Ad vitam aeternam

23 juin 189X+1 | Des papillons voletaient dans son ventre à chaque fois qu'il pensait à l'hôte de l'Inspiration. Voilà peu de temps que Blasius s'était rendu en Italie pour rencontrer un autre musicien – bien plus réputé qu'il ne l'était – mais il ressentait désormais toujours ce petit manque qui faisait qu'il prenait toujours plus conscience de la place particulière que Sua avait pris au sein de son palpitant. Comment se portait-elle, aujourd'hui ? Après les événements qui s'étaient produits en Allemagne, il savait que les choses n'avaient pas été faciles à vivre et le garçon aux longs cheveux de neige avait trouvé cela apaisant de se retrouver ici, en Italie, se retrouvant invité ce soir à un restaurant prisé auquel son camarade l'avait encouragé à se rendre. Il aurait apprécié que Sua vienne avec lui, mais le cours des choses ne se passaient pas toujours comme il le souhaitait – lui, le rejeté qui avait fait face à tant d'échecs au cours de sa vie – et dévalant les rues italiennes en quête d'un petit souvenir à offrir à l'Inspiration, ses yeux s'égarèrent sur les devantures de magasins. Les robes et autres costumes se tenaient sur des mannequins de bois, exposées derrière les vitrines.

Les bijoux, les livres et tout autres objets de valeurs plus ou moins grandes se retrouvaient dans les nombreux magasins, et c'est lorsqu'il fût attiré par un livre de poèmes qu'il vit, à travers le reflet de la vitre, une silhouette qu'il connaissait plus que bien. Reynald. Illness tressaillit dans ses entrailles. Son Souvenir sentait quelque chose – encore subtil mais ce quelque chose prenait vie lentement et s'ancrait sans retour dans la carcasse du voyageur. Blasius l'observa un instant (toujours à travers le reflet) et constata sans mal que le garçon ne semblait pas en bon état. Posé contre un mur, il avait l'allure faible et le sourire évanoui. Voilà quelques temps qu'ils ne s'étaient plus vus, et en dépit du fait que l'hôte de la Maladie avait entretenu leur relation – attendant patiemment que les informations arrivent en plus grand nombres et qu'elles soient toujours plus importantes – il fût surpris de le voir dans cette rue, à ce même endroit où il se trouvait. Un sourire se dessina sur ses lèvres pendant quelques secondes et Langue de Serpent aurait presque rit de la situation. Quelle coïncidence.

Regardant finalement son propre reflet, il passa une main dans ses cheveux et laissa mourir ce sourire qui s'était étiré sur ses lippes, avant de se tourner vers Reynald et de se précipiter vers lui, la mine inquiète. Il posa une main sur son épaule. « Reynald ! Est-ce que ça va ? » demanda t-il, penchant légèrement la tête sur le côté, souriant doucement – comme s'il était désolé de le voir ainsi, comme si cela lui faisait mal au cœur de voir l'albinos mal en point.
         
          Halloween

Reynald n'était pas au bout de ses peines et si Blasius avait eu un peu plus de scrupule envers ceux qui n'étaient pas de sa famille, peut-être aurait-il eu véritablement de la compassion et une certaine inquiétude à le voir dans cet état, rongé petit à petit par ce Souvenir, semblable à la Maladie qui l'avait dévoré lui, Langue de Serpent. Bientôt, ils seraient deux frères mais leur chemin était différent et le schéma se répéterait comme il s'était répété avec Ayden et Olav. Que faire ? Le tuer directement après qu'il ait obtenu les informations ? Un jour, mais pas aujourd'hui. Un jour – car il fallait empêcher les traîtres de faire grandir cet homme qui avait mis des bâtons dans les roues au Prince – mais en attendant, Blasius patientait tranquillement avec l'espoir d'obtenir les renseignements qu'il cherchait auprès de Reynald depuis ce soir où il lui avait révélé son rattachement au Quatorzième. Le visage penché légèrement sur le côté, le jeune homme aux cheveux blancs avait ainsi posé la main sur l'épaule du malheureux et sa voix avait résonné, teintée d'une comédie qui bernait chaque proie devant laquelle il sifflait sa mélodie, son sourire envoûtant ouvrant les cœurs.

