Similaires & différents (reynald)

FB – 2 ans auparavant – Londres | Blasius n'avait jamais eu besoin de loger ailleurs que sur l'Arche, là où se trouvait sa chère et tendre famille – Noés et Akumas réunis – mais à cette période de l'année, les choses avaient pris une tournure légèrement différente. Le joueur de harpe avait réussi à se faire une place au sein d'une petite comédie musicale, peu connue encore mais qui verserait à chacun de ses membres une somme appréciable et sur laquelle le jeune homme aux cheveux blancs ne cracherait certainement pas. Malgré le fait qu'il avait accès à tout sur l'Arche, il était nécessaire qu'il puisse gagner quelque chose à côté, pour sa vie extérieure à la famille, et à travers quelques travaux effectués ici et là, Blasius était parvenu à louer une petite maisonnette en périphérie de Londres. Là, il pourrait se revêtir de la peau d'un jeune artiste, éloigné de toute histoire suspecte et pouvant attirer le regard méfiant des uns et des autres. Il aurait un habitat pour quelques temps, laisserait Illness en retrait le temps de jouer la comédie et repartirait ensuite dans le cocon que constituait l'Arche.

Un regard abaissé en direction de sa montre à gousset dont il venait d'ouvrir le clapet, et Blasius releva ensuite ses yeux mauves vers les rues qui se dessinaient devant lui. La répétition avait pris fin et la fin d'après-midi pointait le bout de son nez, les couleurs orangées teintant le ciel à l'horizon. Il était temps de rentrer pour une nuit encore éloignée de ses proches, et si chacun d'entre eux lui manquaient, il avait trouver de quoi passer encore quelques minutes en bonne compagnie avant de rejoindre sa résidence. Tendant son bras en crochet à une comédienne, ses lèvres s'étirèrent en un sourire lorsque celle-ci crocheta son bras dans le sien, et rangeant sa montre à gousset dans la poche de sa veste, il embarqua la demoiselle avec lui, défilant dans les rues de Londres. Ils parlaient tous les deux, de tout et de rien, Langue de serpent appréciant l'échange bien qu'il savait d'avance qu'elle ne serait qu'un passe-temps, une histoire sans avenir. Elle, semblait pour le moment sous le charme mais tout cela n'était qu'un mirage qui prendrait bientôt fin, et après que Blasius l'ait raccompagné jusque devant chez elle, il s'enfuit jusqu'à chez lui, dévalant les rues qui commençaient à se remplir d'ingrats.

A plusieurs reprises, le garçon sentait sur lui des regards pesant, mêlant curiosité ou dégoût quant à se chevelure de neige et ses yeux presque sang, mais qu'étaient-ils pour juger ? Blasius laissa ses pas le mener machinalement vers sa modeste demeure, ignorant l'attention qu'on pouvait lui porter, quand des voix fortes attirèrent son attention. Elles tonnaient moqueuses, et les mots albinos, horreur, suffirent au Noé pour s'y intéresser de plus près. Le joueur de harpe sentit Illness remuer à l'intérieur, comme si les insultes que les idiots balançaient l'atteignaient lui plus que son hôte. La Maladie n'était pas aussi agréable que le jeune Barnes, mais Blasius était son contraire pour cela et s'approcha tranquillement de la scène, ses yeux mauves détaillant les différents faciès. Un homme accompagné d'une femme dont l'odeur indiquait sans mal qu'ils étaient légèrement sous l'emprise de l'alcool se tenaient face à un garçon aux cheveux blancs et aux yeux d'un rouge tout à fait sublime. Mais certains ne comprenaient pas la beauté de ces différences.

Quelle dommage. Blasius se racla la gorge pour attirer l'attention et s'avança de quelques pas avec une délicatesse qui lui était propre, prenant place aux côtés de l'albinos. « Et bien, n'avez-vous rien d'autre à faire que d'embêter ce pauvre garçon ? » souffla t-il entre sa langue fourchue, son regard scrutant le couple dont l'homme s'approchait d'un pas légèrement vacillant. Sa compagne le retint par le bras, mais la voix rauque de l'ingrat résonna, criant à l'anormalité de l'intrus et de Blasius lui-même. Stupide. Un sourire – ce sourire – se dessina sur ses lèvres. « Calmez-vous. Partez, et vous n'aurez plus à supporter de voir deux aberrations comme nous. » Il lui donnait raison, faisant en sorte de reconnaître ce qu'ils étaient pour eux, et l'homme et la femme finirent par éclater de rire, toujours moqueurs, avant de se crocheter le bras pour s'en aller, sans doute satisfaits de penser qu'ils avaient raison et qu'ils avaient gagné la partie. Et dès lors qu'ils furent éloignés, la Maladie se tourna vers l'inconnu, souriante. « Quels esprits fermés, n'est-ce pas? » demanda t-il, le regard scrutant le jeune homme qui ne devait pas avoir beaucoup d'écart avec lui.
         
          Halloween

Être rejeté pour ses blancs cheveux ne lui avaient pas souvent posé problème. Blasius avait passé une partie de son enfance cloué dans un établissement de soin dans l'attente de pouvoir contempler le monde, sentir l'odeur des fleurs en train d'éclore, goûter à la caresse de l'herbe sur ses pieds, contre ses doigts filant dans les champs. Alors, il n'avait vu ce rejet d'apparence que lorsqu'il avait quitté l'hôpital, remis entre les mains d'une femme qui l'avait considéré comme de sa propre chair. La stupidité de l'homme n'avait pas de limites, et il ne suffisait que d'une seule différence pour que des individus se montrent hostiles envers ceux qui étaient considérés comme anormaux. Ce terme répugnait Blasius, mais il avait préféré donner raison à ce couple fermé d'esprit plutôt que de jouer des poings – quelque chose qu'il savait bien moins maîtriser que la parole, le jeu des mots qui s'entrechoquent.

