Ici, les gens parlent une autre langue. Elle ressemble un peu à la nôtre, avec des mots qui viennent du fond de la gorge, beaucoup de "g", des sons par morceaux. Tu en as entendu des chantantes, où tous les sons sont liés ! Des qu'on parle très fort mais comme si on avait la bouche pleine ! Des où on ne l'ouvre presque pas, chez des gens qui boivent beaucoup de thé ! Des qu'on parle en faisant des signes avec les mains, et en faisant longtemps les sons ! Tu ne sais pas les parler mais tu imites les gens, c'est amusant de pincer les doigts et de faire des mouvements de bras. Ici, ça ressemble, mais tu ne comprends quand même pas ce que les gens disent. Ce n'est pas très grave ! Abi s'en occupe, et toi, tu ne parles quand même presque jamais. Et tu ne comprends pas toujours ce que les gens disent même dans notre langue.
Vous avez été dans un bâtiment, puis dans une chambre. Abi semble pressé, il a un travail urgent à faire, dit-il. Alors, il a demandé à une madame dans le bâtiment quelque chose, et il t'a dit de lui faire confiance. Il sait que c'est un peu inutile : même quand il ne le veut pas, tu fais confiance, petit ange.
La dame t'a emmené dans une autre pièce, avec un bain. Elle te déshabille, te mets dans l'eau et te frotte partout. Tu ris sous les chatouilles, mais tu te laisses faire sans crainte. L'eau est chaude, tu aimes bien te laver ! Papa dit que c'est important pour rester en bonne santé et éviter les ép… épid… les maladies que tout le monde attrape, alors tu lui demandais tous les soirs. Si vous tombez tous les deux malades, qui s'occupera de l'autre ? Moi-même me laisse tremper dans l'eau, sous le regard réprobateur de la dame qui n'ose pourtant pas m'en retirer. Puis vient le moment encore plus amusant : tu bouches ton nez, et te laisse aller au fond du bain. Papa dit que sinon, des petites bêtes restent sur nous, et elles sont dangereuses.
Tu aimerais bien rester plus longtemps sous l'eau. Il fait calme, tu te sens légère, tu entends ton cœur battre. Toudoum. Toudoum. Il n'y a plus que toi. Ça t'angoisse un peu mais, en même temps, ça te fait du bien. Mais… la dame te fait ressortir. Elle n'a pas le temps de jouer, dit-elle. Sale mégère, pensé-je, mais tu hoches la tête : Papa dit qu'il y a un temps pour jouer, et un temps pour être sérieuse.
Finalement, tu sors de l'eau, et tu grelottes. La dame te couvre de quelque chose de chaud, et te frotte. Elle te dit de ne pas sortir, qu'elle revient avec des vêtements, et tu hoches la tête. Mais tu penses qu'elle veut dire aller dehors-dehors et que tu peux sortir de la pièce, alors tu vas vers la chambre pour retrouver Abi. Mais… il n'y est pas. Alors, tu vas un peu plus loin, dans la salle où vous êtes entré au début. Mais il n'y est pas. Alors, tu mets un pied dehors et jette un œil à droite, à gauche. Mais il n'y est pas. Alors, tu sors, tu as oublié ta promesse à la dame, et tu vas dans les ruelles. Tu serres fort le tissu chaud contre toi, car même s'il ne neige pas, il fait froid. Tu aimes bien le froid, mais là, c'est un peu trop.
Tu ne remarques pas les yeux ronds des gens qui te regardent. Drôle de spectacle ! Une grande aux cheveux blancs, avec juste un tissu autour d'elle, qui court comme une enfant en jetant des coups d'yeux partout. Tu regardes juste les vestes, car tu as retenu celle d'Abi, et Papa t'a dit que c'était méchant de désiv… de regarder les visages des inconnus. Une ruelle. Deux ruelles. Trois ruelles. Je compte pour toi, tu n'y penses même pas, inquiète et concentrée. Tellement que tu cours sans regarder devant toi, et… badaboum.
Tu tombes, et ta serviette aussi. Au moins, elle amortit un peu ta chute, mais tu couines quand même quand tes fesses cognent le sol. Je lève mon regard vers l'agresseur, feule, me tient prêt à bondir dessus et défendre ma sélénite. Tu lèves le tiens aussi, curieuse. Mais pas de grand monsieur au visage sévère, pas de madame outrée : c'est une enfant qui te fait face. J'espère pour elle qu'elle n'essayera pas de t'embêter…
Halloween