à elle-seule.

Alors tout ce qu’elle trouve à faire, c’est s’excuser sans relâche, encore et encore. Elle se hait, car si seulement elle avait été plus prudente, si elle n’avait pas tant insisté pour continuer son chemin toute seule lorsque Gwen dut escorter ce civil… alors rien de tout cela ne serait arrivé. Son père ne serait pas encore plus en danger, ils n’auraient pas dû déménager, Gwen ne serait pas morte, Lena ne la détesterait pas et ils auraient pu continuer leurs missions comme avant.
Mais revivre comme avant ? Non, c’est désormais impossible.

« Hey, hey Saphi, ce n'est pas ta faute, d'accord ? C'est pas ta faute. T'as jamais voulu cette guerre. Tu te bats pour l'arrêter, hein ? C'est pas ta faute. La seule faute, c'est celle de ceux qui t'ont fait ça. » et elle aimerait réellement y croire, profondément. Se dire qu’ils sont les seuls fautifs de leurs actions. Mais elle ne peut s’empêcher de penser le contraire. Tout aurait pu être évité si elle avait agi différemment. « Non papa je… si j’avais fait plus attention, rien de tout cela ne serait arrivé… personne n’aurait souffert. Arrêter la guerre ? Tout ce que j’ai réussi à faire, c’est envenimer les choses. Si.. si j’avais pas été là… rien de tout ça ne serait arrivé. » et ses mots sonnent comme un électrochoc dans son propre cœur, dans son propre esprit. Car elle le pense vraiment.

Et si je n’avais pas été là, le monde se serait bien mieux porté n’est-ce pas ?

Et elle continue car elle est lancée. Il faut qu’il sache. Il faut qu’il sache qu’il est en danger. Parce que ils savent. Ils s’intéressent particulièrement à eux. Particulièrement à lui.

« Saphira... "Ils" ? » et elle ferme les yeux et prend une grande inspiration car dire ce nom lui tranche la gorge, lui coupe le souffle et lui remémore de douloureux souvenirs. « C’est… c’est Central papa » et ça la tue de le lui dire, de le lui avouer, elle le prononce à demi-mot dans une expiration, comme un mot interdit que l’on se refuse de dire depuis longtemps « Ils ont réussi à… m’avoir. J’avais été repérée par deux Noés, je me suis battue et ils ont fini par fuir mais » et une nouvelle inspiration car elle doit rendre compte de sa faiblesse, de son imprudence, de sa défaite, de ce cauchemar « j’étais bien trop blessée que pour continuer à voyager et le combat avait fait trop de grabuges que pour être ignoré. Alors ils… » et elle se coupe brutalement, se refusant d’aller plus loin dans son récit « enfin tu.. tu connais la suite quoi. » et ce morceau de récit était sorti plus facilement que le reste, elle l’avait enchaîné presque sans balbutier, sans bégaiement, avec un détachement certain face à la dure réalité qu’elle avait enduré.

Mais une fois tout cela terminé, les larmes remontent et le Papillon se remet à pleurer, l’impression de tout revivre, éprouvant des sentiments mille fois plus forts qu’à l’accoutumée. Plus rien ne tourne rond et elle a l’impression d’étouffer et de perdre pied.

« Hey, hey, fifille. » et son père qui la rappelle à la réalité alors qu’elle relève ses yeux bordés de larmes vers lui, son attention captée « Tu n'y es pour rien. Tu as été forte, je le sais. Rien que pour être revenue, pour avoir été jusqu'ici, tu es incroyablement forte. Beaucoup n'auraient pas fait le quart de ce que tu as fait, tu sais ? Tu es une Hyde ! Tu es la plus forte, je le sais. Et même si parfois, on réussit pas toujours à être fort... Tu as toujours été la plus courageuse, fifille. Sinon, tu ne te tiendrais pas debout ici. Et ça, c’est bien plus important que tout le reste. » elle l’écoute attentivement sans rien dire, alors que ses larmes continuent de couler, sans détourner une seule fois le regard « Ils ont des infos sur moi, mais c'est pas grave, tu sais. J'ai toujours été l'ennemi de tout le monde, c'est pas ça qui va m'arrêter ! J'ai toujours réussi à nous cacher, moi, ta maman et Colin. Et ça changera pas, crois moi. J'ai toujours eu conscience que j'avais deux des plus meurtrières organisations au cul. Mais ton papa est plus fort que ça ! » elle hoche la tête, acquiesçant à ce qu’il lui dit dans un demi-sourire.

