Alea jacta est

Quelle emmerde !
Je le savais. Depuis trop longtemps, je le sais maintenant. Être fugitif, ce sont des emmerdes quotidiennes. Être fugitif, c'est se battre tous les jours. Je me suis préparé à ça. Je sais que je dois devenir plus fort. Je sais que je dois me préparer à me battre, tous les jours s'il le faut, contre les pires ennemis, même si le Comte est à mon cul lui aussi...
Mais même en sachant ça.
Ça ne rend pas la réalité des choses plus facile ou avenante.

Alors quand j'avais vu ce traqueur, je m'étais immédiatement caché. J'avais dit à Virgi et Colin de rester prudent, de se cacher. Au fond, j'ignore la vérité. J'ignore si ce traqueur nous a bel et bien repérer, j'ignore s'il allait nous balancer ou pas, je ne pouvais pas savoir. J'ai juste paniqué, en le voyant sortir son golem. J'ai juste cru que...
Et le Monstre s'est réveillé.
Ce Monstre que je suis devenu depuis que j'ai rejoint ce groupe.
Ce Monstre, peut être encore plus monstrueux que ceux contre qui je me bats.
Mais.
Tant que ma famille sera en danger.
Je dois rester ce Monstre. Car seul lui peut tous les protéger.

J'avais croisé le regard du traqueur. Il avait croisé le mien. Ses yeux s'étaient plissés, incertain. Il avait cligné des yeux, incertain. Le temps qu'il les rouvre, je n'étais plus là. Inquiet, il avait reculé, essayant de s'éclipser, de trouver une cachette, sans doute pour prévenir ses petits copains. Il n'a même pas eu le temps de s'éclipser que déjà, j'enroule mes bras autour de sa nuque... Et la brise d'un coup sec. Le bruit horrible, morbide, retentit dans ce petit coin sombre. Le corps tombe au sol, sans vie.
Le traqueur est mort, avant d'avoir pu transmettre son message, quel qu'il soit.
Et moi aussi, je suis encore un peu mort, aujourd'hui.

J'étais revenu vers Virgi et Colin, gardant le sourire. Toujours sourire devant eux, je... Je dois garder la face. Car ils comptent sur moi. Ils s'appuient vraiment sur moi. Alors je ne dois pas faillir.

-Chéri, où est ce que tu es parti ?
-Juste faire du repérage. Vous inquiétez pas, la voie est libre. Mais on reste prudent, hein !

Tous deux hochent la tête, devenant plus sérieux.
Ne se doutant absolument pas du sort du traqueur.
Et,
c'est mieux comme ça.

On progressait, on avançait, comme d'hab. Faut dire qu'on commence à avoir l'habitude, maintenant. L'habitude, d'être chassé.
Tu parles. C'est pas une vie de famille, ça. C'est pas comme ça que je m'imaginais sauver ma famille, la mettre loin de la guerre, la protéger de toute cette merde.
Où est ce que j'ai merdé ?
Parfois, je me dis que je n'aurais jamais du faire ça. Je n'aurais jamais du me rebeller contre Adam, je n'aurais jamais du faire cavalier seul et entrainer tout un groupe avec moi. Même si je n'aurais jamais accepté non plus de prendre l'Innocence de Saphi, ce jour-là. Même si, si j’étais rentré en disant cash que je n'aurais jamais obéi à cet ordre, ça aurait de toute façon été considéré comme une trahison, et ils auraient voulu m'éliminer pour ramener Fortuna.
Donc dans tous les cas, j'étais un peu cramax. Ça me déculpabilise, mine de rien.

Et c'est justement pour cette raison.
Que je n'aurais pas trop de culpabilité à éliminer ceux qui veulent en faire de même avec moi.
Alors quand je sens, quand j'entends le Souvenir du Savoir ici.
Je suis à peine étonné. Ils en auront mis, du temps, à me trouver. Ok, je sue. J'essaie de faire mon beau gosse devant Virgi et Colin. Mais oui, je stresse à chaque fois. Parce qu’il n'y a pas que ma vie, qui est en jeu. Il y a aussi la leur.
Et ça, jamais je ne peux me permettre de la risquer.

-Ils arrivent. Une Noé, à priori, je ne ressens rien d'autre. On fait comme on a dit, ok ?
-Que !? Mmh...
-Papa, ça ira, pour toi ?