Son sourire était rassurant, son attitude aussi agréable qu'un agneau et pourtant, le monstre était là, sifflait de sa langue fourchue les paroles d'un bon citoyen. Face à lui, Blasius avait un homme dénué d'expression, haussant simplement les épaules. Il était fermé, semblait se ficher de ce qui venait de lui arriver. Bien plus passif que ne l'avait été la Maladie. Les aurait-il laissé l'insulter jusqu'à ce qu'ils s'écroulent face au taux d'alcool élevé coulant dans leur sang ? Ils n'y sont pas encore habitués, mmh ? Blasius détourna son regard mauve vers le couple, contemplatif de cet amas de stupidité regroupés dans deux êtres. Les différences choquaient, répugnaient à cette époque.

Peu de gens comprenaient qu'avoir des caractéristiques peu communes n'était pas une raison pour les mettre à l'écart, les rejeter. Serafina avait été de ces personnes là, et la douleur de l'abandon qu'il avait vécu par elle était encore là, quelque part dans sa poitrine. « Sans doute. Je me demande comment pourront-ils le comprendre. Il est difficile de faire ouvrir les yeux à des gens qui s'entêtent à garder des œillères. » souffla t-il en se tournant vers Reynald. « En effet, j'ai l'habitude. Ou du moins, je l'ai déjà assez vécu pour avoir choisi de ne pas fermer les yeux en vous voyant face à eux. Mais nous ne nous sommes pas encore présentés. Je m'appelle Blasius, et vous ? » demanda t-il le sourire un peu plus étiré sur ses lèvres, la main tendue. « Londres n'est jamais trop sûre à certains endroits. Nous devrions nous éloigner, au cas où. » proposa t-il en lançant un regard instinctif vers sa montre à gousset qu'il ouvrit aussi vite qu'il la referma. Entre rejetés, le temps passerait peut-être un peu plus vite, finalement.
         
          Halloween

Peut-être un jour. S'ils prennent le temps de comprendre, et d'ouvrir leurs yeux. Peut-être un jour. Le garçon qui lui faisait face avait de l'espoir, comme Blasius avait l'espoir d'avoir trouvé en sa famille des hommes et des femmes qui l'accepteraient tout entier, pour ce qu'il était, pour ses qualités et ses défauts, et le garçon à la longue chevelure blanche hocha doucement la tête, appréciant l'optimisme de cet homme dont il ne connaissait encore rien. L'inconnu était en tout cas reconnaissant et Blasius secoua doucement la tête de gauche à droite. Rien ne servait de le remercier et c'est lorsqu'il se présenta et qu'il lui demanda en retour son identité que sa curiosité fut piquée.

Langue de serpent remarqua sans mal la surprise qui s'était dessinée sur le faciès de cet homme qui répondait sous le nom de Reynald. Un étonnement dont il ne comprenait pas encore la source – et pourtant c'était son sourire, ce sourire qui avait provoqué la chose. Fronçant légèrement les sourcils pour l'interroger du regard, il ne lui demanderait pas pour autant tout de suite les raisons. Il valait mieux s'éloigner des ruelles peu fréquentées et qui pouvaient être dangereuses le soir, mais à nouveau, alors que la voix de l'albinos résonnait jusqu'à lui, elle se coupa, nette. Que se passait-il ? Une migraine ? Les informations les plus importantes venaient, à côté, de s'ancrer dans sa mémoire. Reynald n'était pas d'ici, et la curiosité fut un peu plus grande encore.

Voilà qui allait pouvoir occuper un peu la Maladie avant de retourner chez soi, seul. « Vous êtes arrivés aujourd'hui, Reynald ? N'avez-vous pas trouver d'auberge où vous rendre ? » demanda t-il d'abord alors que ses pas le menaient en dehors de la ruelle, les yeux mauves se détachant de la silhouette du garçon qu'il avait aidé. Et Langue de serpent ne put s'empêcher de se montrer un peu plus curieux. « Vous avez eu l'air surpris, quelques instants avant. Ai-je été un peu trop direct ? » demanda t-il calmement, ne sachant pourtant pas à quel niveau il aurait pu fauter. Blasius avait toujours adoré maîtriser les mots plutôt que les poings. Il n'était pas de ceux qui en jouaient le plus, préférant s'entretenir calmement avec les uns et les autres, mais il semblerait que Reynald avait été pris au dépourvu.
         
          Halloween

Qui donc pourrait passer sa vie à mentir ? Qui donc pourrait passer son temps à se construire d'autres identités pour échapper aux autres, pour échapper au monde ? Blasius ne connaissait pas cette part de mensonge qui couvrait chacun des pas, chacun des mots de Reynald. Ce don naturel qu'il possédait à ouvrir les cœurs, à faire ressentir l'envie chez les autres de se confier à lui avait sans aucun doute jouer là-dedans, et la curiosité face au comportement du garçon grandissait, encore et encore. Une question avait dépassé la barrière de ses lèvres, alors que son pas le menait désormais ailleurs que dans cette ruelle où Blasius lui avait apporté son soutien face à ce couple puant l'alcool, et le Noé écouta avec attention la voix de Reynald résonner jusqu'à lui.

