Monstri propius sunt quam credis

 
 
On pourrait presque se croire dans un livre. Qui pourrait imaginer bâtir une ville souterraine, juste en dessous d'un village sans histoires - enfin, à priori en tout cas - et qui plus est, bloquée dans le passé ? Plus fou encore : qui pourrait croire qu'il existerait un passage - secret, évidemment, sinon ça perd de son intérêt ! - qui relierait les deux époques !
Sans doute, songes tu, quelqu'un comme toi - le toi d'avant, bien entendu. Cet écrivain, cet artiste dans l'âme, créant de toutes pièces des passages reliant non pas deux époques mais bien deux mondes entre la tranche d'une feuille de papier. Une plume pouvant animer mille idées : c'est une histoire tout à fait digne de contes pour enfants - on peut même oser avouer que ça pourrait inspirer ta prose.

Enfin. Tout ça, c'est bien beau, mais tu n'es plus cet Akira. Non, aujourd'hui, le nom d'Akira Nakamura n'évoque certainement plus l'écrivain que des enfants ont lu. Il évoque, pour le plus grand public, cet homme qui a sombré dans la folie et assassiné sa soeur – parce que tu l'as vraiment fait Akira, pas vrai ?
Akira Nakamura, c'est surtout un exorciste parmi d'autres, quoique particulièrement mauvais et monstrueux.

Ce sont donc sur ces pensées amères qui viennent entacher pourtant toute l'inspiration - tu te souviens cette inspiration qu'elle t'a donnée - que tu errais dans ce village. Car oui, aujourd'hui, tu es ici en tant que soldat et c'est tout. La seule chose sur laquelle ton imagination doit se concentrer, c'est écraser tes ennemis et atteindre ton objectif.
C'est comme ça que tu es devenu, Akira.

Le problème, c'est que tu n'es pas seul aujourd'hui. En soit, ce n'est pas un problème - avouons-le franchement, ton palmarès de missions se solde bien plus par des échecs que par des succès, et ton innocence est bien plus efficace pour soigner plutôt que pour aller au front.
Le hic, c'est que ton partenaire, c'est Shuk, et si tu n'as aucun problème avec lui - c'est même, au contraire, l'une des seules personnes que tu tolères sans problème - c'est aussi sa première mission, apparemment.
Avec toi, donc. Ce qui signifie, évidemment, que si le danger s'avère plus grand que prévu - oh mais c'est toujours le cas - tu devras le protéger au mieux. Et tu te souviens comment a fini la dernière personne que tu devais protéger.
C'est donc tout à fait nerveux que tu avais accepté à contre cœur cette mission. Si Shuk devait commencer sa première mission avec quelqu'un, ce serait très certainement avec quelqu'un de plus doué que toi, tu en es persuadé.
Qu'ils sont stupides, tous stupides, définitivement trop stupides.
Tu tires encore sur ton kiseru, polluant l'air de ce tabac qui encrasse un peu plus tes poumons, t'arrachant une quinte de toux au passage. Bah, au pire, même si ça te tue de l'intérieur, tu doutes mourir de ça avant de mourir de la guerre. Tu t'efforces à afficher une mine confiante, le problème, c'est que tu n'as sans doute jamais eu vraiment confiance en toi de ta vie, sauf quand tu es saoul.
Tu te tournes donc vers ton coéquipier, et puis tu essaies de réfléchir. Lors de ta première mission - où on t'avait envoyé seul - qu'est-ce que tu aurais voulu qu'on te dise, de quoi aurais tu voulu qu'on te prévienne ? Non, vraiment, tu n'as jamais été doué pour ça.
Tu te mets alors à signer, privilégiant le langage du silence avec lui.

"Allons y. Ca ira bien".

Non, vraiment, même sans les mots tu n'es pas doué pour rassurer quelqu'un.
Parce que tu ne peux pas lui dire ce que toi, tu aurais voulu entendre à ce moment-là.
"Il va falloir que tu te prépares à voir la mort".
Mais.
Ça n'arrivera pas. Toi, tu es certes un homme monstrueux, toi, tu as une rédemption à atteindre, toi, tu dois vivre dans le pêché. Mais Shuk n'a rien à voir avec les raclures de ton espèce. Il ne devrait pas participer à ces bains de sang.
Ça n'arrivera pas. Même si tu dois encore te salir les mains pour ça.
Mais il n’y aura pas besoin, n’est-ce pas ?

"Ne t'éloigne pas trop de moi".

Tu sais, les Monstres sont bien plus proches que tu ne le penses.
Les vrais monstres.