Pas un bruit ne se fait entendre, sous ses petites pattes noires comme la nuit. Klok sait que la Forêt du Ciel Vert aime sa tranquilité et son silence. Klok sait que la Forêt du Ciel Vert n’aime pas être surprise. Ceux qui la peuple non plus. Alors Klok fait attention. Elle fait attention à ne pas marcher sur ce qui parcours le sol froid et humide, parce qu’il sait que tout ce qui s’y trouve n’est pas là sans raison et que tout ce qui s’y trouve est souvent vexé qu’on puisse lui marcher dessus sans lui adresser une excuse. Et Klok, ça la rend toujours un peu triste de savoir ça, alors Klok fait toujours très attention lorsqu’il marche. Mais Klok ne fait pas de bruit, parce qu’en réalité, Klok ne marche pas vraiment, avec ses pieds qui n’existent pas et qui lui manquent malgré tout.
Et Klok continue d’attendre, curieuse, de savoir si le Loutron des Blés entend et écoute assez bien. Parce que Klok pense que le Loutron des Blés s’est perdu, là, dans une forêt et dans un chemin trop grand pour lui, et qu’il n’entend et n’écoute pas assez bien pour s’en sortir seul. Beaucoup ici voudrait aider le Loutron des Blés. Mais le Loutron des Blés n’écoute pas.
« J’ai oublié comment faire... il y a bien longtemps. » Et Klok hoche sa grande tête de renard parce qu’il sait que ça, c’est vrai. Les humains n’écoutent plus depuis bien longtemps. « Mais... je crois que je commence à me souvenir, maintenant. » Et Klok secoue sa grande tête de renard parce qu’il sait que ça, ce n’est pas vrai. Le Loutron des Blés ne peut pas se souvenir, parce qu’il n’a jamais écouté et ça, ça rend Klok un peu triste. Mais Klok est un peu contente aussi. Parce que Klok sait que le Loutron des Blés veut bien essayer d’écouter et qu’il s’intéresse. Il sait que le Loutron des Blés dit vrai et qu’il essaie vraiment. D’ordinaire, les humains ne se préoccupent pas d’écouter, ils n’écoutent qu’eux, à peine les autres eux. Mais le Loutron des Blés, lui, veut savoir, même s’il ne peut pas se souvenir. Car s’il se souvenait, il entendrait. Il entendrait le Vent du Haut qui annonce un nouveau Coton de Larmes, il entendrait les deux yeux lointains qui se rapprochent, il entendrait la boule d’épines qui se propose de le reconduire vers la fin de la Forêt du Ciel Vert, il entendrait que Klok sait qu’il n’entend pas.
« Dis, tu voudrais bien me montrer comment bien écouter ? Je pense que j’ai besoin d’un peu d’aide pour me rappeler. Et puis, la Rivière doit être fâchée après moi pour l’avoir ignorée pendant si longtemps. Peut-être qu’elle ne voudra plus me parler... mais je suis sûre que si tu lui expliques, elle comprendra. Les humains font parfois bien mal les choses... » « Tu as déjà parlé à la Rivière Sifflante ? » demande Klok en regardant le Loutron des Blés s'asseoir. Klok ne savait pas que Beau Nid avait déjà parlé à la Rivière Sifflante, surtout que la Rivière ne lui a jamais dit qu’elle avait déjà parlé avec un humain. La Rivière Sifflante ne dit pas tout, Klok commence à le comprendre alors Klok pense qu’elle ne pourra pas être fâchée, parce qu’elle cache trop de secrets. « Elle n’est pas fâchée, elle sait que les humains ne l’écoute pas. Comme tout ce qui se trouve ici. Comme moi. » Klok est toujours aussi curieux mais maintenant, Klok est aussi étonnée. Parce qu’avant le Loutron des Blés, aucun humain ne lui avait jamais dit avoir parlé à la Rivière Sifflante. Et aucun humain ne lui avait dit vouloir parler à la Rivière Sifflante. Ou peut-être que Klok ne s’en souvient pas, après tout. Mais ce n’est pas très grave en fait, parce que ça, Klok s’en souvient. Klok se souvient que ça a toujours été comme ça. Klok se souvient qu’elle est seul, seule avec sa mémoire creuse comme les maison des Grandes Oreilles.
Alors Klok fait un pas de plus vers le Loutron des Blés, qui maintenant, à l’air de vouloir rester ici -qui n’écoute plus la personne importante qui ne l’attend pas assez fort pour qu’elle t’entende assez bien- pour lui dire des mots qui n’ont pas de vrai sens. Klok regarde le Loutron des Blés qui s’est installé à côté d’une maison qu’elle aurait dû éviter et se dit que vraiment, le Loutron des Blés n’entend pas. Mais Klok oublie de prévenir le Loutron des Blés qu’il devrait s’installer ailleurs parce qu’autre chose traverse déjà son esprit creux. Klok est -trop- curieux mais aussi -trop- rapide. Et voilà que Klok est déjà à côté du tissu que les humains appellent un sac et qu’elle l’ouvre sans retenue, examinant tout ce qui pourrait se trouver à l’intérieur, trouvant deux bouts de tissus qu’il aime bien et qu’il sort du sac.