Non, je... Je viens d'arriver. Je ne sais pas encore où je vais résider. Blasius hocha doucement la tête, ses yeux mauves portés au-devant de leurs silhouettes, vers ce chemin pavé qui les mèneraient dans un endroit plus sûr. Cet homme qu'il avait retrouvé face à ce couple était perdu. Il avait cet air un peu décontenancé, cet air que Blasius ancra dans sa mémoire. Et sa curiosité fut d'autant plus alimentée lorsque le garçon le rassura, centrant cette maladresse sur lui-même. Qui était-il, exactement ? La Maladie détourna les yeux vers lui, comme si elle essayait d'un seul regard de le déchiffrer, de lire à travers lui tout ce qui pourrait lui permettre d'en savoir plus. Mais Reynald était fermé, secret, et son regard était pauvre en informations. Blasius ne tirerait rien de cette observation, et fronça légèrement les sourcils alors que ses prunelles se figèrent de nouveau devant lui. « Une auberge ? Je n'en ai aucune idée. Même si j'habite ici, je bouge aussi souvent alors je ne fais pas forcément attention. » dit-il en gloussant légèrement, son air agréable dessiné sur les traits de son faciès.

Mensonges. La Maladie n'avait pour habitat que l'Arche, repère de sa famille, du Comte. La petite maisonnette qu'il avait loué en périphérie de la ville ne serait bientôt plus qu'un nouveau bien à louer à quelqu'un d'autre. Et pourtant, une idée lui vint à l'esprit. « Vous savez, si vous ne trouvez pas d'endroit où dormir, je peux vous loger le temps qu'il faudra. Je suis en périphérie, pas très loin d'ici. Vous aurez de quoi vous ressourcer et je pourrai peut-être vous voir avec une meilleure mine. » dit-il d'un ton un peu plaisantin à la fin, un sourire bienveillant s'étirant sur ses lèvres. Le monstre serait tiré de sa solitude passagère grâce à cette présence qu'il voulait apprendre à connaître un peu plus. C'était donnant-donnant, et l'espoir de ne pas faire le chemin du retour tout seul pulsait dans ses veines. Les prémices d'un lien se dessinaient autour d'eux mais bientôt, bientôt, tout viendrait à se réduire à néant.
         
          Halloween

Croire en la bonté de quelqu'un était une bonne chose, si seulement la personne en face pouvait être de confiance et lutter pour devenir meilleur. Et si Blasius n'était pas l'être le plus répugnant, le monstre sans aucun scrupule pour personne, un rejeté en quête d'acceptation de soi et des autres – surtout auprès des autres – il n'était pas un gentilhomme. Et ces sourires qu'il adressait n'étaient pas toujours sincères, et ces paroles bienveillantes n'étaient pas toujours si bienveillantes que ça. Pour le moment, en tout cas, Reynald ne lui servait à rien d'autre que le tirer d'une solitude qu'il avait toujours détesté, mais la Langue de serpent était digne de son surnom et enjolivant ses mots, enjolivant ce sourire qui se hissait quotidiennement sur ses lippes, Blasius attisait l'intérêt des uns et des autres. Maintenant qu'il faisait ainsi route avec Reynald, il voulait le connaître davantage – sans aucune arrière-pensée (pas encore, pas encore) – et lui proposait même de l'héberger le temps qu'il faudrait.

Ses yeux mauves étaient figés devant lui, balayant les rues de Londres en quête de curiosités à observer, de devantures à laquelle s'intéresser en passant, tandis que ses pas le menaient vers les périphéries – vers son chez-soi provisoire et le nouveau lieu qui abriterait Reynald – et son sourire s'étira un peu plus sur ses lèvres en jetant un regard au garçon perdu. « Je comprends tout à fait. Il serait dommage que vous ne puissiez vous reposer correctement. » dit-il en hochant doucement la tête, avant de s'ouvrir un peu à son tour – un petit peu. « J'ai vécu un petit moment à la rue, ce n'est pas évident de trouver un toit sous lequel dormir. » avoua t-il, gravant le sourire du garçon dans sa mémoire, l'expression la plus pure d'une reconnaissance que trop peu connue, probablement. Avoir des cheveux blancs et des yeux écarlates ne plaisait pas à tout le monde et la preuve en était avec les misérables de tout à l'heure.

Apercevant un fiacre vide et prêt à emmener de nouveaux voyageurs, Blasius fît un signe de la main à Reynald pour lui indiquer de le suivre, et demanda au cocher de les conduire à l'adresse de son logement. Il ouvrit la porte, et fît un nouveau signe de la main à son compagnon. « En voiture. » dit-il avant de grimper à sa suite, refermant la porte derrière lui, les sabots des chevaux commençant à claquer sur le sol pavé. Blasius s'accouda contre la portière, le dos de sa main soutenant sa tête. La Maladie épiait le garçon qui lui faisait face, appréciant cette curiosité qu'il avait également à son égard. « Non, je suis en périphérie. Je suis musicien, alors même si je joue beaucoup par ici, il m'arrive de partir en tournée. Vous connaissez peut-être miss Hämäläinen ? J'ai déjà eu l'honneur de jouer avec elle. C'était une formidable rencontre. » dit-il, le profond respect qu'il avait pour Tuulikki s'entendant dans le timbre de sa voix. Il y avait de ses mots un mélange de vrai et de faux, mais il ne dirait jamais qu'il vivait véritablement à l'Arche et qu'il ne faisait, au final, que peu de tournées. « Et vous, d'où venez-vous exactement ? Vous voudriez vivre ici ? »
         
