dear life, when i said « can my day get any worse » it was a rhetorical question not a challenge — viggo

Début mai 18XX | Le naufrage avait secoué les entrailles de Viggo, dont l'esprit avait sombré à l'instant où le choc du bateau contre la roche avait été trop violent pour qu'il ne vacille pas, son corps s'effondrant au même instant où le navire s'était écrasé entre le sable et l'eau. Le crâne du garçon avait failli s'éclater contre l'une des roches qui avait pourfendu leur unique moyen de se déplacer en mer, mais Ange le protégea de ses ailes, amenuisant le choc. Pendant quelques instants, ou quelques heures, 'Kela fut cependant inconscient, le corps immobile à l'intérieur d'une épave qui se faisait déjà ronger par l'écosystème marin. Le son des vagues s'étendant jusqu'au bois et s'imprégnant en partie dans les vêtements de l'exorciste se faisait plus fort dans la carcasse du bateau, mais rien ne semblait encore éveiller l'esprit du jeune homme. Ce voyage pour Madagascar ne s'était pas déroulé comme Viggo l'avait espéré, et l'appréhension qu'il avait pu avoir après que Komui lui ait annoncé qu'il ferait partie de la mission et partirait en pleine mer pouvait totalement être fondée désormais. Ils n'étaient pas à Madagascar, et encore moins dans un endroit où l'être humain s'était installé. Il ne put pourtant en prendre connaissance que quelques instants plus tard.

Une voix, lointaine, résonna d'abord dans son esprit lourd et confus. Viggo. On l'appelait. Quelqu'un l'appelait, à de multiples reprises. Adélaïde. Son prénom fit écho dans l'encéphale du porteur d'Ange dont les ailes avait disparues, avant qu'il ne sente ses épaules être secouées d'abord doucement, puis un peu plus intensément. La phonation paraissant en premier temps aussi épaisse qu'un brouillard d'hiver se fit plus nette, plus claire. Son esprit s'éveillait, et ses paupières closes s'ouvrirent légèrement. Ses sourcils froncés dévoilaient aussi bien son inconfort face à la lumière éblouissante qui filtrait à travers les trous de l'épave que le mal de tête survenu d'un coup. On martelait contre ses tempes avec force, et avec lenteur, Viggo redressa son buste, prenant une position assise tandis que l'une de ses mains passa dans sa chevelure où eau de mer et sable s'étaient aventurés. Ses yeux encore embrumés se figèrent quelques instants sur l'environnement qui l'entourait, avant de se poser sur le visage d'Adélaïde. Ses cheveux flamboyant étaient emmêlés, et du sable s'était accroché sur sa peau. Mais elle allait bien, et son palpitant fut traversé par un soulagement sincère. Était-elle réveillée depuis longtemps ? Et que se passait-il, exactement ? Il eut une grimace en subissant un mal de tête qui s'était prononcé davantage quelques secondes, avant de hocher doucement la tête, encore incapable d'avoir la même énergie que cette femme qui se tenait face à lui. Son cœur commençait à battre plus vite au fur et à mesure qu'il prenait conscience de l'état de leur navire, et des paroles que venait de prononcer la demoiselle.

Échoués. Un frisson lui parcourut l'échine, et ses yeux brillèrent d'une anxiété encore plus tenace qu'au départ de la Congrégation, s'écarquillant légèrement. Il sentit son cœur se serrer. « On est... perdus ? » dit-il d'une voix qui démontrait tout ce qui défilait dans sa tête : peur, incompréhension, panique. Posant sa main sur la carcasse qui le retenait derrière lui, il se redressa de toute sa stature, titubant légèrement en se sentant courbaturé de partout. Passant le revers de sa main sur sa joue sablonneuse, il regarda par-dessus l'épaule de cette femme au tempérament de feu, et découvrit une plage totalement vierge, ainsi qu'une zone boisée juste derrière. Une immensité verdoyante, et aucun signe de vie ne semblait se manifester alentour. Adélaïde ne savait pas où ils étaient. Loin de Madagascar ? La panique le dévorait davantage alors qu'il était désormais bien réveillé. Il sortit de l'épave, les cheveux poussés par le vent qui lui souffla au visage. Son pantalon humide jusqu'aux genoux et le bas de sa cape trempé lui arrachèrent un nouveau frisson. « Il faut.. il faut qu'on contacte la Congrégation ! Où est le golem, Adélaïde ? » demanda t-il en se tournant vivement vers son opposée qu'il avait pourtant réussi à approcher et à apprécier, détachant sa cape qu'il gardait toujours la nuit, et qu'il jeta au sol. Son visage était décomposé. Ils n'avaient plus de bateau et Viggo ne pourrait pas voler avec Adélaïde dans ses bras pendant des jours, sans même savoir où aller. Qu'allaient-ils faire ? Et où étaient-ils ? Il fallait qu'on vienne les aider.