Je me retourne vers eux. Eux aussi, ils ont pris l'habitude de ça. Ils ont compris qu'ils devaient vivre avec la peur constante de se faire attaquer par surprise.
Et même si c'est quelque chose que je n'aurais jamais voulu leur faire subir.
C'est quelque chose qu'on a assimilé. Et donc, à laquelle on s'est de nombreuses fois préparés.

-Ça ira. Faites-moi confiance.

Parce que, actuellement.
C'est à peu près la seule chose qui me fait avancer.

Alors, on attend. Tout simplement. Eux ne fuient pas non plus, restant pas trop loin de moi. On remonte notre capuche, sous laquelle on a chacun un voile qui permet de cacher notre visage. Même si c'est complètement inutile pour la Noé, au moins la population ne nous reconnaitra pas.
Je resserre ma prise sur mes cartes et mes pièces, dans ma poche.
Dominus, je t'entends.
Dominus s'approche.

Sauf que je ne m'attendais pas du tout à ça. Dans mes souvenirs, Dominus, c'est une jeune femme. Bon, ok, je crois que je ne lui ai jamais vraiment parlé. Faut dire qu'elle a un air de pète cul, c'est pas trop le genre de gens avec qui je traine.
C'était pas une gamine. Et pourtant, y'a pas de doutes. Je ressens Dominus. Ça ne peut être qu’elle.
Putain de merde, qu'est-ce qu'il s'est passé ? Ça reste une Noé mais... Mais j'ai franchement du mal à me battre contre des gosses.
Pourtant, pas de doute, c'est bien elle.

-C’est ton jour de chance Ayden : c’est aujourd’hui que tu reviens à la maison. Adam n’est pas très content tu sais…

Ok, elle me connait. Je sais pas c'est quoi son truc à être redevenue gosse.
Mais je ne dois pas me leurrer. Ça reste une Noé dangereuse, qui veut me ramener, et qui serait capable de blesser ma famille. Rien qu'à voir la chevalière à ses côtés, ça montre à quel point elle est dangereuse.
Être gosse ne la protègera pas.

-Pas de bol, c’est sur moi que t’es tombé. Mettez-vous en garde.
-Eh ben, sacrés salutations. La Chance t'a pas trop manquée ? Tu brises mon petit cœur là, j'vais pleurer...

Je saisis une pièce dans ma main. Et, sous leurs yeux, je la lance en l'air.

-Et sinon, c'est quoi ce style ? T'avais envie de retourner jouer à la poupée sans avoir à te cacher ?

Tout en disant ça, j'avais discrètement jeté deux dés aux pieds de sa gardienne. Avec la pièce pour retenir leur attention et ma pique qui couvre le bruit des dés, elle ne les verra surement pas arriver.
Et hop ! Un grand dé qui vient entourer la gardienne, et se resserrer sur elle pour l'écraser. Ok, le résultat est de trois, ça tiendra pas longtemps mais comme ça l'écrase, ça fera large le taff.
En attendant, la pièce avait atterri dans mon autre main, affichant un bon Face, devenant un chakram tranchant.
Que je lance direct vers la gamine désormais exposée.
Pour espérer l'atteindre.

Ouh, c'est qu'elle répond la gosse, c'est qu'elle n'apprécie pas les blagues, hein ? On dirait qu'elle veut vraiment se battre. C'est pas bien à son âge, c'est quoi cette éducation là.
Oups. Son invocation a déjà détruit mon dé.
Allez. C'est pas le moment de rigoler, hein...