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Cette moue triste révélait la compassion que Reynald éprouvait à l'égard d'un homme qui lui avait confié avoir été à la rue, et Blasius l'observa pendant quelques instants, un sourire toujours dressé sur ses lèvres alors que les réminiscences, elles, n'étaient que peu agréables. Serafina jamais n'avait compris ce qui s'était passé – elle n'avait pas cherché à comprendre et le Noé de la Maladie ne pouvait pas lui en vouloir, il avait tué son fils après tout (Illness l'avait tué, plus précisément) – et la fuite lui avait coûté cher, lui avait fait goûter à la vie misérable et précaire. S'il s'en était sorti finalement, ce n'était que grâce à sa famille et à son Souvenir qui l'y avait intégré. Et lui, à quoi se résumait sa vie ? La curiosité qu'il éprouvait à son égard grandissait encore et encore, et ne serait sans doute rassasiée que lorsqu'il connaîtrait tout de lui.

Blasius hocha doucement la tête, ses yeux mauves scrutant un instant une énième devanture de magasin, ne voulant pas paraître trop observateur envers l'homme aux milles visages. « Effectivement. » souffla t-il dans un murmure à peine audible, avant de repérer le fiacre et d'inviter Reynald à y monter. Pendant quelques secondes, son regard resta figé sur l'extérieur, la lumière des lampadaires défilant comme une traînée d'or, avant qu'il ne repose ses prunelles sur cette nouvelle connaissance, son sourire faisant écho à celui de Reynald qui semblait connaître Tuulikki et sa voix incroyable. Il voulait l'entendre, et Blasius était curieux de le voir jouer du piano. Pas de doute, la musique rassemblait les hommes, les femmes et les enfants, et dans le cœur du Noé, l'impression qu'il pourrait peut-être finalement trouver autre chose qu'un simple passe-temps en cet homme lui traversa l'esprit. « Je vous jouerai un morceau en rentrant, comme cadeau de bienvenue, si vous m'assurez que vous pourrez me jouer un morceau de piano. » dit-il avec ce ton toujours si agréable et apprécié. Et c'était une façon comme une autre d'obliger des retrouvailles à se faire, de promettre qu'ils n'en resteraient pas là, tandis que Blasius pourrait sincèrement apprécier cet instant musical.

En attendant, il laissait sa curiosité s'exprimer et hocha doucement la tête en apprenant que Reynald venait de France. Mais il était vagabond désormais, voyageait par-ci par-là à la recherche de quelqu'un. Qui ? Blasius sentait la question lui brûler les lèvres mais il était trop tôt pour être aussi intime, et ce fût l'accent impeccable de l'albinos qui prit le dessus. Depuis combien de temps arpentait-il les routes, les villages et les pays ? « Et bien, j'espère que vous retrouverez vite celui ou celle que vous cherchez. » dit-il en ouvrant un peu la fenêtre, l'air se faisant plus frais s'engouffrant dans le fiacre, le vent caressant la peau pâle de Blasius à travers l'ouverture. Avez-vous déjà voyagé, Blasius ? Pouvait-il réellement parler de voyage lorsqu'il avait fuit les Etats-Unis avant de se terrer çà et là pour se faire oublier des forces de police ? Pouvait-il réellement dire qu'il avait pris du bon temps, en découvrant ces paysages ? « Pas mal de fois, jusqu'à ce que j'arrive ici, à Londres. Je voulais découvrir le monde, mais pas à la recherche de quelqu'un. Mais comme vous avez pu l'entendre, ça n'a pas été simple. » souffla t-il en ricanant légèrement, la langue de serpent déliée, mensonges crachés à la figure. « Et vous, avez vous apprécié vos voyages ? Chercher quelqu'un semble assez préoccupant, pour se laisser bercer par la beauté naturelle et celle façonnée par l'homme. Où avez-vous été ? » demanda t-il, détournant la question vers son envoyeur, préférant se concentrer sur lui et mieux apprendre à le connaître, à déceler ce qu'il était. Et aucun regret ne parcourait son cœur pour avoir menti.
         
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Reynald acceptait de lui jouer un morceau de piano et l'hôte de la Maladie s'en voyait ravi, déjà impatient de pouvoir arriver à ce jour où il pourrait se laisser emporter par la musique et pourquoi pas, par la discussion qu'il aurait avec cet homme aux cheveux aussi blanc que les siens. Après tout, ils avaient encore de quoi discuter – de quoi s'interroger pour mieux apprendre à se connaître – et ainsi Blasius savait qu'il serait tiré quand il le voudrait de cette solitude qui pesait parfois sur ses épaules, désagréable, lourde et affamée. « Je suis impatient de vous écouter. » dit-il avec ce sourire toujours aussi agréable hissé sur ses lippes, alors que le vent frais continuait de lui caresser le visage. Le claquement des sabots des chevaux sur les pavés remplissaient les quelques secondes de silence qui s'installaient parfois entre le garçon perdu et lui, mais le Noé avait encore une curiosité à rassasier et lorsque Reynald le remercia pour ses encouragements, ses lèvres s'entrouvrirent pour poser une nouvelle question mais l'homme aux milles visages fût plus rapide et finalement, Blasius retourna l'interrogation à son interlocuteur.