Au loin, dans l'ombre des arbres, des silhouettes se mouvaient en silence.

Capitaine disparu, il ne restait qu'un homme et une femme qui avaient toujours tout eu pour s'éviter, ne jamais se croiser, ne jamais se parler. L'un introverti et peu courageux, l'autre au tempérament de feu et aux rêves d'aventure défilant dans sa tête à chaque instant. L'un en retrait, l'autre en avant. Ils auraient pu rester étrangers, simples camarades mais les chemins empruntés s'étaient finalement entremêlés à plusieurs reprises. Ils s'étaient approchés, avaient appris à connaître l'un et l'autre, et aujourd'hui, Viggo pouvait assurer qu'ils formaient un duo assez particulier, mais qui fonctionnait plutôt bien. Ils se comprenaient, mais Adélaïde pourrait-elle parvenir à rassurer le jeune homme maintenant qu'il avait pris conscience qu'il n'y avait rien autour d'eux, qu'ils étaient perdu ? Looks like it. Le cœur de 'Kela semblait prêt à lâcher face à ces mots. Comment allaient-ils faire pour se sortir de là ?

Désormais en dehors de l'épave, l'espoir de trouver la solution en se servant des golems avait pris place dans sa poitrine, confrontant l'angoisse qui ne cessait de le ronger un peu plus au fur et à mesure des secondes qui s'écoulaient. Son attention tournée vers cette femme dont les yeux étaient bien plus brillant que les siens, Viggo comprit sans mal que son désir d'aventure pourrait être assouvi ici, sur ces terres sauvages et qui semblaient dénuées de toute activité humaine, et s'il aimait voir cet éclat dans ces mirettes, la peur qui l'étreignait ne pouvait que l'encourager à vouloir à tout prix trouver un moyen de repartir d'ici. Cependant, le destin avait décidé de se montrer plus vicieux encore que cette simple histoire de naufrage. Les golems n'étaient plus là, eux aussi disparus. L'un avait coulé avec Adélaïde, et l'autre n'avait, semble-t-il, pas survécu non plus. A cet instant, le visage décomposé de Viggo se couvrit de plis soucieux, et ses jambes faillirent se dérober sous lui. Il passa une main nerveuse dans ses cheveux, détournant les yeux vers cette forêt verdoyante. Il ne pouvait en vouloir à cette opposée qui n'avait jamais voulu le mettre en difficulté, et secoua doucement la tête en réponse à cette voix qui avait tonné coupable. « On va trouver une solution. » murmura t-il comme pour se rassurer lui-même davantage, avant d'écouter avec attention les paroles d'Adélaïde qui, le connaissant, souhaitait le tranquilliser.

Cependant, tous ces mots qui résonnèrent en écho dans sa tête firent finalement l'effet inverse. Quand est-ce que la Congrégation se rendrait compte de leur disparition ? Des jours ? Des semaines ? Comment allaient-ils les retrouver ? Et quel genre d'ennemis allaient pouvoir leur faire face ici ? Akumas ? Noé ? Ils n'étaient que deux. Comment allaient-ils faire, même s'ils avaient tous deux une Innocence capable de les protéger ? Et quel genre d'espèce se trouvait dans ces bois ? Et s'il n'y avait rien à manger ? Non. Ça va aller. Ça va aller. Viggo tentait de ne pas céder à la panique grandissante, s'accrochant à ces trois mots prononcés par cette femme toujours sûre d'elle, toujours prête à aller de l'avant. Il devait faire pareil, et poussa un long soupire, ses doigts se recroquevillant sur ses paumes avec force. « J'espère que tu as raison... » dit-il d'une voix inquiète, scrutant l'étendue interminable de cette île. A combien de kilomètres se trouvait Madagascar ? Soudain, son ventre gargouilla légèrement, arrachant une grimace à Viggo alors que la femme aux cheveux flamboyant semblait être elle aussi affamée.