Rapidement, ses prunelles rencontrèrent celles de l'homme aux milles visages et il vit au creux de ces yeux tourmentés la surprise de le voir ici. « Oui, c'est bien moi. » souffla alors Blasius d'une voix toujours aussi calme et douce, comme s'il cherchait à apaiser ce qui tiraillait Reynald – comme s'il cherchait à lui assurer qu'il ne cherchait rien d'autre qu'à lui tendre la main – et son regard tomba sur ces lèvres qui formèrent un sourire. Un sourire faible, dévoilant l'état dans lequel se trouvait cet homme dont il avait profité de l'agréable compagnie quelques mois avant. Qu'est-ce que Blasius faisait ici ? Car la coïncidence était sans doute étrange et pourtant le joueur de harpe n'avait aucunement traquer Reynald jusque sur les terres d'Italie. « Je devais rencontrer un musicien, mais je suppose que cela va attendre. Et tu peux me tutoyer ! Où est-ce que tu as mal ? » demanda t-il d'un ton inquiet, avant de reporter son attention sur la rue qu'il venait de dévaler. Une pharmacie ne devait pas être très loin, et le regard de Blasius se porta en direction de Reynald – cet homme qu'il tenait au creux de sa main et dont il voulait obtenir toutes les informations concernant Néah et ses disciples.

Pauvre Reynald. L'hôte de la Maladie garderait sa prise sur lui, jusqu'à avoir ce qu'il cherchait et par la suite, il le lâcherait, abandonnant tout signe d'amitié, brisant cette confiance qui s'était installée.
         
          Halloween

Malgré la douleur qui semblait assaillir le vagabond, Reynald riait à nouveau – d'un rire plus faible que celui que Blasius avait entendu lors de leur première rencontre et des autres fois où ils avaient pu parler ensembles – mais l'homme riait encore et l'hôte de la Maladie y trouva un peu de plus de vie parmi cet ensemble de chair qui semblait souffrir. Il ne savait pas encore ce qui allait advenir de lui mais le Noé, lui, percevait ce quelque chose qui fleurissait dans ce corps malade, dans cet amas de chair qui se tenait contre le mur. Un nouveau Souvenir, que Illness pouvait encore à peine véritablement sentir – mais il était là et Blasius se rappelait encore de la douleur qu'il avait ressenti lorsque son Souvenir avait pris place au sein de ses tripes. Pourtant, en dépit de son état, Reynald ne voulait pas se laisser emmener à la pharmacie non loin de la place où ils se rencontraient à nouveau et Blasius, la mine toujours faussement inquiète, laissa son regard s'attarder sur la main que posa son supposé ami sur son bras.

Cela aurait pu être touchant, si seulement leur amitié ne reposait pas sur des mensonges et leur complicité sur une vile manipulation. Reynald pensait-il que l'heure était venue pour lui ? Que bientôt, la mort viendrait l'accueillir ? Blasius reporta son regard sur ce faciès pâle. Ses yeux luisaient d'inquiétude – une inquiétude sincère contrairement à celle de Langue de Serpent, qui attendait encore avec impatience de savoir quoique ce soit sur ce qui pourrait mener sa famille à Néah – et les mots du garçon résonnèrent jusqu'à ses tympans. Avant ça, je dois te parler. Intéressant. Le cœur du Noé de la Maladie tressaillit, avec l'espoir que ce dont il comptait lui parler concerne le Quatorzième. Pas un jour passé auprès de celui qui deviendrait Nihil n'était pas teinté de toutes ces questions auxquelles il voulait des réponses. Jour après jour, le joueur de harpe avait tenté de récolter des informations çà et là, entretenant cette confiance qui fanerait prochainement. « Que se passe-t-il, Reynald ? » demanda t-il avec attention, avant de poser son autre main sur l'autre épaule du garçon, ses yeux plongés dans les siens, comme s'il était prêt à l'écouter pour l'aider, pour porter avec lui ce flambeau que l'homme aux milles visages ne semblait plus pouvoir porter seul pour le moment – lui dont l'on avait l'impression qu'il serait bientôt cadavre. Et pourtant.
         
          Halloween

Le cœur de Blasius battait à un rythme toujours plus rapide alors que l'espoir d'obtenir finalement ces réponses qu'il avait toujours attendu pulsait dans ses veines. Pendant des mois, le jeune homme aux cheveux de neige avait entretenu un lien superficiel dans le seul but de pouvoir rendre service à sa famille – au Prince qu'il pourrait satisfaire en lui ramenant toute information susceptible de l'aider (de les aider) dans la recherche du traître (de ce Quatorzième errant dans la nature et ayant toujours su leur filer entre les doigts). Sans scrupule, l'hôte de la Maladie lui dévoilait une façade teintée d'un semblant de compassion, d'attention et d'attache, et son corps suivit le mouvement du disciple lorsque celui-ci, qui semblait à bout de force, se laissa glisser contre le mur. Les mains du Noé étaient toujours agrippées aux épaules de Reynald, lui offrant une chaleur qui n'avait de chaud que le geste tandis que le cœur, traître, n'attendait que les prochaines paroles du garçon aux milles visages. Et finalement, la voix du souffrant résonna jusqu'à ses tympans, faible et lente.