Pas tellement... Reynald avait baissé le regard et Langue de serpent le scrutait avec un intérêt certain. Il avait envie de lui demander pourquoi, ce qui lui était arrivé mais cela était bien trop indiscret et intrusif et pour le moment, ils n'étaient que de simples connaissances. Blasius n'était qu'un homme qui avait gentiment proposé à ce garçon, démuni, de l'héberger – ou du moins le laissait-il penser – et dans les paroles de l'étranger aux cheveux de neige, il y avait des zones d'ombres, des choses qu'il ne disait pas, qu'il gardait encore pour lui. Le Noé de la Maladie se demanda s'il se dévoilerait à lui au fur et à mesure, mais une fois de plus, il n'insista pas, se contentant de garder ses questions pour lui. Il avait découvert pas mal de pays, et l'Allemagne ayant été sa destination favorite, Blasius l'ancra dans sa mémoire et tenta de s'imaginer ces terres qui lui étaient inconnues. « Je n'oublierai pas, et vous avez raison. Il y a beaucoup de belles choses en ce monde. » dit-il, le sourire toujours aux lèvres alors qu'il n'en avait pas vu tant que ça, finalement.

Et finalement, je suis revenu ici pour le chercher. Reynald y faisait mention pour la deuxième fois et le serpent avait envie d'en savoir plus, essayant de dessiner dans son esprit l'image de cet homme (il avait dit « le » et cela n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd). « Il doit vous être très cher, cet homme. » souffla t-il en gardant les yeux rivés vers lui, pensant sans mal que cet homme devait hanter l'esprit du garçon vagabond. Il ne se doutait pas encore qu'il se rapprochait d'un disciple de Néah – un ennemi, un traître – et quelle serait sa joie lorsqu'il découvrirait qu'il aurait au creux de ses mains un homme qu'il pourrait manipuler pour lui soutirer des informations à ce sujet. Mais il n'était pas question de cela encore – pas pour l'instant, pas pour le moment, pas tant qu'il ne saurait pas qui Reynald cherchait désespérément – et une lueur inquiète se mit à luire dans ses mirettes en voyant son interlocuteur se masser les tempes. Il devait s'agir d'une grosse migraine – sans doute la fatigue pesait lourd sur ses épaules et il était temps d'arriver. Blasius abaissa son regard vers sa montre à gousset qu'il sortit de la poche de sa veste, ouvrant le clapet avant de le refermer quelques secondes après. Il détourna son regard vers l'extérieur et le petit chemin menant à la petite maisonnette. « Vous faites bien de poser la question. Nous sommes arrivés. » dit-il en faisant un petit clin d’œil complice à son camarade et cette présence masculine lui changeait de toutes ces dames avec qui il avait déjà passé un peu de temps – sans jamais qu'il n'y ait de véritable suite. « Avez-vous de quoi vous changer ou dois-je vous donner des vêtements de rechange ? Je vais m'empresser de vous préparer votre chambre. » demanda t-il après avoir ouvert la porte du fiacre dès lors que celui-ci se stoppa, attendant que Reynald mette pied à terre pour renvoyer le véhicule en ville. La maisonnette se présentait à eux, accueillante et chaleureuse, comme semblait l'être le Noé aux premiers abords.
         
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Chercher une personne en particulier était difficile et épuisant lorsque le temps passait et qu'aucune trace de celle-ci ne se dévoilait aux yeux du voyageur parti à sa recherche. Blasius pouvait comprendre dans sa totalité ce que pouvait ressentir Reynald à l'égard de cet homme dont le Noé ne savait encore rien et qui, pourtant, dès lors qu'il le saurait, éveillerait sa curiosité et ses travers manipulateurs. Il pouvait le comprendre entièrement, savait ce que cela faisait de pourchasser quelque chose sans parvenir à l'atteindre. Lui qui avait cherché une famille à laquelle se raccrocher avait erré pendant longtemps avec un vide dévorant son cœur en permanence. Serafina lui manquait et lui avait toujours manqué, mais aujourd'hui sa famille ne le quitterait pas, ne lui tournerait pas le dos et Langue de Serpent, qui voyait bien que cet homme était important pour le vagabond, se demanda s'il le trouverait bientôt. Il n'eût cependant pas le temps d'y penser davantage car voilà que sa modeste demeure se dessina devant ses yeux et bientôt, Blasius mit pied à terre aux côtés de Reynald, écoutant avec attention sa réponse, ses prunelles scrutant ce sourire qui s'était dessiné sur les lippes du voyageur. « Bien, bien. Alors, suivez-moi. » dit-il en lui faisant un signe de la main, sa silhouette s'avançant tranquillement vers la maisonnette.

Vous vivez seul ? Le sourire de Blasius s'étira un peu plus sur ses lèvres, alors qu'il traversait l'allée, cherchant ses clés dans la poche intérieure de sa veste. « Oui. Je n'ai pas toujours la compagnie que je souhaite. » dit-il d'une voix toujours aussi calme, sifflant entre ses dents ces mensonges qu'il alimenterait toujours un peu plus avec Reynald – cet homme qui n'avait rien demandé et qui finirait pourtant entre les griffes de la Maladie. Le garçon longtemps errant aurait pu dire cela sans mentir si leur rencontre s'était passé avant qu'il ne se rende à l'Arche, mais Blasius était désormais membre à part entière des Apôtres de Noé et s'il se retrouvait seul dès lors qu'il s'enfermait dans son appartement, il pouvait toujours retrouver ses frères et sœurs dans ces innombrables couloirs. Il se sentait complet, sans plus aucun manque et peut-être que Reynald n'avait pas cette chance là. Peut-être que depuis trop longtemps la solitude pesait sur ses épaules. « Et vous, vous êtes déjà restés seul, en dehors de votre voyage ? » demanda t-il avec curiosité, son regard s'attardant quelques secondes sur le visage de celui qu'il accueillait entre ces murs. Et quelques secondes plus tard, Blasius tourna la clé dans la serrure et alluma les lampes, avant de refermer la porte lorsque Reynald pénétra à l'intérieur.