« Tu sais, moi je pense que rien n’arrive par hasard. Peut-être que je suis venue ici parce que tu m’attendais ? » Klok regarde le Loutron des Blés, jolies tissus tressés dans ses pattes, écoutant pourtant le sac, qui semble outré que la créature qu’elle est ait osé poser ses pattes sur lui, et Klok trouve que le Loutron des Blés est de plus en plus étrange. Parce que Klok sait qu’elle ne l’attendait pas. Parce qu’il ne le connaît pas. Parce qu’elle écoutait déjà une histoire et qu’il était occupé lorsque le Loutron des Blés est arrivé. Alors Klok sait qu’il n’attendait pas.
Mais voilà, le sac lui dit qu’il ment. Elle ment lui aussi, parce qu’en fin de compte, Klok est seule. Et comme elle est seul, il attend toujours quelque chose ou quelqu’un. Et que pour ça, il est encore plus bizarre que Bonnie. Alors Klok regarde le sac et est vexée. Vexé qu’il lui parle si mal et si rudement car d’ordinaire, on ne lui parle jamais comme ça. Alors Klok attrape le sac et le lance loin et c’est une branche -qui elle est gentille- qui l’attrape pour le mettre hors de portée de Klok. Klok ne garde que le joli tissu tressé, parce que lui, même s’il est intimidé, il ne lui parle pas mal.
« Il est méchant, tu sais ? » explique Klok au Loutron des Blés. « Mais elles, elles sont gentilles. Dis, tu crois vraiment que je t’attendais ? » « Parfois, on attend beaucoup de choses à la fois, alors on n’a pas le temps de penser à chacune d’elles. Mais ce quelque chose vient quand même, parce que les étoiles sont là pour y penser et veiller à ce que les choses qui doivent se rencontrer se rencontrent. C’est pour ça qu’elles sont si nombreuses ! Et quand deux choses vouées à se rencontrer se rencontrent enfin, alors l’étoile file dans le ciel. » Et cette fois, Klok n’écoute plus les tissus tressés. Klok écoute l’histoire du Loutron des Blés. L’histoire incroyable qui parle des Lumières de Nuit et qui captive toute son attention. Parce que jamais, les Lumières de Nuit ne lui ont dit qu’elles servaient à faire rencontrer les gens. Jamais elles ne lui ont dit qu’elles veillaient sur eux. Klok pensait juste qu’elles étaient jalouses de son Amoureuse qui est beaucoup plus belle qu’elles. Alors Klok redresse la tête vers le Bleu. Klok pensait tout savoir. Mais Klok devra parler avec les Lumières de Nuit quand elles viendront. Pour voir si le Loutron des Blés dit vrai.
« Elles ne m’ont jamais dit qu’elles faisaient rencontrer les gens, » dit Klok, pensive. « Comment tu le sais ? » Mais le Loutron des Blés parle beaucoup lui aussi, surtout pour un humain. Et au fond, Klok commence à penser qu’il n’en est pas vraiment un. Surtout que le Loutron des Blés continue de lui parler de choses que Klok ne connaît pas mais qu’elle trouve intéressantes et surtout, que Klok veut voir, veut savoir et veut entendre. Alors Klok s’approche toujours plus du Loutron des Blés et maintenant, elle est à côté de lui. Et le Loutron lui parle de Château de Lumière et d’humaine amoureuse d’une fleur. Klok trouve que c’est une idée un peu saugrenue d’être amoureuse d’une fleur parce que les fleurs sont belles, mais les fleurs ne durent pas pour toujours et surtout, les fleurs se cachent, beaucoup.
« Pourquoi l’humaine est amoureuse d’une fleur ? » demande Klok pour comprendre. « Les fleurs ne restent pas assez longtemps pour les aimer et quand elles partent, elles sont toujours tristes et abîmées... » Klok regarde un instant les tissus qu’il tient toujours dans ses pattes noires et se dit qu’ils lui iraient bien, lui qui a pour seul tissu ce que la Nommeuse lui a gentiment offert. Alors doucement, pour ne pas faire mal aux tissus tressés, Klok passe ses pattes dedans et elle trouve ça tout doux et tout chaud. Et Klok sourit au Loutron des Blés, avec ses canines toujours aussi blanches.
« Je veux que tu me montres le Château de Lumière, » dit enfin Klok. « Que tu me racontes l’histoire de l’humaine qui aime la fleur. En échange, je t’apprendrai à écouter. Parce que tu sais, l’arbre là, il te rendra le méchant sac que si tu lui demande. »
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