Et puis, Londres était une inépuisable source d’akumas et de brookers en tout genre, et la proximité de la congrégation de l’Ombre n’y était certainement pas étranger. La présence d’exorcistes dans la ville ne restait jamais secrète bien longtemps, et les Innocences — brutes ou nouvellement synchronisées — ne passaient jamais inaperçu. Il était facile de savoir combien de traqueurs logeaient dans la ville, à quelle enseigne et depuis combien de temps. Le Comte n’y accordait pas tellement d’importance — il avait la main mise sur les lieux, et se fichait bien des quelques humains et autres partisans venus s’y perdre. Tant qu’ils étaient occupés ici, tant qu’il y avait suffisamment d’akumas à détruire, tant que l’Ordre Noir avait le visage tourné vers ce qu’il se tramait dans les rues malfamées de l’East End et les quartiers chics du West End ; le clan des apôtres pouvait se concentrer sur la chasse au Cœur de l’Innocence.
Le Cœur de l’Innocence — c’est précisément ce qui avait attiré Amorem ici, aujourd’hui.
Enfin, pour être plus exact : c’était la présence d’une Innocence que l’Amour connaissait, d’une certaine façon. Elle ne savait pas à qui elle appartenait, si dans quelles circonstances elle avait déjà ressenti sa morsure ; mais elle ne lui était pas étrangère. C’était autant pour se débarrasser de la désagréable sensation du cristal maudit que pour détruire ce qui était potentiellement le Cœur qu’elle se trouvait là, à marcher prudemment dans les environs de la ville, à l’abri des regards curieux et des langues indiscrètes. C’était aussi pour chasser l’ennui, elle devait bien se l’avouer : si elle se permettait de prendre le contrôle de Bonnie aussi souvent qu’elle le désirait — cette dernière étant désormais prisonnière à l’intérieur de son propre esprit suite au pacte qu’elles avaient passé — elle ne pouvait pas encore pleinement effacer la présence de l’irlandaise. Cela signifiait aussi qu’elle ne pouvait pas faire ce qu’elle voulait du corps et des paroles de l’amoureuse, au risque de briser les liens que l’humaine avait tissé avec ses semblables.
Le regard de l’apôtre s’assombrit — l’Innocence était là.
Amorem eut un mouvement d’hésitation lorsqu’elle aperçut la compatible — il s’agissait d’une gamine, probablement du même âge que Bonnie. Et quand bien même son devoir lui commandait de ne pas se laisser attendrir, (quand bien même elle n’avait nullement l’intention de s’attendrir) elle ne put s’empêcher de considérer un bref instant la possibilité de faire demi-tour et de disparaître avant d’être repérée.
Un instant seulement.
« Si tu me remets ton Innocence, » dit-elle doucement, d’une voix froide et monotone, « nous ne serons pas obligées de nous battre. »
Déjà, la blancheur de sa peau laissait place à la couleur des cendres, alors que son regard azuré prenait celle de l’or fondu.