La maisonnette était assez spacieuse et élégante, contenant entre ses murs deux chambres, une salle de bain et une petite cuisine. Encore à l'entrée, Blasius se débarrassa de son manteau qu'il accrocha sur le porte-manteau et fît un signe de tête à l'homme aux milles visages pour l'inviter à faire de même. Celui-ci le remerciait à nouveau, et le joueur de harpe ne pût s'empêcher de sourire un peu plus, la douceur émanant de ses yeux et de ses lippes redressées sur son faciès. « Je suis heureux de pouvoir vous venir en aide. Je suppose que vous avez faim ? Je vais préparer quelque chose. » dit-il en remontant les manches de sa chemise alors qu'il se dirigeait vers la cuisine ouverte, le dos désormais tourné à cet homme dont il ferait sa victime. « Il y a un piano, dans l'une des chambres. Vous êtes prêt à me jouer un morceau ce soir ? » demanda t-il en se retournant vers Reynald, qu'il scrutait avec intérêt. Pour le moment, il était celui qui prenait soin de lui, qui plaçait devant ses yeux un nid confortable et bienveillant. Pour le moment, Blasius n'avait pas de sombres arrières-pensées (hors le simple fait de ne pas vouloir être seul) mais il ne suffisait que de quelques mots, que de quelques aveux pour que les choses changent et que le vice se mêle à l'intérêt.
         
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Blasius connaissait la solitude. Il l'avait côtoyé comme une amie pendant longtemps, errant sur des terres qui ne lui avaient pas été familières au départ. Elle avait pesé sur ses épaules, mais aujourd'hui le jeune homme aux cheveux blancs n'était plus seul et toutes ces personnes qui l'entouraient le tiraient sans cesse de ce qu'il redoutait le plus : le rejet. Il ne dirait pas à Reynald ce qu'il cachait derrière cette façade dénuée d'une histoire un peu plus complexe que ce qu'il ne laissait paraître, et son nouveau compagnon parût surpris de le savoir seul. Un ricanement amusé s'extirpa de la gorge de l'hôte de la Maladie, qui lui lança un regard tout aussi espiègle. « Pourquoi cela ? » demanda  t-il, avant de lui retourner la question, préférant en savoir davantage sur cet homme que de parler de lui-même. Bien que cela ne le dérangeait en rien de délier sa langue de serpent lorsque cela était nécessaire, il avait des questions et souhaitait des réponses.

Dans un même temps, le Noé pénétra finalement chez lui et se débarrassa de son vêtement, écoutant avec intérêt la réponse de Reynald. Le garçon déjà solitaire lorsqu'il l'avait croisé plus tôt l'avait été la plupart du temps et Langue de Serpent hocha doucement la tête. « Ce n'est pas toujours évident, n'est-ce pas ? » souffla t-il avant de se diriger dans la cuisine, sentant la présence de l'homme aux milles visages derrière lui. Celui-ci lui proposait son aide. Il avait appris à être indépendant bien assez tôt, supposa Blasius, et après une courte réflexion, il acquiesça. « Vous avez raison. Et bien, si vous êtes doués, nous allons pouvoir préparer un festin de roi. Je suis assez bon cuisinier aussi, mais je pense que vous êtes un peu fatigué pour vous mettre à faire de la grande cuisine. Un fish and chips vous tente ? » demanda t-il en sortant d'abord les couverts qu'il déposa autour de la table disposée au milieu de la petite cuisine. Reynald n'avait aucune expression qui démontrait un semblant de crainte, un semblant de prudence. Il fonçait dans la gueule du loup, mais Blasius ne savait pas encore qu'il détenait sous son nez un atout dont il pourrait se servir.

En attendant, il voulait l'entendre jouer et Reynald acceptait, refusant cependant de se considérer comme un vrai musicien. Il retranscrivait sur les touches tout ce qui lui traversait l'esprit et Blasius sourit – de cette manière toujours aussi douce et qui mettait indéniablement en confiance. Il secoua doucement la tête de gauche à droite. « Le statut de musicien ne repose pas sur l'étiquette qu'on se colle en jouant devant tout un public. Être musicien, c'est comme vous le faîtes. C'est retranscrire des choses, des histoires ou des sentiments. Je suis impatient de vous entendre, et je ne doute pas de votre réussite. » assura t-il à cet homme qui l'extirpait de ce moment où la solitude aurait pu le frapper à nouveau – et comment pourrait-il croire que devant lui se tenait plus qu'un passe-temps ? Les dernières paroles du vagabond attirèrent son attention. L'homme qu'il cherchait était un musicien également, ou du moins jouait-il aussi du piano et la curiosité que Blasius éprouvait à l'égard de cet inconnu que semblait chercher inlassablement Reynald ne cessait de grandir. « Vous ne voudriez pas m'en dire un peu plus ? Peut-être qu'en parlant autour de vous, vous aurez plus de chances de le retrouver. » dit-il calmement, en prenant les aliments nécessaires et en les déposant sur le plan de travail. Il attrapa deux couteaux, et en tendit un au vagabond. Qui que soit cet homme, il avait véritablement son importance pour le garçon aux cheveux aussi blanc que les siens et son importance titillerait bientôt l'intérêt de Langue de Serpent.
         