Double déception : mon chakram est dévié. Alors elle fait aussi joujou avec des cure dents taille humaine, hein ?
Fais gaffe à ne pas trop te couper, gamine...
Et je n'ai même pas le temps de réfléchir à mon action suivante que la femme se précipite vers moi. Merde alors. On va faire comme d'hab du coup : à l'impro.
Eh sauf qu'elle est rapide. Elle se précipite vers moi, épée en avant, alors que moi j'ai...
Que dalle !?
Merde, j'ai jeté ma pièce, ma seule arme que j'avais pour l'instant ! Qu'est-ce que je suis con !
J'esquive au poil de cul près un sacré coup d'épée qui aurait pu me faire manchot. Ça me coupe pas le bras heureusement, mais ça me laisse quand même une belle marque lorsque l'épée réussit tout de même à toucher mon bras... Putain de merde vieux, arrête de faire le con, c'est pas le moment...
Il y a trop d'enjeux pour que je puisse me le permettre. Je ne peux plus du tout me le permettre.
Je me bats seul, désormais. Je suis le seul à pouvoir m'aider.
Préoccupé par la blessure qu'elle vient de m'infliger, je ne vois pas tout de suite un autre coup qui arrive pour me décapiter sans doute, qui me coupe une mèche de cheveux. Eh oh ma belle tignass...
J'ai le souffle coupé direct en me prenant un sacré coup de pied dans le bide, qui me met au sol. Putain de merde, je l'avais pas vu celui-là... Je roule sur le côté pour esquiver de finir vidé comme un poisson - ralentissant lorsque le sol frotte contre ma blessure - me relevant rapidement. Ma fuite a au moins eu une chose de positif : j'ai les sens en alerte, et je réagis au quart de tour. Le temps qu'elle se retourne vers moi, je lui balance des cartes à la gueule avec mon bras non blessé.
Sept de pique. Pas mal.
En même temps, je balance des pièces sur les cartes. Et boum ! Une violente bourrasque de vent va envoyer valser la chevalière plusieurs mètres plus loin.
Et je ne fais pas que l'observer en attendant. J'avais repris une pièce à nouveau, qui encore une fois avait affiché un joli Face, se retransformant en chakram.
Que je lance directement sur la chevalière qui est en train de valdinguer.
A coup donné, coup rendu.

Mon coup l'atteint. Pas assez pour l’incapaciter totalement, mais assez pour lui faire une blessure conséquente. Ça devrait être bon signe pour moi, mais pas tant que ça. Je veux pas que le combat dure trop longtemps. Même si c’est un duel, c’est toujours moi qui suis en désavantage : je suis seul dans ma merde, tandis qu’elle a toute une armée en marche derrière elle pour venir l’aider. Et si je tarde trop, il vont venir me marcher sur la gueule, tandis que j’aurais personne pour m’aider à sortir de ce merdier. Pire : je suis seul pour assurer la protection de Virgi et Colin. Alors c’est pour ça que je dois être plus fort. Je dois être le plus fort. Tout simplement parce que j’ai personne d’autre qui peut être fort avec moi.
Alors me faire battre par une gamine ? C’est pas dans mes plans.

Je vois avec satisfaction la fille au sabre valdinguer grâce à mes cartes. Je sais que c’est pas fini, que ça sera jamais fini tant que ces parasites continueront de respirer, qu’ils se battront jusqu’à la mort comme des fanatiques. Qu’il faut se battre pour tuer, et pas avoir de pitié. Sinon, c’est moi qui crève le premier.
Je plonge ma main dans ma poche, faisant le compte de mes pièces, alors que je perçois du mouvement du coin de l'œil. Super, la mioche a appelé son grand frère, cette fois-ci. Et il a un putain d’arc.
Un arc. Je plonge ma main dans mon autre poche. Voilà qui va pouvoir me servir.

-Ta fameuse chance suffira-t-elle face à un demi-dieu grec et une héroïne de guerre française ?
-Ce serait vachement con qu’ils se fassent avoir par le premier clochard sdf du coin, tu crois pas ?

Désolé gamine, la provocation, c’est moi qui la fais, pas moi qui rentre dedans. Il y a qu’un sujet qui peut vraiment me mettre en rogne, mais le ridicule, ça m’a jamais tué.
Blague à part, ça commence à être chaud. Parce que gérer deux adversaires en même temps, ça va être coton. Et j’imagine bien qu’elle a d’autres grandes sœurs et grands frères.
Il faut que je me concentre sur un à la fois pour les éliminer un par un. Ils ont des armes différentes, ils ont surement des fonctions qui leur sont propres.
Éliminons la chieuse en premier.

Pas besoin de m’appeler Einstein pour deviner que le mec à l’arc va me tirer dessus. Je bouge pas, mais je reste en position pour bondir dès qu’il le faut. Une main sur les cartes, l’autre sur mes pièces, je dois anticiper. Alors quand la flèche file dans ma direction, j’avais déjà sorti ma carte blanche : la flèche est aspirée dedans.

-C’est trop aimable !

Dans mon autre poche, j’avais pris une pèce, pour la lancer toujours vers l’épéiste : un joli Pile, qui divise la pièce en une trentaine d’autres petites pièces tranchantes comme des dagues, filant vers la femme. Au milieu de ces pièces, je lance la carte blanche, qui régurgite la flèche qui devait m’être destinée vers elle.
Prise sous un assaut. Essaie d’esquiver ça, maintenant.