Le palpitant de l'hôte de la Maladie tressaillit alors que les mots s'ancraient un à un dans son esprit. Langue de Serpent touchait droit au but et s'il avait pu, un sourire satisfait et amusé se serait dessiné sur ses lippes mais là n'était pas le moment pour faire tomber son masque et Blasius, gardant précieusement les premières informations en tête, hocha doucement la tête, l'encourageant à continuer, comme s'il le soutenait dans ses derniers instants – et pourtant le trépas n'était pas encore là pour Reynald (il y avait ce quelque chose que seuls les Noés pouvaient ressentir lorsqu'un nouveau membre de la famille prenait vie). Et le jeune homme vagabond reprit la parole. Il n'était pas seul, et Néah les avait reconnu semblait-il. Que comptait-il faire, par la suite ? Quelle était la mission qu'il leur avait confiée ? « Oui... Incroyable. » souffla-t-il avec ce faux air surprit, impressionné alors que Illness repoussait férocement cette simple idée d'admirer un traître sur lequel il fallait mettre la main dessus. Pourtant, Blasius ne démontrait rien de tout cela et son sourire, désolé, s'étira un peu plus lorsque ses prunelles rencontrèrent celles de Reynald.

Le jeune homme était à bout de force, mais il n'avait pas tout dit et le nom d'Ayden résonna dans l'esprit de Blasius. Cet homme l'avait presque brûlé et le Noé de la Maladie l'avait encore en travers de la gorge – il n'oublierait pas ce nouvel échec, cette discussion qui avait tourné au vinaigre – mais il devait garder contenance face à Reynald et il avait espoir d'obtenir d'autres noms. « Des quoi, Reynald ? » demanda t-il en essayant de ne pas paraître trop impatient, ses yeux toujours rivés sur ce visage qui, finalement, s'enfouit dans ses genoux. Le vagabond avait mal à la tête et le joueur de harpe se rappelait sans mal de cette douleur qui lui avait pris à lui aussi lorsque la Maladie avait pris place en lui, s'intégrant dans son corps et dans son esprit. Bientôt, cet homme dont il s'était joué se retrouverait au milieu de tous ces autres Noés. Quelle ironie du sort, se disait Blasius, pour un disciple qui espérait trouver celui que les Noés devaient justement chasser. Et si l'impatience grandissait en son sein, le jeune homme aux cheveux de neige ne pouvait se résoudre à le brusquer. Il fallait qu'il trouve un moyen de le faire parler, encore et encore, et frictionnant doucement les épaules de cet ami qui n'en était pas vraiment un, Blasius se pencha légèrement vers lui. « Tu es certain de ne pas vouloir aller te faire soigner ? » dit-il tout en sachant pertinemment que rien ne pourrait empêcher le Souvenir de se manifester dans la chair de l'homme aux milles visages, et il reprit, d'une voix qui ressemblait presque à un murmure. « Si je peux t'aider en les cherchant à mon tour, il me faut plus d'informations, Reynald. Je ne pourrai pas t'aider autrement.... Qui sont les autres ? Qu'est-ce que le Quatorzième vous a demandé ? » demanda t-il d'un air faussement inquiet, alors que l'excitation grandissait dans sa poitrine. Il y était presque, pensait-il, le cœur battant d'allégresse.
         
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Blasius gardait ce masque sur les traits de son visage, dévoilant une inquiétude et une bienveillance qui n'étaient que chimère, lui dont le cœur n'avait de loyauté et d'amour que pour sa famille abritée à l'Arche. Mais il devait continuer ce jeu d'acteur pour parvenir à ses fins et ne manquait pas de se montrer compréhensif, patient et attentif, comme s'il était véritablement cet ami précieux qu'il avait toujours prétendu être aux yeux de Reynald – assez, du moins, pour en tirer quelque chose – et voilà que les mots dépassaient la barrière des lèvres du vagabond qui avait refusé de se faire soigner (et la Maladie sentait dans les entrailles du garçon naître quelque chose – un semblant de Souvenir fraîchement réveillé – sachant alors pertinemment qu'il n'y avait pas de remède face à l'éveil d'un Noé et quelle ironie du sort que ce disciple se retrouve assailli par un Souvenir).

