Cependant, si Bonnie était ici aujourd'hui, ce n'était pas pour admirer le décor. Après de nombreuses semaines d'hésitation, elle était finalement parvenu à prendre sa décision : elle allait retrouver ses parents et tout leur avouer. Seulement, les choses ne pouvaient pas être aussi simples, et elle se devait d'avoir plusieurs coups d'avance si elle voulait échapper au Comte Millénaire et à ses sbires. C'est pourquoi elle avait décidé, après de longues nuits d'insomnies à étudier ses possibilités sous tous les angles que sa tête était capable d'envisager, de déserter son clan. Pour cela, il ne lui fallait pas seulement se cacher, il fallait qu'elle disparaisse complètement, qu'elle efface son existence, et celle de ses parents s'ils acceptaient de la suivre — ce dont elle ne doutait pas un seul instant. Se créer une nouvelle identité, dans une nouvelle ville, dans un nouveau pays... C'était aussi effrayant à imaginer qu'à réaliser, mais la bergère savait que c'était une étape essentielle, si douloureuse qu'elle était. Dire adieu aux terres de son enfance était comme faire le deuil d'une partie de sa vie ; mais elle s'était résolue à le faire. Si elle n'était pas prête à tourner la page de son enfance, comment pourrait-elle abandonner tout ce qui la faisait elle, et changer d'identité ? C'était difficile, mais elle ne s'était pas attendu à ce qu'il en soit autrement.
Elle n'avait pas le choix, de toute façon. Elle ne pouvait plus faire marche arrière, plus maintenant. Pas après tout ce qu'elle avait vécu ces dernières semaines, les rencontres qu'elle avait faite, et les terribles vérités auxquelles elle avait été confrontées. Elle ne pouvait plus fermer les yeux, et s'était aventuré beaucoup trop loin en terrain ennemi... au point de s'y faire des alliés. Peut-être même des amis ; elle ne savait pas trop bien. Est-ce que ça avait seulement de l'importance, à présent ? Bonnie allait disparaître, et avec elle, tous les liens qu'elle avait tissé au cours de cette Guerre pour laquelle elle ne voulait plus faire couler le sang.
Pour cela, elle devait se rapprocher du clan des bookmen. Ses membres étaient les seuls vers qui elle pouvait se tourner sans qu'ils ne la trahissent ou ne prennent parti pour un camp ou pour l'autre. Ils ne devaient pas interférer avec l'Histoire, et cette simple règle lui garantissait une certaine forme de sécurité : peu importe ce qu'elle pouvait leur révéler, ils ne l'utiliseraient pas contre elle. L'autre raison qui l'avait poussée à vouloir rencontrer l'un des héritiers était leur capacité à se retirer de l'Histoire en un battement de cil, sans ne laisser aucune trace derrière eux. Se fabriquer une nouvelle identité et détruire l'ancienne, c'était précisément ce dont avait besoin la blonde. Précisément ce qu'elle était venue chercher aujourd'hui, dans ce petit village côtier ; qui abritait selon certain échos une jeune femme se faisant appeler « Miss Bookman ». D'après ses recherches, elle était infirmière dans le dispensaire du village, et c'est donc ici que la bergère se rendait, la démarche sûre.
Arrivée à l'intérieur du petit bâtiment, elle se dirigea vers ce qui semblait être l'accueil, et s'adressa à l'unique personne sur les lieux qui ne semblait pas malade.
« Bonjour, navrée de vous déranger.. je voudrais un renseignement, s'il vous plait.Quelques minutes plus tard, et Bonnie se retrouvait devant la maison supposée de la dite Mam'zelle livre. Un surnom qui collait bien à son statut, et qui lui confirmait qu'elle ne s'était pas trompée en suivant les rumeurs. Plantée devant la porte de la maisonnée, elle inspira et expira longuement pendant de longues secondes ; comme pour se donner la force de sauter le pas.
— La salle d'attente est de l'autre côté. Vous suivez c'couloir là et vous y êtes. Par contre faut pas être pressé aujourd'hui, y'a du monde.
— Oh, euh.. merci, mais je ne viens pas pour me faire soigner. A vrai dire.. je cherche quelqu'un qui travaille ici.
— On a pas mal d'absents aujourd'hui. Vous avez un nom à m'donner ?
— Justement, non.. mais je sais qu'elle se fait appeler « Miss Bookman ». Ça vous dit quelque chose ?
— Mam'zelle livre vous voulez dire ! Mauvaise pioche, elle est pas là aujourd'hui.
— Savez-vous où je pourrais la trouver ?
— Oh oui, elle habite pas loin. 'ttendez, j'vous montre. »
Et enfin, elle frappa à la porte.