Le choix juste.
Autant dire que l'angoisse ne quittait pas mes tripes, alors que je peinais encore à ne pas m'évanouir. Elle ne m'avait pas tué ? La belle affaire. Ce serait bête de tuer un soldat destiné à rejoindre leurs rangs, hein ? La colère mêlée au stress d'avoir frôlé la mort me poussait à cette interprétation haineuse, renforçant ma détermination. Je devais mener ce foutu plan à bien, et vite, ou j'allais y passer – et tous ceux impliqués ensuite ; d'ailleurs, seule l'adrénaline m'empêchait de m'écrouler à l'instant. Sauf que tout ce que j'étais capable de sortir, c'était une attaque maladroite, à peine capable de lui faire garder ses distances…
Mais la tâche floue – ma cible – ne semblait pourtant pas vouloir esquiver. Merde ! Allait-elle par un pouvoir inconnu me retourner mon attaque ? Devenir immatérielle une fois de plus ? Et pourtant… les flammes la frappèrent, et elle s'écroula. Et un cri de gosse me vrilla les tympans.
Ma vision s'éclaircissait lentement. Un enfant secouait l'ennemie et me fixait avec rage et peur, alternant les appels à la blonde et les insultes à moi-même. Même dans mon état, le lien entre le comportement suicidaire de la Noé et la présence de la demi-portion se faisait tout seul…
Malgré mon esprit embrumé, je m'approchai rapidement du gosse, le saisit sans écouter ses injures terrifiées et le lançai dans la maison qu'il venait de quitter. Il eut un petit gémissement de douleur à l'atterrissage, et ses parents accoururent pour le garder près d'eux, cette fois. Une bonne chose de réglée, en quelques secondes...
Mon regard se porta sur la cible, qu'il n'avait jamais vraiment quittée. Étalée à terre, la peau pleine de brûlures, les cheveux blonds formant d'étranges labyrinthes sur les pavés sales… Elle avait, plus que jamais, l'air d'une simple gamine trop gentille. Exactement le genre d'humains que je voulais protéger, que je voulais voir vivre une vie plus ou moins normale et heureuse, au point de sacrifier la mienne… Putain de guerre. Putain de Souvenirs. Putain de Destin. J'avais presque envie d'envoyer chier ce dernier et la laisser tranquille.
Et puis, comme pour me rappeler la raison pour laquelle je n'avais pas le choix, son teint se pourrit lentement ; cette couleur haïe, promesse de massacres, de cruauté, de destruction, de tout ce que je détestais et voulais détruire. Mes poings se serrèrent, autant de détermination que de regrets pour ce que j'allais faire. Désolé, Lucie… Peut-être que tu n'es vraiment qu'une autre victime, au final. Je te dirais bien de haïr ce parasite plutôt que nous, mais… eh, je ne me faisais pas de grands espoirs…
Je fis un signe de main. C'était le moment de finir ce plan, et prier pour qu'il réussisse ; j'avais réussi à créer un moment de faiblesse chez l'ennemie, assez long pour que la compagnie de corbeaux cachés la saisisse dans ses talismans. Enfin, "je"… plutôt un gosse et l'altruisme de la cible.
Mais peu importait.
Une volée de papiers arriva, commença à recouvrir la Noé. Des talismans de restriction physique, mais aussi des talismans destinés à endormir le Souvenir ; nous allions la capturer, comme prévu. La suite ? Je préférais ne pas y penser. Rien qu'une jeune femme de son âge ne devrait voir, et encore moins subir… Mais depuis quand cette guerre s'intéressait-elle à ce qui ne devrait pas être ? Et si nous ne faisions pas de même, le pire arrivera...
Elle se débattait, bien sûr. Je la fixais, tant pour agir si nécessaire que pour ne pas me détourner de ce moment. Difficile de savoir ce qu'il m'évoquait, alors que ma tête tournait encore, tentait de s'éclaircir et assimilait lentement tout ce qu'il s'était passé. Et puis... je croisai son œil doré.
Et un frisson instinctif me parcourut.
Destruction. Haine. Rage. Promesse de mille vengeances, de mille souffrances infligées.Puis l'œil s'éteignit, laissant l'ironique bleu innocence de la blonde.
Difficile de l'affronter, de supporter ce regard autrefois chaleureux et amical, à présent plein de détresse et de… trahison… ? Difficile de deviner ce qu'on pouvait ressentir en pareille situation, étonnamment... Et pourtant, je ne le fuyai pas. Je faisais ce qui était le mieux, je n'avais pas à détourner le regard. J'avais appris un peu plus sur les hôtes, aujourd'hui, et ne manquerai pas d'y réfléchir ; mais cela ne changeait rien à cette mission. Ou peut-être une seule chose.
- Le gosse n'a rien… et ce village de même.
C'était tout ce que je pouvais lui offrir. Pas de quoi effacer ce qui l'attendait, non...
Et puis, j'ordonnai aux autres de la saisir et l'emmener à l'endroit prévu. Leur regard était froid, professionnel, comme d'habitude ; eh... à les voir, difficile de croire que nous venions de réaliser un exploit unique et qui portera, sans aucun doute, des fruits vitaux dont nous devions nous réjouir. Oui...
Difficile de croire cela.