          Halloween

Était-ce si étonnant que cela, que Blasius se retrouve seul entre ces quatre murs ? Reynald avait prononcé quelques mots qui résonnèrent un instant dans l'esprit de l'hôte de la Maladie. Il se rappelait encore de ces dames et de ces hommes qui l'avaient trouvé charmant, avant qu'il ne leur ôte la vie. Il se rappelait de ces fois où il avait laissé son sourire rassurer les cœurs pour ouvrir leur membrane et que ceux-ci se dévoilent à lui. Pauvre Reynald. Langue de Serpent n'avait aucun scrupule à user de son don pour obtenir ce qu'il souhaitait et s'il ne savait pas encore qu'il tenait entre ses doigts un individu encore plus intéressant qu'il ne le pensait, il puisait dans la présence de l'albinos pour s'extirper de ce moment de solitude auquel il voulait échapper, et manipulerait bientôt comme un marionnettiste le garçon aux milles visages. Pouffant légèrement de rire, il secoua légèrement la tête de gauche à droite. « Et bien, mes cheveux n'ont pas l'air de plaire malgré tout. » siffla t-il, usant de cette excuse pour ne rien révéler de la vérité qui était bien différente, lui qui était désormais entouré, aimé, accepté. Toutefois, le Noé avait vécu seul un moment et savait ô combien la solitude était difficile à mettre à l'écart. Reynald semblait cependant ne pas vouloir s'attarder sur la question – ou du moins était-ce ce que pensa Blasius – et le garçon aux cinquante-quatre cicatrices n'insista pas, rebondissant sur autre chose (la cuisine).

Un fish and chips. Blasius commença à préparer le plan de travail, un sourire satisfait hissé sur ses lèvres après avoir eu l'approbation de son invité. Pendant quelques instants, il se demanda ce que les Noés pourraient bien dévorer ce soir et sans doute leur repas serait bien plus animé que le leur mais le garçon aux cheveux blancs continuait de profiter de la présence du vagabond et hocha doucement la tête de gauche à droite en entendant ces mots teintés d'embarras. « Allons, vous ne me décevrez pas. » dit-il, son sourire se faisant toujours plus bienveillant. Au-delà de ce temps passé avec Reynald pour l'extirper d'un moment qui lui déplaisait particulièrement, il y avait un grain de sincérité dans ces mots concernant la musique et les attentes qu'il avait envers le garçon aux cheveux aussi blancs que lui. La musique avait pris une place importante dans sa vie, et lui qui n'était pas devenu pianiste appréciait cependant les tonalités de l'instrument et tout ce qui s'en dégageait. C'était d'accord, il entendrait Reynald jouer avant de se coucher mais avant cela, ils devaient préparer le festin et Blasius se mit au travail après avoir tendu un couteau à son compagnon. Son couteau découpait le poisson comme il finirait par arracher chaque parcelle d'informations à son interlocuteur.

Ses interrogations concernant cet homme qu'il avait retrouvé en proie aux moqueries d'un couple à moitié ivre défilaient dans son esprit et l'inconnu dont il lui avait parlé l'intriguait de plus en plus, sa question dépassant finalement la barrière de ses lèvres. Instantanément, les prunelles de la Maladie constatèrent que le mouvement de Reynald tressaillit à ses mots. Il n'y avait pas de doutes, ce musicien qui dessinait le chemin de son voyage avait son importance et la curiosité ne cessa de grandir en entendant les paroles de son compagnon du soir. Il lui faisait confiance. Blasius ne devait en parler à personne. « Je resterai aussi muet qu'une tombe. » assura l'hôte de la Maladie, continuant son découpage avec plus de lenteur, ses yeux fixant curieusement le visage de son interlocuteur, qui, finalement, prononça des paroles qui firent tressaillir aussi bien son cœur que son Souvenir. Illness remua en lui dès lors que le mot guerre parvint aux tympans du joueur de harpe. Un musicien. Une guerre. La Guerre. Reynald cherche le Quatorzième. Pendant un instant, à son tour, Blasius marqua un arrêt en découpant le poisson, et rassembla tout son talent en comédie pour feinter la surprise et l'incompréhension. « Une Guerre, dites vous ? Je n'en ai pas entendu parler... De quoi s'agit-il ? Et... comment allez-vous faire pour retrouver cet homme ?  » dit-il avec curiosité et un calme qui n'était qu'apparent alors que l'excitation commençait à pulser dans ses veines, se dispersant dans chaque parcelle de son corps. Reynald n'était pas qu'un simple vagabond, et quelle coïncidence que le rejeté en rencontre un autre, opposé sans le savoir à ses idéaux, désormais ennemis. Ennemis, sans que le garçon perdu ne s'en aperçoive et si Illness aurait pu le menacer de lui livrer tout de suite tout ce qu'il savait, Blasius était bien décidé à jouer sa meilleure comédie pour prendre le temps de gagner toujours plus la confiance de Reynald. Langue de Serpent était prêt à l'envoûter jusqu'au bout et sans aucun scrupule à user de son don naturel, il était bien décidé à avoir le repère du Quatorzième et le nom de tous ses disciples. Blasius ne pouvait pas rêver mieux. Il avait, au creux de sa main, une piste de taille pour son Prince. Il avait, au creux de sa main, un filet de confiance qu'il allait devoir nourrir toujours plus, comme une graine à faire germer puis fleurir avant qu'elle ne fane.
         