Qu'allaient-ils manger ? Allaient-ils vraiment devoir aller dans cette forêt ? En l'observant de ses yeux sombres, le jeune homme ne la trouvait pas très accueillante et sans doute cela était-il dû au fait qu'il n'avait aucune idée de ce dont regorgeait cette terre. Peut-être feraient-ils mieux de faire un tour aux extrémités de ces bois, avant de s'y engouffrer ? « Je ne pense pas que ce soit une... » bonne idée. A peine avait-il prononcé ces mots et posé ses prunelles sur le visage de l'aventurière que celle-ci s'était mise en marche, ses pas la menant tout droit vers la lisière de cette forêt inconnue. Un frisson lui parcourut l'échine. Pourquoi devait-il se retrouver dans une situation pareille avec cette tête brûlée ? Il ne pouvait la laisser y aller toute seule, et se précipita ainsi à contrecœur à sa suite. « Adélaïde ! A-attends ! » dit-il en la rejoignant, les muscles crispés par ce sentiment d'insécurité qui nichait dans ses entrailles. Et tandis qu'elle regardait à travers sa longue-vue, Viggo attarda ses prunelles sur elle d'un regard en coin. « On devrait plutôt rester sur la plage pour l'instant, non ? On ne sait pas ce que la forêt abrite. » dit-il d'une voix peu assurée, avant de sentir son cœur bondir dans sa poitrine en entendant le mot visite. Qui ? Quoi ? Ses yeux perçant se tournèrent vivement vers les bois, et une énorme forme féline se dessina rapidement avec plus de netteté à chaque foulée. Si la demoiselle n'avait pas exprimée une once d'inquiétude dans sa voix, celle du jeune homme résonna avec effroi. « Attention ! » s'écria Viggo en se précipitant sur le côté, poussant Adélaïde par la même occasion. Ça n'allait pas aller du tout.

A chaque foulée que faisait Adélaïde, Viggo était certain que sa quête d'adrénaline et d'aventure se faisait plus forte, à contrario de son envie à lui de s'engouffrer dans ces bois inconnus. Il avait beau lui partager ses craintes, la décision de la jeune femme était prise et le garçon ne pourrait pas l'en empêcher. A contrecœur, il était à sa suite et pendant ce qui ne fut que quelques secondes, un fragment de souvenir surgit de sa mémoire. Cette image qu'il avait de lui en train de courir après sa sœur, bien plus courageuse que lui. Cette image de Céleste, portant avec elle une prestance qui ne laissait personne indifférent. Son cœur se serra, et Viggo se fit violence pour se convaincre qu'il n'arriverait rien à Adélaïde en étant trop téméraire. Longue-vue en main, la femme aux cheveux de feu avait une vision plus précise de ce qui se passait à travers ces innombrables arbres et hautes herbes, mais dès lors qu'une forme féline se dessina devant les yeux également vigilants du porteur d'Ange, il se précipita vers son opposée pour esquiver le tigre qui surgit avec un grognement féroce, dévoilant son poil de feu et rayé de noir. Il était magnifique, mais totalement sauvage et terrifiant. Ses crocs aiguisés, les babines retroussées et les oreilles en arrière, il feulait, ses pattes puissantes s'enfonçant dans le sable. Il allait attaquer.

Viggo, dont les ailes s'étaient déployées, se redressa vivement aux côtés de sa partenaire qui était désormais vêtu d'un habit de corsaire. Il avait l'impression que son cœur allait se frayer un chemin en dehors de sa chair, et tandis qu'il allait tenter de mettre en pratique l'une de ses techniques, Adélaïde fut plus réactive et un chant agréable et puissant vint titiller ses tympans. D'énormes ombres s'étendirent sur le sable, et alors que le tigre se figea, Viggo éleva les yeux au ciel. Ils s'écarquillèrent face à la beauté de ce qui se dessinait devant ses mirettes. Dix baleines voletaient dans les airs, nageant parmi l'océan bleu que formait le ciel. C'était spectaculaire et cette image s'ancra instantanément dans la mémoire du garçon, alors que le chant venait presque apaiser l'angoisse qui le saisissait avec force. Son regard se porta de nouveau vers le félin, qui, tétanisé, finit par prendre la fuite. A l'instant où il leva de nouveau le nez en l'air, Northstar continuait à l'éblouir et Adélaïde, haletante, s'étendit au sol. La stupéfaction de Viggo se transforma en reconnaissance, puis en inquiétude alors qu'il s'accroupit non loin d'elle, attendant qu'elle reprenne son souffle. « Tout va bien ? » demanda t-il en l'observant, l'esprit encore émerveillé par cette famille de baleine dans le ciel. Un rêve. « Merci, Adélaïde. » souffla t-il en esquissant un petit sourire en coin, les yeux brillant de reconnaissance. Merci pour l'avoir protégé. Merci pour ce spectacle. S'il n'était pas encore assez fort pour protéger ceux qui lui étaient chers, il pouvait au moins se féliciter d'avoir un entourage sur lequel compter.