« J’aimerais tellement être aussi forte que toi papa. » avoue-t-elle alors « Tu parles toujours avec tellement de confiance, t’as jamais perdu ton sourire alors que tu as toutes les raisons pour pleurer… je ne t’ai jamais vu verser une seule larme. T’es… t’as jamais baissé les bras devant n’importe quoi ou n’importe qui. Je t’admire tellement et je… je sais que t’es fort mais… je peux pas m’empêcher de m’inquiéter pour toi justement pour ça. » parce qu’il fait partie des personnes les plus chères à son cœur et le savoir autant en danger la terrifie.

« Tu as bien fait de leur dire. Si je me bats, c'est pour vous, fifille. S'ils t'avaient... J'aurais pas pu continuer de me battre. Ça aurait été fini. Alors... Je suis rassuré que tu ailles... que tu sois là. » et elle lui sourit, presque émue finalement de le voir ici et de pouvoir avoir cette discussion avec lui alors qu’elle était persuadée que cela n’aurait jamais pu se produire « Je suis rassurée de te voir ici aussi… j’ai cru qu’ils avaient réussi à t’avoir et que je ne te reverrais plus… maman, Colin et toi vous êtes tout ce qu’il me reste… je ne supporterais pas de perdre l’un de vous. Je n’arriverais pas à encaisser le fait de perdre quelqu’un. Pas une nouvelle fois… »

Les choses étaient faites, les choses étaient dites. Un million de fois la même erreur. Un million d’erreurs à la fois.
Et si elle pouvait toutes les effacer, elle le ferait sans hésiter. Ses propres actes ont engendré des morts, tellement de morts, une catastrophe sans nom qu’elle est persuadée qu’elle ne pourra jamais se pardonner. Pourquoi est-elle encore là alors qu’eux non ? C’est elle la source de tous ces problèmes non ? Alors pourquoi eux et pas elle ?

Mais ça y est, le Papillon a enfin posé des mots sur ses maux. Et qu’est-ce que ça fait du bien. Un mois qu’elle se retient d’expliquer, bien trop consciente du mal que cela engendrerait envers ses camarades. Un mois à porter la culpabilité sans ne rien dire. Ils avaient déjà trop de problèmes, elle n’allait pas leur en rajouter un nouveau. Mais son père ?

Son père, c’est différent. Il a été celui qui a remué ciel et terre pour elle, celui pour qui elle a promis de se battre, celui pour qui elle a tout abandonné, celui qui l’a toujours encouragée et soutenue. Celui pour qui elle a engendré tout ça. Alors malgré la douleur que cela lui faisait, il méritait de savoir.

Et ce soutien qu’il lui apportait, cette écoute, tout ça lui avait fait le plus grand bien. Elle se sentait un peu mieux, un peu plus légère.

« Je te le promets, Saphi. Ils te feront plus rien. J’m’en assurerai personnellement. » et ses grands yeux plein de larmes qui se lèvent vers lui, offrant un léger sourire. Elle aimerait y croire. Réellement. Y croire de tout son cœur. Mais elle a conscience qu’il ne pourra pas. Ou en tout cas, s’il se lance dans une telle entreprise, il y laissera la vie.

La guerre a brisé quelque chose en elle, quelque chose sur lequel Saphira, n’a jamais réussi à mettre le doigt. Mais maintenant, elle comprend. Elle ne pourra jamais plus croire. Et au fond, cela la blesse encore un peu plus.