          Halloween

Quelles étaient les chances pour que Blasius puisse tomber sur un garçon à la recherche de ce traître ? Quelles étaient les chances, pour que le vagabond vienne à lui parler de cela ? L'hôte de la Maladie était stupéfait, bouillonnant d'une satisfaction certaine après avoir entendu ces mots qui ne cessaient de résonner dans son encéphale. Reynald était sur les traces du Quatorzième, et si le rejeté pouvait parvenir à obtenir sa position, quelques noms et quelques indices, il pourrait aider son Prince à éliminer celui qui avait entaché le tableau de sa famille – de tous ces Apôtres. Entre ces quatre murs, Blasius détenait une source précieuse d'information et s'il avait pu le pousser jusqu'à tout obtenir ce soir-même, le Noé n'aurait pas hésité un instant. Il préférait cependant user de prudence et de patience, se revêtant d'une curiosité qui paraissait si innocente et d'une incompréhension qui paraissait si vraie qu'il n'y avait que peu de chances d'être démasqué. Le risque zéro n'existait pas, mais Blasius sentait qu'il avait réussi à se montrer rassurant et qui pouvait dire à Reynald, là, tout de suite, qu'il avait en face de lui un Apôtre de Noé, Illness remuant d'impatience à l'intérieur de sa carcasse ?

Feintant la surprise et la curiosité d'un homme n'ayant jamais côtoyé la guerre, ses prunelles s'étaient figées sur le faciès de l'homme aux milles visages et Blasius se mit à rire légèrement en entendant la remarque de son compagnon, secouant doucement la tête comme s'il était embarrassé. « Oh, oui, vous avez raison ! » dit-il, amusé, son ricanement s'étouffant pour se dissiper, son sourire encore dessiné sur ses lèvres. Il attendait la suite, avec une impatience qu'il tentait de dissimuler au mieux, ses gestes soignés pour s'occuper du poisson se faisant toujours aussi précautionneux. Puis, Reynald reprit la parole, et Langue de Serpent tendit l'oreille, secouant doucement la tête de gauche à droite en affichant une mine inquiète à propos de ces disparitions, de ces monstres, de corps disparus. « Non... J'ai déjà entendu des disparitions mais il n'a jamais été question de monstres ou de corps en cendres... » souffla t-il d'un air perturbé – et pourtant, sous ces bandages se cachaient les traces multiples de crimes qu'il avait commis, de vies qu'il avait ôtées, accompagné ou non de sa chère et tendre Zoya.

Sans scrupules, Blasius dupait ce garçon au cœur bien trop généreux et à la naïveté sans doute bientôt problématique pour ses compagnons recherchant le Quatorzième, fronçant légèrement les sourcils en jouant cette comédie qu'il ne se lasserait pas de jouer face à ceux dont il devait obtenir quelque chose. Et c'est là qu'il intervient ! Néah. Le Musicien. Le Quatorzième. Ce frère qui n'en était plus un, et que Reynald cherchait désespérément. Il était la clef de tout, disait-il, mais il ne serait plus rien si les Noés parvenaient à lui mettre la main dessus et Illness remuait toujours plus, tenté de révéler sa présence pour forcer le vagabond à en dire davantage. Blasius gardait cependant le dessus, ses gestes se faisant un peu plus lent. « Quel honorable combat vous menez, Reynald. Je suis... admiratif, et abasourdi par cette histoire, si vous voulez tout savoir. » dit-il en souriant doucement, d'un air presque pensif, d'un air presque rêveur et ses idées n'étaient désormais plus tournées que vers cet objectif : obtenir des informations pour aider son Prince.

Et pour savoir où il est... Et pour savoir où il est, quoi ? Que comptait-il lui dire ? Qu'avait-il fait ? L'hôte de la Maladie percevait les battements de son cœur tambouriner plus vite dans sa poitrine. Son intérêt grandissait encore et encore, prêt à faire dépasser des mots teintés d'impatience de ses lèvres et la déception pulsa instantanément dans ses veines en entendant la suite, le rire éclatant de Reynald contrastant avec la frustration qui s'immisçait chez le rejeté. Il n'en avait aucune idée. Savait-il au moins les noms de quelques-uns de ceux qui poursuivaient le même objectif ? Les questions défilaient dans l'esprit de Langue de Serpent, qui s'appliquait tant bien que mal à sa tâche pour ne rien laisser paraître, son sourire se faisant faussement désolé sur ses lèvres avant qu'il ne hoche doucement la tête en voyant que Reynald avait fini – sa phrase laissé en suspens résonnant en écho dans son esprit. Un jour ou l'autre, il finirait par avoir ce qu'il voulait de ce vagabond. Il n'était désormais plus question de passer un moment agréable extirpé d'une solitude pesante, mais bien de rendre service à toute sa famille et Blasius ne pouvait perdre contact avec cet homme aux cheveux aussi blancs que les siens. « Merci beaucoup, Reynald. Vous pouvez dresser la table si vous le voulez, je m'occupe du reste. » dit-il sans se départir de cet air agréable, se tournant vers la poubelle pour y jeter la peau des poissons. « Vous finirez bien par trouver. Si j'entends quoique ce soit, je vous tiendrai au courant. » assura t-il en se tournant à nouveau vers lui, le ton encourageant, l'allure bienveillante. Sifflant ces douces paroles, le Serpent passait encore inaperçu, avec l'espoir que Reynald jamais ne le soupçonne. Pour cela, il devait prendre le temps nécessaire et choisit ainsi, pour ce soir, d'en rester là.
         
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