Ses ailes se rétrécirent jusqu'à disparaître au sein même de ses scapulas, et son cœur ne put s'empêcher de se réchauffer en entendant ces paroles qu'il n'aurait jamais prononcé avec autant d'enthousiasme. Elle ne se laissait pas soumettre par l'effroi, et Viggo hocha doucement la tête, se redressant en la voyant faire de même. Adélaïde était déjà certaine qu'ils allaient être retrouvés, qu'ils allaient pouvoir raconter cette péripétie totalement inattendue, et si le garçon tentait de s'accrocher à cette idée lui aussi, il ne put déloger cette angoisse nichée en lui. Qu'allaient-ils faire en attendant ? Allaient-ils trouver d'autres félins en s'aventurant dans les bois ? Merci, Viggo. La surprise se dévoila dans ses yeux, alors que ses prunelles plongèrent dans celles de l'aventurière. Il sentit la chaleur remonter vers ses joues et détourna instantanément les yeux. « C'est... c'est normal. » dit-il sans pour autant considérer avec grande fierté le fait de l'avoir entraînée sur le côté. C'était le minimum qu'il avait été en mesure de faire pour veiller sur elle, avant qu'elle ne prenne les devants pour les protéger tous les deux sans blesser l'animal.

Les paroles, légères et teintées d'amusement de son opposée parvinrent tout de même à le tirer de son scepticisme concernant son acte et en relevant ses yeux vers elle, Viggo se mit à ricaner doucement à son tour. La voir sourire malgré le malheur qui était tombé sur leur tête, et la voir rire après qu'ils aient failli se faire chasser par un tigre le détendit un peu. Merci. « C'est vrai... Au moins, nous nous en sommes bien sortis et il n'aura pas été blessé. » dit-il en passant nerveusement une main dans sa nuque, ses yeux sombres scrutant la forêt. Se pourrait-il qu'ils ne soient pas les seuls êtres humains à avoir atterri ici, finalement ? La supposition d'Adélaïde l'entraîna parmi ses milles et unes réflexions, et le petit sourire qui s'était dessiné sur ses lippes disparut. « S'il y a bien des gens ici, je ne sais pas s'ils nous verront d'un bon œil... Qui sait s'ils ont établi une nouvelle vie ici et n'acceptent pas les inconnus ? Et si personne n'a pu les retrouver... » dit-il en terminant sa phrase à mi-voix, le cœur serré, grimaçant avant qu'un frisson ne lui parcourt l'échine. De nouveau, l'apaisement qu'il avait ressenti quelques instants plus tôt grâce à son amie se faisait dévorer par la crainte de devoir passer des jours et des jours emprisonnés ici, voire toujours. Pourrait-il mener une vie loin de la Congrégation ? Il ne préférait pas y penser, et activa de nouveau son Innocence, les ailes en repli apparaissant derrière son dos avant de prendre une grande inspiration. « Je.. j'arrive. » dit-il d'une voix hésitante, espérant de tout cœur que cette rencontre avec un tigre ne se reproduise pas.

Adélaïde ne voulait pas rebrousser chemin malgré le danger qui venait de les surprendre, la faim la tenaillant autant que Viggo qui aurait pourtant préféré tenter la pêche que la randonnée en forêt, et la voyant se mettre en route, il se mit à sa suite, ses pas hésitant contrastant avec ceux de la demoiselle aux cheveux de feu. Lui aussi aurait souhaité avoir autant d'assurance. Lui aussi aurait souhaité être assez réactif pour utiliser Ange. Son regard s'élevant au ciel observa une dernière fois Northstar avant que les baleines ne se dispersent parmi le ciel, et son attention se porta à Adélaïde. Elle souriait encore et toujours. Un véritable rayon de soleil. « Comment.. comment tu fais, pour gérer ta peur ? Je ne veux pas rester derrière les autres éternellement. » dit-il en recroquevillant ses doigts sur ses paumes. Le même schéma semblait se répéter inlassablement. Lui en retrait, et les autres devants.