Alors à défaut d’être naïve et d’avancer avec des œillères comme avant, elle aimerait être forte. Affronter toutes les épreuves sans jamais reculer, sans jamais tomber, sans jamais vasciller. Toujours avec cet esprit positif et fonceur. Elle s’autorise à rêver que, peut-être un jour, elle deviendra assez fort pour tout affronter sans aucune peur. Mais ce qui la touche plus que tout, ce sont les mots que son père prononce.

« C’est grâce à toi, tu sais ? Grâce à toi, Maman et Colin. C’est grâce à vous, que je vais de l’avant. C’est vous, que j’ai décidé de protéger, en quittant ces cons de Noés. Alors culpabilise pas, fifille. T’as rien envenimé, grâce à toi, j’ai plutôt envie d’améliorer les choses. Sois fière de toi, Saphi. Tu rends le monde meilleur. » et véritablement, elle est bouche-bée. Elle qui pensait être la source du malheur de tout le monde, elle qui est persuadée de tout faire de travers constamment. Ces mots-là, elle ne risque pas de les oublier. « Papa je… merci papa. Ce que tu as dit… ça vaut bien plus que ce que tu ne crois. » et elle sourit encore légèrement, prise de court, effaçant ses larmes à l’aide de ses mains.

C’est vrai. Tant qu’elle a sa famille, tant qu’ils sont là, quelque part, elle ne s’arrêtera jamais de se battre. Et c’est ce que son père lui assure, avant de brusquement s’arrêter. Elle le fixe, les sourcils froncés, comprenant directement que quelque chose ne va pas. Ce regard. Ce ton. Elle les a entendus trop de fois.

« …Saphi. Ecoute-moi. Attentivement. Il faut que tu rejoignes ton groupe. Tout de suite. Ils sont pas loin ? Si on s’est retrouvés ici ? Dis-moi au moins que t’es pas seule. Que tu peux les retrouver. » et elle cligne plusieurs fois des yeux, observant la réaction de son père en cherchant une réponse quelque part dans son regard à lui « Je… oui mais papa je peux pas te laisser je… qu’est-ce qu’il se passe ? » et la panique commence à monter alors qu’il la prend par les épaules « Tu l’as dit, hein ? Papou est hyper fort ! Alors aie confiance en moi et en ce que je te dis. Retrouve tes amis. Saphira, surtout, reste avec eux, reste entourée. Dans une guerre comme ça, il faut surtout pas rester seule. Rappelle-toi que ton père t’aime et t’aimera toujours. »

Une embrassade sur le front et le voilà qui s’en va.

« Non… non papa attends ! » mais le voilà déjà parti. La respiration rapide, Saphira reste quelques secondes ainsi, ne sachant pas quoi faire. Il faut que tu les retrouves. Elle tourne alors le dos à la direction que son père a pris, s’apprêtant à courir à l’opposé avant de se raviser.

Combien de temps continueras-tu à courir Saphira ?
Combien de fois fuiras-tu encore ?
Tu as fui en Russie, en Allemagne, en mer, à Edimbourgh, à Londres, au Danemark, en France, dans l’Arche.

Toutes ces fois où elle aurait pu avoir un impact. Où elle a juste fui. Elle ne s’est pas engagée chez les pacificateurs pour tourner le dos à la Guerre. Elle est là pour l’arrêter.

Alors elle se concentre, elle souffle un coup. « Brave, activation. » Alors que ses cheveux s’illuminent, elle s’accroupit et murmure « scaregrowhair ». Ses cheveux se mettent à pousser avant de se détacher, les dix petites mèches s’attardant auprès de la Compatible « Retrouvez mon père. Lorsque vous visualiserez son ennemi, attachez-vous à lui. Vous vous activerez dès que vous serez en place » un signe de tête et les mèches partent alors que le papillon s’élance à l’aide de son Innocence vers les toits, tentant d’être la plus discrète possible, essayant de repérer son père du regard.

Elle va tenter de l’aider à créer une ouverture pour fuir. Parce qu’il y a trop de fois où il a frôlé la mort alors qu’elle aurait pu l’aider. Aujourd’hui, elle prend la décision d’empêcher le conflit et de ne pas fuir, encore.