Avec intérêt, Blasius écoutait les paroles de Reynald, ancrant dans sa mémoire cette mission que Néah leur avait demandé, son palpitant se gonflant de curiosité à l'égard de cet objectif. Il ne pouvait cependant pas se laisser aller à trop d'interrogations – cela pourrait paraître suspect et Langue de Serpent voulait y aller doucement, hochant ainsi doucement la tête, faussement compatissant alors que le garçon se mît à tousser sans finir sa phrase. Et la frustration gagnait le cœur du rejeté qui voulait en savoir plus – encore et encore – avant que Reynald ne reprenne, donnant finalement des noms. La satisfaction pulsa dans les veines du jeune homme, qui mémorisa ces noms. Olav – ce Noé traître qui leur avait filé entre les doigts comme Ayden. Sol – une inconnue sur laquelle il faudrait tenter de se renseigner. Asiye – et les souvenirs se bousculèrent dans l'esprit de Blasius, qui se rappela cette première rencontre en Grèce. Aujourd'hui Exorciste, le joueur de harpe ne pouvait plus que la combattre et une question lui trottait désormais en tête. Comment faire pour retrouver Néah à travers eux ?

« Reynald... » murmura Blasius d'un ton faussement préoccupé, percevant la respiration de Reynald de plus en plus difficile. « N'abandonne pas, je t'en prie. » souffla-t-il d'un air encourageant, comme pour lui intimer de continuer à croire en ce qu'ils faisaient, à croire que la quête du Quatorzième était une bonne chose – et l'on ne pouvait penser que chaque parole que l'hôte de la Maladie déblatérait n'était que mensonges. L'homme aux milles visages semblait déçu, perdu face aux faits et gestes de Néah et il était important pour Blasius de lui redonner confiance pour pouvoir le convaincre d'en dire plus. « Où puis-je trouver l'un d'entre eux ? » demanda-t-il avec douceur, ses mains toujours posées sur les épaules de cet ami qui ne cessait de s'affaiblir au fur et à mesure que les minutes s'écoulaient. Et l'impatience le gagnait toujours plus. Blasius se fichait bien de l'état dans lequel cet homme se trouvait – il avait travaillé jour après jour sur leur relation pour en tirer profit et c'était aujourd'hui qu'il semblait pouvoir recueillir tout ce pour quoi il avait fait des efforts. Bientôt, le Prince serait satisfait et bientôt, les Noés pourraient s'approcher encore un peu plus du premier traître.
         
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Blasius était parvenu à tisser sa toile autour de Reynald, sifflant entre ses dents des paroles qui avaient convaincu le vagabond de lui faire confiance. Et alors que son état se dégradait davantage – le Souvenir fleurissant petit à petit dans cette carcasse maladive – son ami dévoilait toujours plus de choses. Où Blasius pouvait-il trouver l'un de ces disciples ? Son interrogation s'était glissée entre toutes ces formes d'inquiétudes et d'encouragement qui faisaient leur effet auprès de l'homme aux milles visages. Il n'y voyait que du feu, pensant naïvement que le joueur de harpe était quelqu'un de confiance – et s'il l'était quelque part, il ne l'était pas pour tout le monde. Seulement pour sa famille. Pour les siens, pour qui il était prêt à tout, jusqu'à manipuler cet homme qui, dans un autre contexte – dans une vie miroir – aurait pu être véritablement son ami.

Je ne sais pas. La réponse de Reynald laissa l'hôte de la Maladie sur sa faim, avant que son palpitant ne tressaille dans sa poitrine en entendant le nom d'Ayden. Le père de famille était resté à Londres, disait le vagabond, et Reynald allait parler de lui au Joker. Si Blasius n'avait pas porté de masque à cet instant, sans doute aurait-il ricané d'un air amusé. Après tout, les présentations n'avaient pas à être faites. Ayden était un traître qui ne perdait rien pour attendre. « C'est d'accord. J'attendrai. » souffla-t-il avec assurance et bienveillance, son sourire légèrement étiré sur ses lèvres. Tu es des nôtres. Probablement aurait-il pu l'être s'il n'avait pas cette famille qu'il aimait tant et pour qui il était chaque jour un peu plus dévoué. Il n'était pas des leurs. Il était Noé, pour l'éternité. « Reynald ? » dit-il en remarquant l'air toujours plus abattu et fiévreux du garçon, qui peinait à rester éveillé. Le ton était inquiet, le joueur de harpe scrutant le visage pâle de son ami. Dans sa poitrine, Illness remua un peu plus et un sentiment de satisfaction, d'allégresse s'empara de lui, son cœur frémissant de bonheur en voyant les stigmates se dessiner sur le front de Reynald.

Un nouveau Souvenir était né, et de son pouce, Blasius essuya doucement l'hémoglobine qui s'écoulait du front du malade. La voix du dupé résonna jusqu'à lui, mais l'hôte de la Maladie ne répondit pas tout de suite, admirant ces stigmates fraichement apparus. Un sourire, cette fois-ci plus allègre que désolé, s'étira sur ses lippes. « Tu vas le découvrir bien assez tôt, Reynald. » souffla-t-il, avant qu'il ne resserre un peu plus sa main sur son épaule. A l'Arche, ils pourraient désormais tous fêter le retour du Néant.
         
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