Elle inspira longuement et prit une pause avant de sortir de l’arche noire, appréhendant ce qui l’attendait de l’autre côté. A l’extérieur, le calme régnait, mais n’avait rien d’apaisant. C’était le calme caractéristique de l’absence de vie, le calme qu’aucun chant d’oiseau, aucun battement d’aile, aucun bourdonnement d’abeille ni aucun rire d’enfant ne venait troubler. C’était le calme de la fin du monde, et précisément là il s’agissait véritablement de la fin d’un monde : Édimbourg n’était plus qu’un champ de bataille encore fumant, enseveli sous une lave qui continuait de se répandre doucement, faisant parfois craquer le bois et se fendre la pierre sur son passage. L’épais nuage de cendres commençait seulement à se dissiper à certains endroits — assez pour que filtre la lumière du jour —, emporté ailleurs par le vent chaud venu de la mer. Bonnie observait le triste spectacle d’un air absent, d’un air détaché ; incertaine de ce qu’elle ressentait réellement au fond d’elle. Ce n’était pas la première fois qu’elle était confrontée à la désolation, cependant c’était la première fois qu’elle prenait le temps de l’observer, la première fois qu’elle avait le courage de ne pas fuir, de ne pas fermer les yeux. C’était la première fois qu’elle regardait l’horreur dans les yeux et soutenait le regard amer et désespéré qu’elle lui renvoyait. La première fois qu’elle constatait l’ampleur de la guerre, devant ce qui n’en était finalement qu’une infime petite particule dans un océan de conflits plus grands et plus graves encore ; la première fois qu’hier lui semblait beaucoup moins terrible que demain.
Elle frissonna. Le doux souvenir de Cyclamën était loin à présent — elle se sentait vide.
Un bruit — ou plutôt, une présence — attira son attention. Elle avait cru le sentir en posant le pied sur les terres écossaises, et ça se confirmait à présent — elle n’était pas seule. Et maintenant qu’elle y songeait, cela lui paraissait évident : de tous les membres de son clan, il était le seul à avoir une véritable raison de revenir sur les lieux du désastre. Bonnie ne connaissait pas l’hôte de Fortuna — ils s’étaient croisés quelques fois, rien de plus — mais sa grande empathie lui commanda d’aller à sa rencontre et de lui adresser quelques mots pour la terrible épreuve qu’il subissait.
amorem était d’un autre avis.
Car si Bonnie ignorait tout de l’humain et de ses agissements, l’apôtre de Noé se souvenait parfaitement de ce qu’elle avait appris à son retour au sein de l’Arche. Et si la nouvelle ne l’avait pas vraiment surprise — elle même devait compter avec les caprices de son hôte — elle voulait vérifier les dires par elle-même ; et tenait-là l’occasion parfaite de le faire. D’essayer de comprendre. D’essayer de lui faire entendre raison. Et, surtout : d’essayer de le ramener.
Celle qui se faisait encore appeler memora quelques jours plus tôt n’eut aucun mal à prendre le contrôle du corps de la bergère — cette dernière était encore affaiblie et déboussolée, conséquences de sa mémoire tout juste retrouvée. Cheveux noirs comme l’encre de ses regrets, peau grise comme la suie et le regard d’or ; elle s’avança d’un pas léger et lumineux vers la réincarnation de Fortuna.
« Ayden, » souffla-t-elle simplement. « Je suis désolée. »
Elle l’était sincèrement — désolée.
Désolée pour ta ville.
Désolée pour ta famille.
Désolée pour toi.