but all you do is look the other way
bonnie & wilma
Tu joues la carte de l’honnêteté, pour une fois. C’est surprenant, mais la situation est tout aussi atypique que ton comportement présent. Là, face à toi, il n’y a que le canvas qui ne demande qu’à être peint ; vérité ou mensonge, mensonge ou vérité. Tu ne sais pas si Amorem te permettra de dessiner les traits vicieux et traitres que tu imagines déjà, tu ne sais pas si l’Amour se montrera clémente envers son frère Discorde et son hôte. Il y a trop d’inconnus dans cette situation, trop de tu-ne-sais-pas pour te permettre de faire comme tu le souhaites. À être trop désinvolte, tu as appris que tu ne peux que, sur le long terme, t’en mordre les doigts. Et si Chaos n’a jamais rien eu contre Amorem, tu ne peux être sûre si le sentiment est réciproque. Peut-être qu’Amorem n’en peux plus des excentricités de son frère, peut-être que le voir en ce jour n’évoque en elle qu’un vague désintérêt, qu’un dédain somme toute froid. Ou peut-être que c’est tout l’inverse. Toujours est-il que tu ne sais pas. Tu ne sais pas et l’idée de te faire casser les dents par ta sœur au moindre faux pas ne t’est guère attrayante. Alors, pour une fois dans ta vie, tu te montres presque douce. Pas de moqueries, pas de piques. Juste toi, presque à nue. Tu lui proposes de t’accompagner boire un petit quelque chose, peut-être grignoter un petit bout. Tu ne sais pas trop encore si tu auras suffisamment faim pour une petite collation ou non. Cela importe peu, dans le fond. Sans un sourire, sans la moindre trace de chaleur dans ta voix, tu lui proposes de passer un peu plus de temps en ta compagnie. Peut-être que Bonnie refusera, sentira ta nature un peu perfide. Peut-être qu’elle déclinera avec cette grace qui lui est propre. Peut-être, peut-être.
(Tu es si vile que tu abuses de sa naïveté sans le moindre scrupule.)
(Tu espères qu’Amorem – la menteuse – ne la mettra pas en garde contre la personne manipulatrice et froide que tu es.)
(Tu ne sais pas sur quel pied danser, face à l’Amour.)
Et là, Bonnie semble surprise par cette main que tu lui tends. Tu n’as rien fait pour montrer l’affection que tu peux lui porter, tu n’es toi-même pas certaine de ressentir le moindre sentiment chaleureux à son égard. Tu es accoutumée à cette vague indifférence que tu adresses à tous tes frères et sœurs, à l’exception d’Ayden. Mais Ayden est une toute autre histoire à lui tout seul. « C’est gentil … » laisse-t-elle tomber platement. L’Irlandaise ne sait pas comment réagir et toi non plus. Non, ce n’est pas gentil. Tu n’es pas gentille. Tu es intéressée, mais certainement pas gentille. Malgré tout, tu lui adresses un sourire. Un sourire crispé, un sourire gêné qui crie ton désarroi, ton incertitude, tu en es sûre. « Si tu as du temps devant, ce serait, mh, avec plaisir... je suis curieuse de ce que tu sais sur moi, ou... d’autres de nos frères et sœurs, par exemple... mh, je ne suis toujours pas rentrée à l’Arche, alors... enfin, tu es la première que je retrouve. Memora est heureuse. Chaos lui avait manqué. » Tu hausses un sourcil interloqué. Memora est ainsi donc heureuse de te voir, uh. Eh bien, en voilà une bonne nouvelle. Son bonheur découlera alors peut-être sur un peu plus de tolérance à ton égard. Ton sourire se fait sensiblement plus carnassier. Chaos, néanmoins, t’intime à la retenue. Amorem – la menteuse – reste sa sœur, quoiqu’il arrive. Et il n’acceptera pas que tu t’attires les foudres de celle-ci. Tu te renfrognes un peu, incapable de garder ton dialogue silencieux pour toi-même et ton Souvenir. « Enfin, mh... je te suis, alors. » Tu hoches la tête. Puis d’un mouvement de main, tu l’invites à te suivre. Tant pis pour ton plan d’aller visiter la tombe de ton père. Tu feras ça un autre jour.
(Tu n’avais, de toute façon, pas spécialement envie de le faire aujourd’hui. Ou même un autre jour.)
(Tu n’as pas besoin de ces trop nombreux rappels que ton père n’est plus. Tu le sais.)
(Pourtant, tu te sens obligée d’y aller, de le voir par toi-même. C’est l’odeur des regrets qui t’écoeurent à ce point.)
Sans vraiment y faire attention, tu piétines le bouquet que tu tenais précédemment en main. Les pétales ne font pas le poids face à tes semelles en cuir, ils se détachent des fleurs sans un bruit. Sans un bruit, tu laisses derrière toi tous tes plans pour la journée, tout ce que tu avais pu désirer faire. Tu piétines les fleurs comme tu piétines ton passé, tout ce qui te contrarie, tes plans du futur. Tu piétines, tu piétines, tu piétines. De ton pas lourd – presque rageur, un brin trop déterminé – tu amènes Bonnie à ce petit café que tu as pour habitude de fréquenter lorsque tu te rends en ville. Tu ouvres la porte un peu trop brusquement, la faisant grincer désagréablement. Dans un élan de politesse qui ne t’est pas caractéristique, tu tiens la porte ouverte pour que Bonnie passe avant toi. Une fois que la blonde est entrée dans l’établissement, tu la suis et la pousse doucement d’une main au milieu de son dos, la dirigeant rapidement vers une petite table libre. Tu t’asseois rapidement à celle-ci, ne prenant pas la peine d’ouvrir l’un des deux menus posés sur la table. « Commande ce qui te fera plaisir, commences-tu sans la regarder, laissant ton regard divaguer ici et là. Ne t’inquiète pas du prix ou quoique ce soit. » Et ton coeur se serre dans ta poitrine, alors que tu penses que, peut-être, tu aurais dû choisir un autre café que celui-ci. Il en existe d’autre, des cafés. Mais celui-ci a toujours été ton favori. Et avant Bonnie, attablée avec toi, il y a eu Gwen. Gwen à qui tu ne peux penser sans que ta gorge ne se noue. Tu t’éclaircis la gorge distraitement, faisant mine de rien. Tu aurais dû choisir un autre café. Mais il est trop tard pour faire demi-tour et tu dois te concentrer sur Bonnie. Pas Gwen, Bonnie. « Est-ce que tu as des questions en particulier ? » lui demandes-tu maladroitement, ne sachant trop comment entamer une telle discussion.